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17 octobre 2014

Carnet / De celui qui ne demandait pas la lune

Debout très tôt hier jeudi matin alors qu’il fait encore nuit. Bonne surprise, c’est la grève sur France Musique. Donc, pas d’informations, pas de revue de presse, pas d’interviews téléphoniques d’organisateurs de spectacles, en un mot, pas de baratin, juste de la musique ! Vive la grève !

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J’allume le Mac en pensant que voici quelques années, je n’aurais jamais imaginé que cela puisse être un de mes premiers gestes de la journée. Avant, pendant que le café montait dans ma petite cafetière italienne, j’ouvrais un carnet et notais ce qui pouvait rester de mes pensées conçues lors de réveils subits ou de phases d’insomnies plus ou moins longues.

Depuis longtemps désormais, bien que j'utilise toujours les carnets dans de nombreuses circonstances, j’écris souvent directement ces notes au clavier de l’ordinateur, je les « saisis », le mot est très juste. Il ne s’agit pas de rêves. Mes rêves nocturnes ne m’intéressent pas car je sens bien qu’ils ne sont que le résultat de l’activité de rangement et de classement du cerveau qui semble se comporter comme un ordinateur opérant des remises à jour, du rangement dans le grand fatras des sollicitations, émotions et perceptions de la journée

Ce désintérêt pour mes rêves nocturnes navre un peu une personne de ma connaissance avec qui nous abordons parfois le sujet. Elle pense que les rêves ont quelque chose à nous dire et que savoir les interpréter peut aider dans la vie de tous les jours. 

Tout d’abord, en raison de mes rythmes biologiques perturbés, je ne me souviens presque plus de mes rêves. Il se peut que je manque une phase de sommeil en me couchant très tard, le plus souvent après avoir écrit, lu ou écouté de la musique. Si je me lève très tôt après m’être couché très tard, je n’ai même pas le sentiment d’avoir rêvé, juste l’impression de n’avoir dormi que d’un œil. Si je fais la grasse matinée, je rêve et je m’en souviens. Le matériau est le plus souvent très pauvre. Il s’agit de rêves laborieux au cours desquels je revis sans cesse, à quelques variantes près, les épisodes les plus désagréables de ma vie, essentiellement des situations d’échec à l’école et au travail. 

En dehors de la perte des proches, les expériences les plus pénibles de ma vie furent l’école et le travail. Parfois, les rêves ressassant ces corvées prennent un tour comique, tel celui où l’un de mes professeurs de lycée s’adresse à moi d’une voix solennelle pour m’expliquer que je viens d’atteindre ma trentième année et que l’établissement ne pourra  de ce fait plus envisager pour moi un nouveau redoublement !

La variante professionnelle de ce rêve se passe à l’agence du quotidien où j’ai encore honte aujourd’hui d’avoir exercé l’activité de rédacteur pendant presque dix ans. À cette époque, un chauffeur chargé de collecter photos et copie constituant la rubrique du lendemain se présentait en fin de matinée à l’agence où je devais lui remettre en main propre l’enveloppe contenant l’essentiel du contenu des pages locales à paraître. Le rêve récurrent datant de cette lamentable période me met en scène quelques minutes avant l’arrivée du chauffeur alors que je n’ai absolument rien trouvé pour alimenter mes pages, pas une ligne, pas une photo ! 

Pas besoin d’une fine et savante interprétation pour comprendre la signification de ces rêves ! Par leur récurrence, ils expriment la colère qui me brûle à l’idée de toutes ces années de vie perdues dans des enseignements et des activités qui m’ont été pour la plupart complètement inutiles alors que je savais déjà depuis la fin de l’enfance à quoi je me destinais: écrire des histoires et assister en paix au spectacle de la vie immédiate. Autrement dit, je ne demandais pas la lune !

 

Illustration : dessin de Frédéric Guénot pour la publication en feuilleton dans la revue Salmigondis de mon livre le Grand variable (éditions Éditinter, épuisé).

25 mai 2014

Cinq minutes et l’éternité

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Se douchent en cinq minutes

S’habillent en cinq minutes

Déjeunent en cinq minutes

Font la vaisselle en cinq minutes

Sont prêts en cinq minutes

Partent en cinq minutes

Sont opérationnels efficaces performants productifs en cinq minutes

Réagissent en cinq minutes

Ne restent aux toilettes que cinq minutes

Pigent en cinq minutes

Résolvent un problème en cinq minutes

S’adaptent en cinq minutes

S’activent en cinq minutes

Meurent

Sont oubliés en cinq minutes

Pas grave

Se sont oubliés eux-mêmes

Mais qu’ont-ils fait le reste du temps ?

 

(Extrait de Poèmes de Preben Mhorn) © Éditions Orage-Lagune-Express

11 mai 2014

Carnet / Variations en gris : un instituteur

 

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La vie dans les petites villes de province est un ballet d’ombres furtives.

Cette très grise matinée, j’ai emprunté mon itinéraire habituel, ces petites rues entre l’église et l’école primaire, cette place avec vieux platanes sous lesquels traînait hier mon cartable et sous lesquels flottent aujourd’hui mon imper blanc et mon parapluie noir. Quarante ans séparent ces deux silhouettes traversant une scène de quelques dizaines de mètres carrés, la scène d’un petit théâtre où l’on donne toujours la même pièce. Sorti plus tôt que d’habitude, j’ai dû contourner le porche de l’église où attendait le corbillard.

Dans la classe du cours moyen, le nez sur mes mauvais cahiers de brouillon constellés de pâtés à cause de ces saletés de porte-plume et d’encriers, j’entendais le glas rythmer ces heures ternes sous le regard inquiétant de l’instituteur.

Depuis quelques jours, je ne cesse de croiser le chemin de cet homme massif aujourd’hui un peu voûté et le cheveu à peine plus rare. Toujours les mêmes grosses lunettes rectangulaires et ce même regard qui semble dire exactement comme il y a quarante ans : « on n’est pas sur Terre pour s’amuser ». À la fin de mon adolescence, époque à laquelle j’ai dû l’apercevoir une fois en ville, j’ai fait un détour de plusieurs centaines de mètres pour l’éviter. Précaution inutile puisqu’il ne m’aurait sans doute pas plus reconnu qu’aujourd’hui. Avec lui, même les cours de dessin tournaient à la corvée. Je me souviens que lors d’une séance de dessin libre, il avait averti que quiconque n’aurait pas fini son dessin dans le temps imparti serait puni. J’avais dessiné un château fort et je me croyais tranquille mais ce grand pédagogue avait estimé que mon dessin n’était pas fini car je n’avais pas colorié les murs du château. J’ai donc été puni. 

Cet instituteur est resté plus qu’un autre dans mon (mauvais) souvenir car il avait mis au point un système particulier de notation. Il s’agissait de ce qu’il appelait lui-même des « fiches de paie » , des fiches cartonnées oblongues de couleur grise distribuées chaque fin de semaine dans une grande tension. Elles comportaient trois rubriques respectivement intitulées « travail » , « écriture » , « conduite » (nous dirions aujourd’hui « comportement »), chacune étant destinée à recevoir une mention très bien, bien, moyen, mal, très mal. Toute fiche de paie ne réunissant pas le nombre voulu de moyen, bien ou très bien, nombre établi selon des critères qui m’échappent toujours, envoyait automatiquement son destinataire en colle le jeudi. Médiocre en travail et écriture (écriture désignant non pas la qualité de l’expression écrite mais simplement la capacité à former les lettres !), j’échappais en général à la retenue du jeudi grâce à la rubrique « conduite » griffée de la mention très bien que m’assurait à coup sûr la crainte dans laquelle je vivais ces heures de classe au son du glas.

C’est que le bonhomme piquait de terribles colères, notamment les jours de dictée, l’un des rares exercices auquel je prenais parfois plaisir dans d’autres classes que la sienne. Une faute, une tache d’encre, un murmure suffisaient à déclencher les grondements et les coups de tonnerre de cette voix sourde. Sur l’estrade, le dos de sa blouse en nylon formait un rectangle gris qui se superposait en une figure abstraite au triptyque du tableau noir. De temps à autres, de petits projectiles de papier plié jusqu’à obtenir la densité adaptée frappaient le dos de cette blouse grise en faisant plac plac. Ceux qui les projetaient au moyen d’un élastique étaient considérés comme les durs d’entre les durs mais leurs exploits individuels déclenchaient presque toujours une punition collective.

De fait, cet instituteur typique de ceux qui sévissaient dans les écoles de garçon dites libres dans les années soixante du vingtième siècle nous préparait à notre avenir de petit soldat avec ses punitions collectives en avant-goût du service militaire et à notre avenir de valet ou de capitaine d’industrie avec ses fiches de paie en carton. Le service militaire a heureusement été supprimé (de toute façon, je me suis quant à moi débrouillé pour être réformé) , quant à l’industrie, elle est dans l’état que nous connaissons aujourd’hui.

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Note : ce texte date de 2006, il faut donc rajouter quelques années au nombre de celles qui figurent dans cette version.

Photos : - en classe, la vie en gris

- blouse grise autrefois portée par les instituteurs. Dans les années soixante du vingtième siècle, ces blouses n'étaient plus en mauvais drap comme sur la photo mais en nylon.

© Éditions Orage-Lagune-Express, 2014