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16 novembre 2009

Tu écris toujours ? (53)

1082283955.jpgConseils aux écrivains qui doivent répondre à des questions embarrassantes.


Cet épisode de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE) illustré par le dessinateur Miege est paru dans Le Magazine des Livres n°19, septembre/octobre 2009.


Je fais souvent des rêves prémonitoires désagréables. Par exemple, je rêve que je me lève tôt le matin, et le mauvais rêve se réalise peu après. Mon voisin écrivain m’a confié qu’il faisait le même rêve et qu’il avait commis l’erreur d’en parler dans une de ces interviews paralittéraires dont l’objectif principal est de révéler aux lecteurs si vous êtes plutôt chat que chien, cognac ou bourbon, cigarette ou cigare, choucroute ou cassoulet, la plus littéraire des questions étant : « préférez-vous écrire au stylo qui bave, à la portative qui coince ou à l’ordinateur qui rame ? » Il faut se méfier de ces questions en apparence futiles qui ont le redoutable pouvoir de vous transformer, vous l’auteur, en un personnage de fiction qui finira par prendre votre place dans l’esprit de vos lecteurs. En indiquant qu’il craignait de se lever tôt, mon voisin écrivain se trouva propulsé auprès de ses nombreux lecteurs dans la catégorie des auteurs paresseux, ce qui lui fut longtemps préjudiciable dans ses rapports avec son éditeur en attente d’une suite qui ne vint jamais à son unique et sirupeux best-seller. En ce qui me concerne, j’ai bien retenu la leçon et je n’avouerai jamais, quand bien même accéderais-je à la célébrité, que mon plat préféré est le canard à l’orange. Vous me direz que vous êtes maintenant au courant mais cela n’a pas d’importance puisque, à l’inverse de mon voisin, je ne suis pas célèbre.

Revenons à nos canards, je veux dire à nos moutons. Après avoir pris conscience du danger auquel peuvent vous exposer les réponses sincères à des questions idiotes ou insignifiantes, étudions maintenant les questions embarrassantes, celles qui portent par exemple sur les tirages de vos livres si votre nom ne s’inscrit pas encore en tête des listes des meilleures ventes. Lorsqu’on parle de questions qui ne doivent jamais recevoir de réponses, le mieux est de se référer aux techniques de non-communication employées par les personnalités politiques. Rien n’autorise un journaliste à savoir que vous avez publié votre dernier livre à cinquante exemplaires chez un éditeur adepte de l’impression à la demande. Vous répondrez donc ainsi à toute question concernant le tirage : « je vous remercie de me poser cette question importante à laquelle je répondrai avec grand plaisir lorsque j’aurai terminé de répondre à la précédente à propos de laquelle j’avais encore une précision à donner. » Cette formule magique vous a permis de créer une première diversion en flattant l’ego souvent surdimensionné du journaliste et une deuxième en sollicitant sa mémoire logiquement plus orientée sur les questions à venir que sur celles déjà posées. Il jettera l’éponge et passera à la question suivante. Vous êtes tombé sur un teigneux agrippé à sa question comme l’oncle Picsou à ses dollars ? Pas de panique, voici la parade : « j’ai bien noté votre question mais je voudrais en préambule, si vous le permettez, répondre par avance à une autre question que vous ne manquerez pas de me poser bientôt et dont la réponse contribuera à donner par anticipation à la précédente toutes les précisions qu’elle mérite. » Le journaleux résiste encore ? Infligez-lui votre botte : « Pouvez-vous me répéter la question ? »

Qu’on soit écrivain ou non, savoir se débarrasser des questions embarrassantes est un art de vivre qui permet aussi de remettre à leur place tous les impolis, notamment les journalistes, qui se permettent de les poser. Est-ce que je demande à madame Tumbelweed, la gouvernante qui travaille chez mon voisin écrivain, si elle utilise un rasoir électrique ou un jetable pour éliminer ses poils au menton ? Non, je feins de ne pas les remarquer. Et je ne la questionne pas davantage sur ses relations avec Sir Alfred, le chat de ce même voisin, qui ne sont pas au beau fixe. Madame Tumbelweed m’est reconnaissante de cette discrétion. Un jour, elle a sonné à ma porte pour me demander si je n’avais pas vu Sir Alfred qui disparaissait chaque fois qu’elle devait lui administrer son vermifuge. Je me préparais à dîner seul car mon épouse s’était absenté. Lorsque la brave femme constata que j’allais me contenter du même menu que Sir Alfred, des sardines en huile de la fameuse marque Ohé, matelot, elle me pria de patienter avant de commencer mon repas, se retira et revint quelques minutes après chargée d’un plateau d’argent sur lequel était disposé un plat sous cloche. Vous me croirez si vous voulez, c’était du canard à l’orange qui lui restait de midi. Incroyable non ? Ce que j’admire chez les gens de maison de cette classe, c’est leur don de deviner nos rêves les plus profonds, les plus secrets, les plus complexes, une préférence personnelle pour le canard à l’orange par exemple, sans recourir à la moindre question embarrassante. Qu’ils en prennent de la graine tous ces journalistes !

16 septembre 2009

Tu écris toujours ? (53)

download.jpgToujours illustré par le dessinateur Miege, le 53ème épisode de mon feuilleton Tu écris toujours ? (conseils aux écrivains qui doivent répondre à des questions embarrassantes) vient de paraître dans le n°19 (septembre/octobre 2009) du Magazine des Livres qui redevient bimestriel. Le Magazine des Livres est disponible en kiosques.

12 septembre 2009

Tu écris toujours ? (52)

mdl18_couv-hdef.jpgConseils aux écrivains qui se font interviewer

Cet épisode de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE) est paru dans Le Magazine des Livres n°18, juillet/août 2009.

Pendant que je donnais son bain au canari — le pauvre ne peut plus monter tout seul dans sa baignoire en raison de son grand âge — le téléphone a sonné.  À la voix qui me demandait si j’étais bien moi-même, j’ai répondu « non, il s’est absenté » , histoire de me voir venir et de noter qu’un journaliste souhaitait m’interviewer. J’ai promis de transmettre le message dans les meilleurs délais, ce qui, de ce point de vue, était la stricte vérité, et j’ai décidé de faire le point. J’aime beaucoup faire le point, mais comme je le fais plusieurs fois par jour, je n’ai pas forcément le temps de m’occuper du reste.

Tel est mon premier conseil si l’on vous demande une interview : faire le point et ne pas sauter de joie, car même si l’on ne peut pas voir à l’autre bout du fil que vous vous pendez au lustre d’allégresse, cela peut se deviner. Le journaliste risque d’en conclure que vous n’êtes pas souvent interviewé et en déduire que, finalement, vous ne méritez point de l’être. Ne faites pas le point trop longtemps. Après un ou deux mois, on pourrait croire que la proposition vous laisse froid. Le journaliste a été muté pendant que vous faisiez le point ? Tant pis pour lui, ça lui apprendra à être patient. Sa hiérarchie ne l’a pas encore désigné comme volontaire pour une mutation ? Tant mieux. Vous allez pouvoir l’informer du bout des lèvres de votre décision de lui être agréable en acceptant de bien vouloir lui parler.

Maintenant que le rendez-vous est fixé, comprenez le but de votre interlocuteur. On est en plein mois d’août en sous-préfecture et vous avez affaire à un localier ? Cela signifie que même les chiens écrasés sont partis en vacances et qu’il ne reste plus qu’une solution au malheureux pour remplir sa page : vous. Si vous tenez malgré tout à ce papier dans Le Républicain Populaire Libéré du Centre, demandez le stagiaire d’été. Il vous soignera mieux, avec ses illusions juvéniles et ses participes aux accords imparfaits, que le vieux caïman en fin de carrière allergique à la littérature et capable de vous fourguer un pigiste des sports pour critiquer vos œuvres. C’est ce qui m’est arrivé lors de la parution d’un de mes premiers livres. L’article promis a mis un an à paraître sous la signature d’un spécialiste de la boule lyonnaise. Le papier n’était pas mal mais rédigé dans un style — comment dire ? — un style très « boule lyonnaise » . J’ai dû me pincer plusieurs fois en lisant cette prose tardive. Moralité, quand le bouliste se pique de littérature, l’écrivain prend les boules.

Bien choisir le lieu de l’interview. Si le journaliste vous propose son bureau, méfiance, cela peut être le bar du coin où une radio qui n’a rien de commun avec France-Culture confisque tout l’espace sonore public. Vous n’entendrez pas les questions du journaliste qui comprendra vos réponses de travers, ce qui peut donner un résultat intéressant si vous êtes nostalgique du surréalisme. Dans le cas contraire, faites-vous livrer le journaliste à domicile.

À l’époque où j’habitais encore en ville, j’ai tenté une fois cette expérience que je n’ai jamais reconduite en raison du comportement de ma voisine,  chanteuse candidate à Décibel-Académie dans la section amateurs. Elle ouvrit ses fenêtres au moment de l’interview et commença à s’entraîner. Elle entama une longue vocalise déchirante qui monta en puissance pour mourir une première fois en un profond sanglot auquel succéda une plainte entrecoupée de hoquets de type tyroliens. Le journaliste dressa l’oreille. La voisine en profita pour offrir un deuxième service. Le journaliste roula de gros yeux inquiets et demanda :
« Quels sont ces cris affreux ? Quelqu’un s’est-il blessé ? »
— Ce n’est rien, dis-je, c’est la voisine.
Le journaliste me lança un regard sévère.
— Comment ça, ce n’est rien ? Il faut porter secours à cette malheureuse !
Comme pour confirmer les craintes du journaliste, la voisine cala sa voix éraillée sur un grave soupir qu’elle transforma en un terrible crescendo vibrato aussitôt relayé par un hurlement sauvage (probablement une chanson adaptée du Fado) agrémenté de trois vigoureuses reprises. Les tourterelles tranquillement occupées à fracasser du bec le crâne de quelques passereaux pour leur engloutir la cervelle interrompirent leur déjeuner et s’envolèrent à grand fracas en même temps que moineaux, merles, mésanges, pies et corbeaux épouvantés.
— Pauvre femme, crut bon de compatir le journaliste. Là,  je crois qu’elle fait un malaise, il faut appeler d’urgence un médecin !
— Ah non !  répliquai-je au milieu d’une nouvelle batterie de vocalises.
Le journaliste me dévisagea encore plus sévèrement : « Quel manque de compassion pour vos semblables ! Je suis outré ! » Et il me fit un très méchant article. Je me suis consolé en apprenant que la voisine n’avait pas été retenue à Décibel-Académie. Bien fait pour elle !