Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

29 août 2009

Un piéton de Villeurbanne

693031252.2.jpg

Roland Tixier, Simples choses, (postface de Nicole Vidal-Chich) éditions Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert, 69003 Lyon. 80 p, 13 €. 2009. Port gratuit.

Villeurbanne, Vaulx-en-Velin et peut-être d’autres confins de ce qu’on appelle le Grand Lyon ont leur poète. Il s’appelle Roland Tixier, marche beaucoup et accorde son pas au rythme de visions fugitives (« n’être autre que ces pas / d’une rue à l’autre / quelques instants insaisissables »). Il en naîtrait presque une moderne épopée, depuis tant de recueils publiés par ce maître de la notation brève, dans le style des haïkus urbains, si ce promeneur ne se souciait comme d’une guigne de jouer le passant considérable.

Ainsi, dans son dernier opus intitulé Simples choses, Roland Tixier persiste-t-il à se fondre dans le paysage urbain ou semi-urbain (« je pars je me fonds / dans le gris léger / à l’est du périphérique ») que nous avons vite fait de juger inhumain alors qu’il est justement chargé d’humanité. Le quai, le square, le bus, le quartier, le bureau de poste, le banc, la gare, le trottoir, le parking, la banlieue, le supermarché, la supérette que les discours convenus relèguent souvent dans un pluriel hostile et lointain retrouvent leur singulier lorsque le poète piéton les nomme. Tel est un des pouvoirs de la poésie. La vie qui semblait vouée à se dissoudre dans l’anonymat des mornes et rectilignes perspectives des « grands ensembles » regagne alors sa dimension quotidienne et individuelle avec ses présences saisissantes (« clochard ravagé / peu de vie dans son caddie / de supermarché »), intenses (« elle au volant il l’embrasse / garée à la diable / warning allumé ») rassurantes (« bonheur d’une journée / être près de vous debout / sur ce quai de bus ») souriantes (« trois pigeons devant la mairie / picorent les grains de riz / lendemain de mariage »). En trois lignes, le collectionneur de « simples choses » peut nous emmener loin (« amoureux perdus / sur le chemin de halage / matinée de brume ») ou restreindre le cadre jusqu’à nous faire éprouver la sensation physique de l’enfermement (« loin de ses repères / petit merle apeuré / entre les haies d’automobiles »).

Lorsqu’il consent à se mettre en scène, c’est à la façon, fugace, d’un Alfred Hitchcock dans les premières images de ses films et l’on se surprendrait presque à s’exclamer : « Tu as vu, au début de ce poème, le type qui monte dans le bus ? C’est Roland Tixier ! » . Mais ce passant de la « bienheureuse marche » au pas aussi léger que son sac à dos peut très bien être vous et moi parce que l’auteur de ce livre nous prend vraiment en sympathie (« ah ! mes compagnons de bus / bonheur d’être près de vous / logé à la même enseigne »).

14 juillet 2009

Gabriel Le Gal (1936-2009)

gabriel_le_gal.gifTout mouillé des brumes matinales de la montagne, l'autorail qui m'emmenait à Lyon marqua, me sembla-t-il en pleine campagne, un court arrêt. On annonça Ceyzériat. Par la vitre, je vis une silhouette franchir le ballast. L'autorail repartait déjà lorsque Gabriel Le Gal s'installa en face de moi.

C'est encore dans les gares minuscules des villages que l'expression « prendre le train » garde son sens. On surgit d'un temps dans un autre, des heures habitées dans celles, provisoires, du déplacement. Aucune véritable accélération, aucune rupture dans ce bref mouvement, mais pourtant, quelque chose a changé. En soi, à l'extérieur ? On ne sait pas.

Cette infime modification est au coeur de l'expérience que constitue la lecture de la poésie de Gabriel Le Gal. En quelques mots témoins d'un discret passage, un glissement s'est produit vers un monde de visions fugitives où, subitement, on a enjambé une ligne invisible mais pourtant bien réelle, et plus rien n'est comme avant.

* J'avais écrit ce petit texte pour participer à un dossier consacré à Gabriel Le Gal. Je ne trouve pas d'autres mots pour lui envoyer un dernier salut.

 

Et puis, cette anecdote, pour le souvenir :

Mes plus fréquentes rencontres avec Gabriel Le Gal avaient pour cadre les réunions des comités de la revue Le Croquant, souvent organisées à Lyon. Un soir vers vingt-trois heures, à la fin d’une réunion chez Jean-Marie Auzias, rue Auguste Comte, Gabriel qui s’était fait déposer par quelqu’un, me demanda s’il pouvait profiter de ma voiture pour rentrer à Ceyzériat, son village de l’Ain qui était de toute façon sur mon chemin pour rentrer à Oyonnax. J’acceptai avec un mélange de joie et d’inquiétude car j’ai une fâcheuse tendance à m’égarer dès que j’apporte la plus infime variation dans mes rares déplacements. Or, déposer Gabriel chez lui modifiait légèrement mon itinéraire. À la périphérie de Lyon, cette simple perspective me fit probablement rater un accès et je me sentis très vite complètement désorienté. Ne souhaitant pas inquiéter Gabriel et encore moins lui avouer que j’étais déjà perdu, je lui déclarai : « Il semble que nous roulions vers le Sud... »
— Oui, il me semble aussi, me répondit-il d’une voix hésitante.
C’était justement la confirmation que j’attendais. Je saisis la balle au vol et ajoutai avec une totale mauvaise foi : « voilà ce que c’est que de vouloir prendre les raccourcis, finalement, on ne les trouve pas et on se rallonge !
— Alors nous allons faire demi-tour ? s’enquit-il.
— J’en ai bien peur...

Je profitai d’un rond-point providentiel pour repartir dans l’autre sens et, je ne sais trop comment, nous reprîmes une meilleure direction, ce qui ne nous empêcha pas de tourniquer encore sur quelques rocades supplémentaires. Finalement, nous nous retrouvâmes sur une départementale où finit par surgir dans mes phares le panneau de Ceyzériat. Je déposai Gabriel à sa porte, manifestement soulagé d’être arrivé à bon port. Je n’étais quant à moi pas sorti de l’auberge. À peine éloigné de Ceyzériat, je laissai la nuit sans lune avaler goulûment la voiture. Par je ne sais quel maléfice, je découvris Neuville-sur-Ain, commune où je n’avais strictement aucune raison de faire du tourisme à une heure du matin. Je m’enfonçai dans de nouvelle campagnes et, après un nombre considérable de demi-tours dans des cours de fermes où luisaient les regards de molosses insomniaques, je pus enfin trouver un panneau annonçant Oyonnax où j’arrivai enfin à trois heures bien tapées. Lorsque je me rendis à la réunion suivante, toujours à Lyon, j’eus la sagesse de prendre l’autorail. La machine marqua un arrêt à Ceyzériat. Un seul voyageur monta dans l’autorail et vint s’asseoir en face de moi : Gabriel. Les grands esprits se rencontrent !

Quelques temps plus tard, Gabriel m’envoya un de ses recueils tout frais sorti des presses avec cette dédicace : « à Christian, en souvenir d’un épique retour de Lyon. »

02 juillet 2009

Notes sur la sensation de la couleur vert d’eau

La sensation de la couleur vert d’eau revient certaines nuits douces

En février quand la terre porte déjà de jeunes pousses encore enfouies ou à peine sorties car viendront d’autres neiges d’autres gelées

Mais la splendeur végétale se signale au poète lassé de l’élégie et à l’enfant las du sommeil par cet insaisissable parfum

IMG_0211.JPGTu as retrouvé la sensation de la couleur vert d’eau dans des tableaux d’herbe et de rivières à l’exposition « Kandinsky Chagall Malevitch et l’âme russe » vue à Vérone en novembre 2004

Cette nuit au seuil de la maison la sensation de la couleur vert d’eau t’arrive doucement des tilleuls

Tu la respires et tu t’endors bien dans ce demi-songe végétal

La sensation de la couleur vert d’eau est une soif non pas fiévreuse mais sereine toute prête à être rassasiée promesse d’un vaste et tendre paysage qui entre en toi et te fait sien

 

© Éditions Orage-Lagune-Express 2009.

Photo M-CC.