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20 avril 2005

Tu écris toujours ? (12)

Ce dimanche soir
J’en avais marre.
Allégé de ce redoutable distique, je suis sorti en ville avec une barbe de trois jours et mon nouvel imper blanc, le tout surmonté de mon grand parapluie noir. À cent mètres, j’ai vu le copain d’école tourner la tête dans ma direction. Eh bien il m’a reconnu. Il est vrai que la rue n’offrait guère d’autre présence que celle d’un gros angora mouillé qui, par ce temps de chien, rasait les murs en miaulant. Et puis pour la pluie, je n’achète rien d’autre que des impers blancs. Alors, forcément... Tout de même, entendre “tu écris toujours ?” un dimanche soir pluvieux, c’était trop.
J’ai disparu dans les escaliers du passage Raclet, émergé le souffle court rue du 8 mai, rejoint la rue Renan pour redescendre en direction du centre ville par le passage Etienne Dollet. Assuré d’éviter le fâcheux, j’ai bifurqué sous le porche de l’église Saint-Léger, remonté la rue Eugène Pottier d’où je me suis rapproché du parc René Nicod en dégringolant la rue de la Victoire avec un petit détour par le bas de la rue d’Échallon d’où l’on peut emprunter le passage qui mène directement au kiosque à musique du parc. Le mieux étant l’ennemi du bien dans l’art de l’esquive, c’est précisément là que je m’emplâtrai sur la créature remontée du fond des âges de l’école primaire. Salut, proféra sa voix morose tandis que je lisais dans son regard un je ne sais quoi de suspicieux, de réprobateur. Le pauvre garçon se doutait-il de mes manoeuvres (pourtant discrètes) d’évitement ? Tu ne m’avais pas vu dans la grande rue ? Parce que, si tu écris toujours, j’ai quelque chose pour toi.
Mon nouvel agent littéraire me tendit un morceau de pâte à papier grisâtre sur lequel on pouvait encore déchiffrer : GRAND PRIX DE POÉSIE DE LA SPA. La SPA s’occupe de vers, maintenant ? risquai-je pour l’amour de l’art. Mais non ! se fâcha l’autre, pas les animaux ! Pour un littéraire, tu pourrais mieux lire... Juste après, regarde, entre parenthèses ! Ah oui, pardon, Société des Poètes Amicalistes. Oui, c’est ça, GRAND PRIX DE LA SOCIÉTÉ DES POÈTES AMICALISTES, répéta-t-il d’une voix de stentor, comme s’il passait l’oral du concours de garde-champêtre. Et d’ajouter l’oeil humide de convoitise ou de conjonctivite : médailles, diplômes, coupes et coffret de produits du terroir aux lauréats. (Je remarquai sur le communiqué de presse en train de se liquéfier sous l’averse le singulier de “coffret” et le pluriel de “lauréats”. Mais peut-être s’agissait-il d’une coquille ?).
Sous la toile crépitante de mon parapluie, je renonçai à expliquer au gardien sourcilleux de mes progrès poétiques pourquoi je négligeais une si belle opportunité. Que je puisse lever le nez sur le coffret-terroir, les coupes, médailles et diplômes des Amicalistes, ne pas sombrer dans la dépression parce que mon nom ne figurerait pas au palmarès des 200èmes Joutes Florales des Anciens Égoutiers et envisager avec la plus désarmante sérénité de ne pas rejoindre l’aérophage, euh pardon, l’aréopage de l’Académie Internationale des Mutilés du Gaz de Ville, tout cela trahissait chez moi paresse et dédain voire bien pire, refus de relever ces défis par peur lamentable d’échouer... Le regard chargé d’un soupçon qu’il traduisit par un laconique mais lourd de sens “oh moi, ce que j’en dis...”, mon camarade dépité prit congé.
Non mais, pour qui me prenait-il ? Pour un coureur de lauriers de sous-sous-préfecture ? Monsieur, je suis un chasseur de prime, moi Monsieur ! Et je ne mets en branle la Muse qui m’habite que si j’ai les bourses bien pleines ! Je concède quand même un léger regret : n’avoir point participé, dans la fleur de mes vingt ans, à un concours de poésie en Beaujolais où l’on pouvait gagner son poids en bouteilles. J’étais sans doute trop jeune et maintenant qu’à mon âge canonique j’aurais besoin d’un petit remontant, voilà qu’il est trop tard !

(À suivre)

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