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13 mars 2010

Tu écris toujours ? (55)

mdl22_couvhdef---copie.jpgConseils aux écrivains trop gentils

Cet épisode de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE) illustré par le dessinateur Miege est paru dans Le Magazine des Livres n°22, janvier/février 2010.

Lorsque j’étais payé pour rendre compte d’actualités sans intérêt, lors de ma brève carrière dans la presse, j’eus souvent l’occasion de mesurer le degré de gentillesse qu’il était crucial de ne pas atteindre pour réussir dans la vie sociale et professionnelle. Ce constat vaut aussi pour les écrivains qui aspirent à la reconnaissance officielle, c’est-à-dire à une nécrologie de trois secondes dans le journal télévisé de la nuit s’ils ont la mauvaise idée de décéder pendant les jeux olympiques, le tour de France cycliste ou un match de ballon.

Si cet instant de gloire posthume vous laisse de marbre, vous pouvez persister dans votre gentillesse et continuer de publier votre œuvre dans des éditions rares que se disputeront les égoïstes livrés corps et âme à cette perversion qu’on appelle la bibliophilie. Ah, si seulement le bibliophile était votre vieil oncle ayant fait fortune dans la fleur en plastique au milieu du vingtième siècle ! Ce dynamique entrepreneur aurait beau vous considérer comme un songe-creux, il ne tiendrait guère à ternir sa réputation en vous laissant finir à la rue comme un poète maudit. Pour le conforter dans de bonnes dispositions à votre égard, vous pourriez lui réserver un exemplaire nominatif du tirage de tête de votre dernier opus (écrivez la dédicace au crayon au cas où il souhaiterait la gommer). Il ne vous resterait plus qu’à repartir avec le chèque. Vous disposez d’un tel oncle et l’idée vous sourit ? Voici un petit truc utile si vous avez la flemme d’écrire ou si la muse vous a posé un lapin : exhumez un de vos vieux poèmes, maquettez deux vers par page — c’est bien le diable si vous n’arrivez pas à une cinquantaine — et faites imprimer sur vélin en typographie un volume non massicoté. Les bibliophiles ne coupent pas leurs livres. Ils ne lisent pas, ils collectionnent. Alors, deux vers par pages, peu importe, du moment que c’est pur chiffon et tout le tralala !

J’y vais un peu fort sur le cas particulier ? Mes conseils ne doivent pas s’adresser seulement aux écrivains privilégiant la gentillesse à l’arrivisme et n’ayant de ce fait d’autre choix que de se retirer à la campagne pour se protéger des méchants aux canines plantées dans le gazon ?

Bien. Redescendons dans la jungle littéraire urbaine si propice en opportunités pour qui veut inscrire son nom sur la liste des meilleures ventes autrement qu’à l’encre sympathique. Pour y parvenir, en plus de votre activité d’auteur, prenez un petit boulot dans la presse ou dans l’édition, critique ou lecteur de manuscrits, ou les deux si vous avez le réflexe cumulard. Même si cette spécialité française fait beaucoup rire nos voisins européens, notamment nos amis allemands, rien ne saurait mieux vous permettre de vous vautrer avec délice dans la méchanceté, en public si vous optez pour la critique ou en privé si vous préférez pondre de furibardes fiches de lecture à l’ombre des piles de manuscrits. Et puis imaginez — belladone sur le gâteau — qu’atterrisse sur le coin de table de cuisine qui vous sert de bureau, au milieu des miettes et des peaux de saucisson, la prose de votre ennemi intime (ancien chef de service, prof de gym à la retraite, voisin bricoleur matinal, que sais-je encore...) mais oui, cela peut arriver puisque tout le monde veut publier. Imaginez votre jouissance lorsque dix lignes de vous destineront le tas de feuilles du plumitif aux mâchoires du broyeur ou au retour à l’expéditeur, ô volupté !

Cela me rappelle mes débuts dans la locale du Républicain Populaire Libéré du Centre lorsque, carte de presse neuve en poche, je vis s’allonger la mine du prof d’histoire-géo responsable de mon redoublement en seconde, désormais pigiste pour tromper l’ennui de sa retraite, fort dépité de confier à mes soins son compte-rendu du bal des anciens et sa note de frais. À moi le stylo rouge magique taillé pour la contraction de texte et la réduction d’une photo prévue sur trois colonnes aux dimensions d’un timbre-poste ! Ah oui, la note de frais... Je l’avais oubliée celle-là... Dans la corbeille. D’accord, le classement vertical de la note de frais, c’était peut-être trop méchant, mais que voulez-vous, quand on a des dispositions... Vous n’avez pas de dispositions ? Vous êtes un écrivain foncièrement bon ? Comme Christian Bobin ? J’ai une idée ! Vous commencez comme lui par écrire une série de livres gorgés de bonté. Ajoutez une biographie de Saint et, s’il le faut, donnez quelques piges à l’hebdomadaire La Vie (c’est arrivé aux meilleurs) et puis vlan, d’un seul coup sans prévenir, balancez un gros pavé très méchant et pas poli dans le bénitier. Vous imaginez les retombées ? Mais si, vous en êtes capable ! Et croyez-moi, au service promotion de votre éditeur, ils aimeront le concept.

 

nouvellecouv_mdl23-hdef.jpgLa suite de mon feuilleton Tu écris toujours ? (conseils à ceux qui croient pouvoir aider un écrivain en difficulté) dans le Magazine des Livres n°23 (mars/avril 2010), actuellement en kiosques.


16 novembre 2009

Tu écris toujours ? (53)

1082283955.jpgConseils aux écrivains qui doivent répondre à des questions embarrassantes.


Cet épisode de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE) illustré par le dessinateur Miege est paru dans Le Magazine des Livres n°19, septembre/octobre 2009.


Je fais souvent des rêves prémonitoires désagréables. Par exemple, je rêve que je me lève tôt le matin, et le mauvais rêve se réalise peu après. Mon voisin écrivain m’a confié qu’il faisait le même rêve et qu’il avait commis l’erreur d’en parler dans une de ces interviews paralittéraires dont l’objectif principal est de révéler aux lecteurs si vous êtes plutôt chat que chien, cognac ou bourbon, cigarette ou cigare, choucroute ou cassoulet, la plus littéraire des questions étant : « préférez-vous écrire au stylo qui bave, à la portative qui coince ou à l’ordinateur qui rame ? » Il faut se méfier de ces questions en apparence futiles qui ont le redoutable pouvoir de vous transformer, vous l’auteur, en un personnage de fiction qui finira par prendre votre place dans l’esprit de vos lecteurs. En indiquant qu’il craignait de se lever tôt, mon voisin écrivain se trouva propulsé auprès de ses nombreux lecteurs dans la catégorie des auteurs paresseux, ce qui lui fut longtemps préjudiciable dans ses rapports avec son éditeur en attente d’une suite qui ne vint jamais à son unique et sirupeux best-seller. En ce qui me concerne, j’ai bien retenu la leçon et je n’avouerai jamais, quand bien même accéderais-je à la célébrité, que mon plat préféré est le canard à l’orange. Vous me direz que vous êtes maintenant au courant mais cela n’a pas d’importance puisque, à l’inverse de mon voisin, je ne suis pas célèbre.

Revenons à nos canards, je veux dire à nos moutons. Après avoir pris conscience du danger auquel peuvent vous exposer les réponses sincères à des questions idiotes ou insignifiantes, étudions maintenant les questions embarrassantes, celles qui portent par exemple sur les tirages de vos livres si votre nom ne s’inscrit pas encore en tête des listes des meilleures ventes. Lorsqu’on parle de questions qui ne doivent jamais recevoir de réponses, le mieux est de se référer aux techniques de non-communication employées par les personnalités politiques. Rien n’autorise un journaliste à savoir que vous avez publié votre dernier livre à cinquante exemplaires chez un éditeur adepte de l’impression à la demande. Vous répondrez donc ainsi à toute question concernant le tirage : « je vous remercie de me poser cette question importante à laquelle je répondrai avec grand plaisir lorsque j’aurai terminé de répondre à la précédente à propos de laquelle j’avais encore une précision à donner. » Cette formule magique vous a permis de créer une première diversion en flattant l’ego souvent surdimensionné du journaliste et une deuxième en sollicitant sa mémoire logiquement plus orientée sur les questions à venir que sur celles déjà posées. Il jettera l’éponge et passera à la question suivante. Vous êtes tombé sur un teigneux agrippé à sa question comme l’oncle Picsou à ses dollars ? Pas de panique, voici la parade : « j’ai bien noté votre question mais je voudrais en préambule, si vous le permettez, répondre par avance à une autre question que vous ne manquerez pas de me poser bientôt et dont la réponse contribuera à donner par anticipation à la précédente toutes les précisions qu’elle mérite. » Le journaleux résiste encore ? Infligez-lui votre botte : « Pouvez-vous me répéter la question ? »

Qu’on soit écrivain ou non, savoir se débarrasser des questions embarrassantes est un art de vivre qui permet aussi de remettre à leur place tous les impolis, notamment les journalistes, qui se permettent de les poser. Est-ce que je demande à madame Tumbelweed, la gouvernante qui travaille chez mon voisin écrivain, si elle utilise un rasoir électrique ou un jetable pour éliminer ses poils au menton ? Non, je feins de ne pas les remarquer. Et je ne la questionne pas davantage sur ses relations avec Sir Alfred, le chat de ce même voisin, qui ne sont pas au beau fixe. Madame Tumbelweed m’est reconnaissante de cette discrétion. Un jour, elle a sonné à ma porte pour me demander si je n’avais pas vu Sir Alfred qui disparaissait chaque fois qu’elle devait lui administrer son vermifuge. Je me préparais à dîner seul car mon épouse s’était absenté. Lorsque la brave femme constata que j’allais me contenter du même menu que Sir Alfred, des sardines en huile de la fameuse marque Ohé, matelot, elle me pria de patienter avant de commencer mon repas, se retira et revint quelques minutes après chargée d’un plateau d’argent sur lequel était disposé un plat sous cloche. Vous me croirez si vous voulez, c’était du canard à l’orange qui lui restait de midi. Incroyable non ? Ce que j’admire chez les gens de maison de cette classe, c’est leur don de deviner nos rêves les plus profonds, les plus secrets, les plus complexes, une préférence personnelle pour le canard à l’orange par exemple, sans recourir à la moindre question embarrassante. Qu’ils en prennent de la graine tous ces journalistes !

16 septembre 2009

Tu écris toujours ? (53)

download.jpgToujours illustré par le dessinateur Miege, le 53ème épisode de mon feuilleton Tu écris toujours ? (conseils aux écrivains qui doivent répondre à des questions embarrassantes) vient de paraître dans le n°19 (septembre/octobre 2009) du Magazine des Livres qui redevient bimestriel. Le Magazine des Livres est disponible en kiosques.