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30 mai 2009

À quel moment le papillon nous joua-t-il son meilleur tour ?


Extrait de mon roman Le Grand variable. Éditions Editinter. (Épuisé).

Dessin de Gaëlle Barbe © Gaëlle Barbe 2009.


Il y avait du vent mais l’air était doux, le temps clair et la mer frisée. Pour tout dire, un de ces jours qui semblent embrasser plusieurs saisons en même temps.gaelle_barbe.jpg
Sur place, une foule d’inconnus qui se tenaient à bonne distance olfactive du papillon et, un peu à l’écart de tout ce monde, Marius et l’enseigne de vaisseau Mhorn, beaucoup plus près mais sur une petite dune qui, pour des raisons liées à la géographie des lieux, ne prend jamais de front le vent marin, de sorte qu’aucune bouffée entêtante émanant du papillon ne pouvait les atteindre.
Dans la foule, une tension croissante provoquait des ondulations presque semblables à celles qui parcourent les champs l’été lorsque la brise tourne en vent.
C’est que le papillon n’offrait plus le même spectacle gracieux auquel chacun s’était habitué dans une sorte de bienveillante résignation. Un épais liquide opalin suintait de dessous son corps immense et formait autour de lui de petites flaques si visqueuses que le sable, pourtant très fin, ne parvenait pas à les absorber. Le plus frappant était de constater que ces écoulements d’aspect très répugnant exhalaient une odeur des plus délicieuses aux notes purement florales de pivoine et d’oeillet. Parfois, des clapotis accompagnaient la lente expulsion d’une quantité plus importante de liquide et le papillon se mettait alors à battre péniblement des ailes comme sous l’emprise d’un effort intense.
Chacun suivait la scène avec intérêt et dégoût sans plus savoir s’il fallait se boucher le nez à l’aide d’un mouchoir ou, au contraire, respirer à pleins poumons les effluves.
Pendant ce temps, la marée montait et chaque nouvelle vague traçait sur le sable déjà lissé la plus éphémère des frontières entre le monde de la poussière et celui de l’écume. C’est alors qu’une vague un peu plus forte que les autres vint se briser dans un grand fracas de coquillages broyés et de petits cailloux polis de toutes les couleurs. Cela tira jusqu’au sable sec une langue d’écume qui humecta l’une des flaques poisseuses sécrétées par le corps du papillon. Aussitôt, le contact entre l’eau de mer et la boue parfumée produisit une effervescence d’où s’échappa en bruissant une nuée de papillons d’un bleu profond, tous de la taille d’un papier de bonbon. Une autre flaque s’évapora ainsi en un désordre d’éclairs bleutés, puis une autre et encore une autre jusqu’à ce que l’eau ait cerné le papillon géant qui semblait maintenant jeter ses dernières forces dans un lent battement de ses ailes vastes comme des voiles. Ces mouvements qui n’étaient peut-être qu’une tentative d’envol soulevèrent un vent de sable dont le souffle irritant se mêla aux myriades de petites ailes abandonnées à l’essor le plus frénétique.
La foule se dispersa. Les gens rentraient chez eux car c’était l’heure du match à la télévision.
Un match de football ou de rugby, je ne sais pas. De toute façon, pour moi, c’est du pareil au même.
Peu après, le papillon s’arrêta de battre des ailes et l’on entendit, du côté du couchant, comme un soupir de mer, et, du côté de la dune, le friselis des grains de sable sur les carex.
Après quelques mètres sur la plage, je secouai mes espadrilles sur les caillebotis qui aident à franchir la grande dune. Au sommet, je me retournai pour tenter d’apercevoir Mhorn ou Marius dans les parages. Personne. J’empruntai donc seul sous de lourds nuages le chemin goudronné qui dessert les maisons les plus isolées, les premières avant les bars et restaurants des nuits d’été. Il me revint alors en mémoire que l’enseigne de vaisseau Mhorn devait dîner en ville. Quant à Marius, il était sans doute déjà au lit. Je décidai de l’imiter et j’accélérai le pas pour fuir au plus vite l’affreux murmure de la retransmission du match qui sortait de toutes les fenêtres et de toutes les terrasses et qui enflait parfois en une odieuse rumeur au terme d’une de ces actions d’éclat qu’on appelle but ou essai.
Une fois de plus, avant de m’endormir, je bénis les deux grands pins qui, à travers les lamelles ébréchées des persiennes, frissonnent dans les ombres de ma chambre lorsque la brise les visite. Leur respiration couvrait en effet les clameurs du match télévisé dont les exclamations assourdies auraient pu me parvenir encore.
Je me souviens que cette nuit-là, j’ai rêvé que j’habitais une cabane dans les roseaux. Le souffle du vent parmi leur amicale multitude me jouait une pièce pour orgue de Jehan Alain : “postlude pour l’Office de Complies”.
C’est curieux mais c’est ainsi.

28 mai 2009

Entreprise et culture

Lu aujourd'hui un article insipide intitulé Les entreprises aiment-elles vraiment la culture ? Après trois pages de verbiage sur trois colonnes, on n'est pas plus avancé. Peu importe quand on sait que ce qu'aiment les entreprises, c'est la culture d'entreprise et que la culture d'entreprise est à la culture ce que la musique militaire est à la musique.

22 mai 2009

Jours et nuits de grand vent.

Dans le chemin, les anémones pulsatilles ont étiré leurs corolles en petits plumeaux qui capturent la rosée. On pourrait croire qu’il s’agit d’autres plantes, mais non, ce sont bien toujours les anémones. Elles se transforment pour mieux revenir identiques à elles-mêmes, dans un an. Pendant que les lilas enveloppent la maison de parfum, les jonquilles IMG_6071.JPGfinissent leur brève saison sur les hauteurs. Les narcisses, moins nombreux mais plus odorants, leur succèdent. Le grand pré derrière la maison m’a pris de vitesse et je me retrouve avec trois mille mètres carrés de foin. Plus question de parler de tonte mais de fauchage... Tout autour, les frênes, qui sont les derniers à dérouler leurs feuilles et les premiers à les perdre, s’ébrouent dans les courants d’air chaud. Certaines nuits, la lune semble poussiéreuse entre les nuages d’orage. Le feuillage tout neuf du tilleul filtre le halo du dernier lampadaire du village. Dans la zone sombre du ciel, quelques lointains éclairs. Effet de fœhn. Au printemps, ma grand-mère appelait ce phénomène « le vent foliéru » (le vent des feuilles) et en automne « le vent défoliéru » (le vent qui les enlève). IMG_6055.JPGEn ces jours et ces nuits de vie intense, dans les bourrasques joyeuses et parfumées, je l’entends : « tiens, voilà le vent foliéru ! »

Photos : jonquilles dans le Haut-Jura (photos MCC, mai 2009).