28 mars 2006
De la rue monte une fraîche parole
Effets de foehn
L'amour venté des grands épicéas
Fûts balancés dans le chant des trois-mâts.
Les sources sans souci des herbes sèches
Eaux chavirées en rivières d'un jour.
La paille des talus et ses flammèches
Lents feux pour ouvrir chemins et détours.
Le réveil dans la nuit d'obscurs dormeurs
Très vieux effrois perdus aux quatre vents.
Le temps volé, le pillage des heures
Saisons confisquées et tous ces printemps...
Le soir lourd de lilas, de banderoles
Patience à bout colère ensoleillée.
Férus d'épicéas énamourés !
De la rue monte une fraîche parole.
11:05 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (2)
18 mars 2006
Tu écris toujours ? (38)
Conseils à ceux qui ont un écrivain à la maison
Vous avez un écrivain à la maison ? Pas d’affolement. (D’accord, c’est tombé sur vous. Dites-vous que c’est le destin). Voici les solutions adaptées à quelques dysfonctionnements classiques.
Votre écrivain est trop gros : il n’a pas assez d’exercice. Emmenez-le en promenade.
Votre écrivain est trop maigre : il a peut-être le ver solitaire. Pouah !
Votre écrivain est poète et taciturne : il a sans doute le vers solitaire.
Si votre écrivain est votre mari, qu'il a trouvé un job de gardien dans un immense hôtel fermé loin de tout et qu'en déambulant dans les couloirs de cet endroit sinistre, vous entrez dans une pièce où il a installé une machine à écrire et dactylographié une feuille avec toujours le même mot répété sur toute la page, soyez sur vos gardes. Si, en plus, votre écrivain s'est muni d'une hache et qu'il a le même genre de regard que celui de Jack Nicholson dans Shining, il est sûrement très déprimé. Déguerpissez et contactez un spécialiste en vitesse.
Votre écrivain ne fonctionne pas : il s’agit peut-être d’un écrivain sans œuvre. Cela n’a rien d’alarmant car ce type d’écrivain réussit souvent dans la chasse aux bourses d’aide à l’écriture. Et dans le monde actuel, mieux vaut un écrivain sans œuvre avec des bourses qu’un écrivain sans bourses avec des œuvres.
En société, votre écrivain jette un froid en plein repas de communion en déclarant que le retour des religions va provoquer une guerre nucléaire et que, pour cette raison, il aurait mieux valu ne pas faire d’enfants : ne vous inquiétez pas. La situation internationale n’est pas plus tendue que d’habitude et votre écrivain a simplement dû se faire refuser un manuscrit.
Votre écrivain fait une crise d’optimisme béat : méfiance ! On a dû lui faire des propositions mirobolantes du style “votre manuscrit est accepté par le comité de lecture et paraîtra dans six mois.” Cette situation est plus grave que la précédente. Au moindre retard de publication, ce n’est pas la guerre nucléaire de religion qu’il prophétisera mais quelque chose de bien pire (qu’il pourrait arrêter d’écrire, par exemple). Et si le livre ne paraît pas, alors là...
Votre écrivain est infernal et vous ne savez plus comment vous y prendre avec lui : avez-vous pensé à vous équiper d’un cochon d’Inde ? En observant attentivement ce petit animal, vous verrez que votre écrivain et lui ont beaucoup de points communs.
Par exemple, il existe bien sûr des élevages de cochons d’Inde mais savez-vous qu’on peut aussi faire de l’élevage d’écrivain ? Mais oui, dans des lieux très variés comme certaines grandes maisons d’édition et dans les universités américaines. Quelques organismes publics pratiquent aussi l’élevage d’écrivain mais leurs résultats sont aléatoires. Souvent, les écrivains ainsi élevés (par les bourses) s’habituent et, une fois lâchés par l’éleveur, ils n’arrivent plus à s’adapter au retour à la vie sauvage. C’est con.
Le cochon d’Inde est casanier, attaché à ses habitudes et il adore manger. Souvent, l’écrivain est pareil.
Le cochon d’Inde aime être caressé dans le sens du poil, l’écrivain aussi. Le cochon d’Inde apprécie modérément qu’on lui grattouille le ventre, l’écrivain ça dépend.
Dans les situations désespérées face au surmulot (son pire ennemi), le cochon d’Inde, contrairement à ce qu’on croit, peut faire preuve d’un courage héroïque. On a vu des écrivains se comporter de la même façon, y compris en cas de contact avec un surmulot.
Le cochon d’Inde, que la nature n’a pas doté de moyens de défense très efficaces, compense ce handicap lorsqu’il est agressé, par toute une panoplie de comportements théâtraux censés impressionner ou déstabiliser l’adversaire (mâchoire ouverte, agitation, poils hérissés). Parfois, les écrivains le font aussi, même à la télévision, mais comme ils sont habillés, on ne voit pas leurs poils.
Vous voyez donc que l’observation du cochon d’Inde peut vous permettre de comprendre certains comportements de votre écrivain. Vous pouvez même tester sur cet affectueux petit mammifère les solutions que vous envisagez d’adopter pour régler les problèmes rencontrés auprès de votre écrivain car le cochon d’Inde, comme chacun sait, est un excellent cobaye. Ces deux animaux sont très proches, vous pouvez me croire car j’en connais un rayon sur les cochons d’Inde et je pourrais encore continuer longtemps à en parler. Non ? Ah bon.
Je voudrais juste préciser une chose à propos du cochon d’Inde : ne pas l’empêcher de manger ses crottes. D’abord, il ne s’agit point à proprement parler d’excréments “normaux” mais de petites concrétions de forme oblongue produites dans leur cæcum. En les ingérant, le cochon d’Inde s’assure un indispensable complément en vitamine B.
Finalement, c’est bien la seule différence avec votre écrivain. Enfin, je l’espère pour vous.
PS : un bon livre sur le cochon d’Inde, avec un titre original : “Le cochon d’Inde”, par Katrin Behrend et Karin Skogstad, sous-titré “Bien le soigner, bien le nourrir, bien le comprendre”. Éditions Marabout (hi hi ! Le cochon d’Inde aux éditions Marabout !)
Pour la même collection, rien ne vous empêche de tenter votre chance en proposant :
“L’écrivain : bien le soigner, bien le nourrir, bien le comprendre.”
(À suivre)
19:20 | Lien permanent | Commentaires (8)
17 mars 2006
CPE = Contrat Précaire Emploi
On s'étonne de me voir ferrailler contre le service civique obligatoire, ce lapin sénile sorti du gibus défoncé de quelques illusionnistes (dont le talent inspire moins confiance que celui du bon vieux pétomane d'antan) sous prétexte qu'il y a plus d'urgence à combattre le CPE. Faut-il pourtant rappeler que le service civique obligatoire sort du même magasin d'accessoires ? Tout récemment, un lecteur est venu commenter mon deuxième billet contre le service civique obligatoire sur le thème du don et de la fraternité, celle-ci étant qualifiée par ce lecteur "d'emblème de la République". J'ai répondu dans l'espace des commentaires mais comme le blog a un petit côté ardoise magique, je redonne ici ma réponse à ce lecteur :
Tout le monde (ou presque) est pour la fraternité mais permettez-moi de douter de la bonne santé de ce mot si galvaudé en ce moment.
Jamais on ne l'a autant prononcé, rabâché, qu'en cette époque où l'on entend à longueur de journée la litanie "SDF", "fin de droits", "radiation"...
Jamais ce pauvre mot épuisé, vidé de son sens, n'a sonné si creux que dans les discours politiques et médiatiques actuels qui se gobergent de fraternité ou de solidarité alors que les seules "valeurs" prônées dans ces mêmes discours sont la compétition et la concurrence, non seulement entre les entreprises mais encore, ce qui est bien plus grave, entre les personnes.
Quelle fraternité peut encore se développer lorsque, depuis votre poste de travail (notamment dans le privé mais aussi, de plus en plus, dans le public) vous voyez quinze personnes lorgner sur votre emploi et vos patrons ou vos supérieurs guetter votre faux pas pour vous remplacer par moins cher et plus docile ?
Quant à "donner de son temps", quel sens peut avoir la notion de don dans une société essentiellement marchande comme la nôtre ?
On ne peut pas à la fois convaincre les individus que tout s'achète et se vend et qu'il n' y a pas d'alternative à ce système puis leur demander de pratiquer le don et la fraternité.
Dans une telle contradiction, la notion de fraternité n'est effectivement qu'un "emblème", c'est-à-dire une figure, un ornement symbolique, tout comme l'idée du service civique obligatoire.
Quant à ce fameux CPE, il porte bien ses initiales : Contrat Précaire Emploi.
15:25 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (4)