Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

17 octobre 2014

Carnet / De celui qui ne demandait pas la lune

Debout très tôt hier jeudi matin alors qu’il fait encore nuit. Bonne surprise, c’est la grève sur France Musique. Donc, pas d’informations, pas de revue de presse, pas d’interviews téléphoniques d’organisateurs de spectacles, en un mot, pas de baratin, juste de la musique ! Vive la grève !

 lune,nuit,carnet,note,journal,écriture de soi,autobiographie,rêves nocturnes,rêve,insomnie,réveil,ordinateur,mac,france musique,radio,grève,mouvement social,blog littéraire de christian cottet-emard,école,travail,échec scolaire,corvée,mal être au travail,christian cottet-emard,dessin,frédéric guénot,le grand variable,revue salmigondis,illustration,presse,rubrique locale,journalisme,pqr

J’allume le Mac en pensant que voici quelques années, je n’aurais jamais imaginé que cela puisse être un de mes premiers gestes de la journée. Avant, pendant que le café montait dans ma petite cafetière italienne, j’ouvrais un carnet et notais ce qui pouvait rester de mes pensées conçues lors de réveils subits ou de phases d’insomnies plus ou moins longues.

Depuis longtemps désormais, bien que j'utilise toujours les carnets dans de nombreuses circonstances, j’écris souvent directement ces notes au clavier de l’ordinateur, je les « saisis », le mot est très juste. Il ne s’agit pas de rêves. Mes rêves nocturnes ne m’intéressent pas car je sens bien qu’ils ne sont que le résultat de l’activité de rangement et de classement du cerveau qui semble se comporter comme un ordinateur opérant des remises à jour, du rangement dans le grand fatras des sollicitations, émotions et perceptions de la journée

Ce désintérêt pour mes rêves nocturnes navre un peu une personne de ma connaissance avec qui nous abordons parfois le sujet. Elle pense que les rêves ont quelque chose à nous dire et que savoir les interpréter peut aider dans la vie de tous les jours. 

Tout d’abord, en raison de mes rythmes biologiques perturbés, je ne me souviens presque plus de mes rêves. Il se peut que je manque une phase de sommeil en me couchant très tard, le plus souvent après avoir écrit, lu ou écouté de la musique. Si je me lève très tôt après m’être couché très tard, je n’ai même pas le sentiment d’avoir rêvé, juste l’impression de n’avoir dormi que d’un œil. Si je fais la grasse matinée, je rêve et je m’en souviens. Le matériau est le plus souvent très pauvre. Il s’agit de rêves laborieux au cours desquels je revis sans cesse, à quelques variantes près, les épisodes les plus désagréables de ma vie, essentiellement des situations d’échec à l’école et au travail. 

En dehors de la perte des proches, les expériences les plus pénibles de ma vie furent l’école et le travail. Parfois, les rêves ressassant ces corvées prennent un tour comique, tel celui où l’un de mes professeurs de lycée s’adresse à moi d’une voix solennelle pour m’expliquer que je viens d’atteindre ma trentième année et que l’établissement ne pourra  de ce fait plus envisager pour moi un nouveau redoublement !

La variante professionnelle de ce rêve se passe à l’agence du quotidien où j’ai encore honte aujourd’hui d’avoir exercé l’activité de rédacteur pendant presque dix ans. À cette époque, un chauffeur chargé de collecter photos et copie constituant la rubrique du lendemain se présentait en fin de matinée à l’agence où je devais lui remettre en main propre l’enveloppe contenant l’essentiel du contenu des pages locales à paraître. Le rêve récurrent datant de cette lamentable période me met en scène quelques minutes avant l’arrivée du chauffeur alors que je n’ai absolument rien trouvé pour alimenter mes pages, pas une ligne, pas une photo ! 

Pas besoin d’une fine et savante interprétation pour comprendre la signification de ces rêves ! Par leur récurrence, ils expriment la colère qui me brûle à l’idée de toutes ces années de vie perdues dans des enseignements et des activités qui m’ont été pour la plupart complètement inutiles alors que je savais déjà depuis la fin de l’enfance à quoi je me destinais: écrire des histoires et assister en paix au spectacle de la vie immédiate. Autrement dit, je ne demandais pas la lune !

 

Illustration : dessin de Frédéric Guénot pour la publication en feuilleton dans la revue Salmigondis de mon livre le Grand variable (éditions Éditinter, épuisé).

26 juillet 2014

Robots rédacteurs : l'économie et le sport en première ligne ?

presse,information,locale,journaux,quotidiens régionaux,pqr,presse quotidienne régionale,journaliste,rédacteur,conteu,web,associated press,algorithme,automated insights,le monde,sport,économie,carte de presse,article automatique,blog littéraire de christian cottet-emard,et à part ça,kriss hammond,université de northwestern,chicago,robot écrivant,science narrative,robert hersant,patron de presseTrès peu de temps après avoir reçu ma carte de presse lors de mes débuts professionnels lorsque j’avais une vingtaine d’années, j’ai compris qu'en raison de l’inanité et  du caractère répétitif de l’information sur laquelle je travaillais, celle-ci pouvait être traitée par un robot. À cette époque, l’informatisation de la profession commençait à peine dans les rédactions mais le non regretté patron de presse feu Robert Hersant rêvait déjà d’un journal sans journalistes. La réalité vient de rattraper son rêve.

J’ai en effet lu dans Le Monde que l’agence de presse américaine Associated Press utilise désormais le logiciel Automated Insights pour fournir des articles d’information économique. L’article du Monde nous apprend que la production automatisée de contenus est poétiquement appelée Science narrative et que, selon Kris Hammond, chercheur à l’université de Northwestern, d’ici à 2025, 90% des contenus accessibles au grand public seront produits par des robots écrivants. Je découvre aussi avec ravissement que l’agence Associated Press s’apprête à utiliser le logiciel Automated Insights pour ses articles de sport universitaire !

Je note au passage que les premiers contenus concernés par cette évolution technologique sont l’économie et le sport, ce qui n’a rien d’étonnant puisque, dans ces deux rubriques, le chiffre comptant plus que le sens, des algorithmes suffiront largement pour contribuer à l’élaboration d’un article automatique. 

Les occasions de rire étant rares en ce moment, je n’ai évidemment pas loupé celle-là, d’autant que, nous précise l’article du Monde, toujours selon le chercheur Kriss Hammond, ce phénomène se traduira par un accroissement gigantesque des contenus sur le Web. (!) On rejoint ici, toute proportion gardée, la situation de la poésie: de plus en plus de contenus, de moins en moins de lecteurs!

Blague à part, on constate aisément depuis longtemps, à la lecture des quotidiens régionaux, que des robots feraient tout aussi bien l’affaire que des journalistes pour se charger de distiller l’incessant radotage des locales avec leurs comptes-rendus d’assemblées générales qui arrivent pile aux mêmes dates chaque année, leurs inaugurations de chrysanthèmes, leur logorrhée sportive, bref, tout ce lamentable bavardage au service duquel une monstrueuse logistique est mobilisée au seul profit des épluchures et du feu dans la cheminée.

Reste à savoir, face à l’inflation prévisible de ces contenus automatiques, qui les lira. Des robots lecteurs ?

18 novembre 2013

Une belle descente

presse, média, journal, quotidien, revue, mercure,loto,bonheur,chiffre,nombre,presse,canniveau,jeu,gain,localier,pqr,rédacteur presse,journaliste,blog littéraire de christian cottet-emard,fortune,infortune,destin,déterminismeExtrait de Souvenirs d'un localier, publié dans le n°1 de la revue MERCURE, les médias autrement, hiver 2007. Cet épisode était à l'origine intitulé Le loto du bonheur. Pour en lire le premier épisode, on se reportera ici.

Ah, le loto ! Malignité des chiffres par excellence... Un fâcheux troubla un jour la vie végétative que j’espérais mener à l’agence locale du quotidien où je souffrais durant les semaines les plus arides de l’été. Un coup de téléphone du directeur de la rédaction départementale gâcha brutalement la fin de ma digestion. Par je ne sais quelle indiscrétion, il venait d’apprendre qu’un gros gain du loto venait de s’abattre sur une HLM d’une commune hélas située dans ma zone d’investigations. Je devais me rendre sans délai au domicile de l’élu de la fortune, lui tirer le portrait et décamper à toute vitesse avant l’arrivée des « confrères » du journal concurrent. Le directeur départemental m’épela le nom du gagnant en ajoutant avec gourmandise : « c’est une famille fauchée. Une chance ! Alors allez-y, ne lésinez pas sur les violons et débrouillez-vous pour nous descendre la pellicule. » 

À l’adresse indiquée, je trouvai un de ces bâtiments HLM de la première génération que je photographiai sur le champ. Sa vétusté, reproduite sur quatre colonnes, donnerait par contraste toute la mesure du conte de fée qu’allaient vivre les nouveaux millionnaires. Au troisième étage, une étiquette écornée collée sur la porte m’informa que je me trouvais là où le destin avait choisi d’envoyer autre chose qu’une catastrophe. Je tourmentai un vestige de sonnette qui me resta dans la main. La porte s’entrouvrit et je vis apparaître une femme encore jeune, en peignoir, au visage fatigué. Je me présentai sans chercher à dissimuler le but de ma visite en m’attendant à ce qu’elle me claquât la porte au nez. À mon grand étonnement, elle m’autorisa à entrer. Un garçonnet et un bambin qui se mit à hurler en me voyant la suivaient dans le moindre de ses déplacements. Sur un buffet rescapé des années soixante, un poisson rouge obèse tournait dans un tout petit bocal. Pressé d’en finir, je tentai de convaincre cette femme qui n’avait pas l’air de s’amuser tous les jours de poser pour une photo de famille qui témoignerait de son nouveau bonheur. Mais son seul souci semblait être de calmer le bambin qui vociféra de plus belle en me voyant tenter un cadrage avec mon autofocus. « Calme-toi, calme-toi, tu vas réveiller ton père » suppliait-elle, l’air hagard. Et de m’envoyer un regard affolé en me disant : « je ne sais pas... Je ne sais vraiment pas... Mais faites vite car mon mari va se réveil... »

Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Un cri sauvage, inhumain, bestial, quelque chose entre le rugissement et le barrissement, ébranla le minuscule appartement, aussitôt suivi de coups répétés contre une porte que j’identifiai vite comme celle de la chambre où Monsieur venait de finir sa sieste. Terrorisée, la malheureuse femme tenta d’appuyer sa frêle silhouette contre la mince planche de contreplaqué que Monsieur martelait de coups de plus en plus violents. Il avait dû se lever du pied gauche. De fait, il produisait toute sorte de sons effrayants, allant du grognement au feulement, au milieu desquels je finis par distinguer les paroles suivantes qui m’emplirent d’inquiétude concernant le déroulement de ma mission : « pas de photos ! Pas de photos ! Pas de photos ! »

Les bras ballants, avec mon appareil que j’avais du mal à tenir dans une main qui commençait à trembler, je devinai aux yeux de cette femme au bord de la crise de nerf que Monsieur ne plaisantait pas, « surtout quand il a bu... » crut-elle utile de préciser. Et ce jour-là, manque de chance pour moi, il avait bu. C’était cela le hic, si j’ose dire. Je la vis avec stupeur tenter de retenir la porte qui donnait des signes sonores de faiblesse sous les assauts répétés du forcené. En une seconde, m’apparut la nécessité de choisir entre le devoir et la fuite. J’optai pour les deux à la fois mais en vitesse. Sans même viser, je mitraillai du côté de la femme et de la porte, rendant grâce à la technique d’avoir doté mon appareil d’un moteur et d’un flash automatique. Sur une pellicule entière, il y aurait bien au moins une vue de sauvable. Sur ce, je partis sans dire au revoir et dévalai les escaliers où résonnait encore le terrible « Pas de photos ! Pas de photos ! Pas de photos ! »

En sortant de l’immeuble, j’évitai de justesse une meute de gaillards aux allures douteuses que dégorgeaient des voitures bariolées aux couleurs de magazines à grands tirages et de stations  radiophoniques en mal d’actualité estivale. C’étaient les requins de la presse à sensation qui débarquaient. L’un d’eux, retardataire, me demanda le numéro de l’appartement. « Troisième étage, lui répondis-je. Vos collègues y sont déjà. Le monsieur donne une conférence de presse ». Arrivé à l’agence, je tombai par chance sur un pigiste qui savait développer les photos (chose qu’en dix ans de locale, je ne pus jamais me résoudre à apprendre, non seulement par principe syndical mais encore en raison des calculs forcément nécessaires à cette activité). Pendant qu’il s’acquittait de cette tâche, je commençai la rédaction de mon papier. Le directeur départemental m’informa qu’il avait déjà donné le titre au secrétaire de rédaction : « Le loto du bonheur ».

Je terminai péniblement mes deux feuillets lorsque le pigiste m’apporta les tirages encore humides. Il offrait même de les acheminer lui-même à la rédaction départementale, à cinquante kilomètres. Il semblait cependant perplexe. « Elles sont ratées mes photos ? » l’interrogeai-je en les lui prenant des mains. Non, techniquement, elles étaient honnêtes, tout à fait exploitables. L’ennui, c’était qu’il allait falloir changer le titre car toutes les prises de vues représentaient la même scène horrible : une femme échevelée, roulant des yeux exorbités de terreur et arc-boutée contre une porte à moitié ouverte dont l’embrasure laissait apparaître, tendus en avant,  deux énormes bras velus ainsi qu’un visage grimaçant d’où j’entendais encore sortir la phrase fatidique :  « Pas de photos ! Pas de photos ! Pas de photos ! » Enfin, pour compléter le tableau de ce loto du bonheur, la partie droite du tirage laissait une place de choix aux visages en pleurs des deux gamins, sans oublier la touche finale apportée par le détail du poisson obèse immortalisé dans son bocal trop petit. Heureux millionnaires !

Si j’ai pris la peine de relater ces souvenirs de mes années de galère journalistique, c’est  pour démontrer une fois de plus la malignité des chiffres et de l’usage qu’en fait l’humanité. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à souffrir de leur omnipotence. J’en veux pour preuve l’épilogue du loto du bonheur.  J’appris en effet que fortune faite, le monsieur au bras velus avait déménagé avec toute sa petite famille au premier étage d’un immeuble abritant un bistrot. Après avoir acheté l’ensemble, notamment le débit de boisson où il avait œuvré quelques temps, il avait bu le stock et fait faillite. C’est ce qu’on appelle une belle descente.

© Revue Mercure et Christian Cottet-Emard

presse,média,journal,quotidien,revue,mercure,loto,bonheur,chiffre,nombre,canniveau,jeu,gain,localier,pqr,rédacteur presse,journaliste,blog littéraire de christian cottet-emard,fortune,infortune,destin,déterminisme