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17 janvier 2015

Carnet / Imbécile...

Qu’est-ce qu’une vie quand on commence à regarder dans le rétroviseur ? Quelques vieux papiers à ranger.

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Au fond d’une armoire, j’ai retrouvé mes cahiers de l’école primaire, mes cahiers du jour et mes cahiers d’essai du cours préparatoire, conservés par mes parents qui n’ont pourtant pas dû les signer avec plaisir tant ils étaient mal tenus et témoins du début de l’échec scolaire. J’étais très malheureux à l’école, toujours entre la crainte et la colère sourde, silencieuse. Mes souvenirs scolaires sont aussi mauvais que mes souvenirs professionnels, c’est dire...

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Quarante-neuf ans après le cours préparatoire où je me trouvais donc en 1966, je revois dans la marge les appréciations et annotations du maître, avec pleins et déliés à l’encre rouge, et cette mention « imbécile » parfaitement calligraphiée parce que j’avais commencé ma page un peu trop bas !

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À l’époque, on ne s’embarrassait guère de pédagogie, laquelle se limitait souvent à une engueulade ou à une punition si on n’avait pas compris. Du coup, pour moi, le premier objectif n’était plus d’apprendre mais d’éviter l’engueulade et la punition, ce qui provoquait la faute, donc au final, l’engueulade et la punition avec pour résultat la spirale de l’échec. 

C’est ainsi que tout gosse je fonctionnais. D’autres moins sensibles marchaient à la compétition, parfois au prix d’autant d’angoisses, juste un peu moins visibles. D’autres s’adaptaient sans trop de problème à ce système d’enseignement basé sur la carotte et le bâton. Tout cela s’écrivait en silence, au porte-plume grattant et bavant, au son du glas tombant du clocher tout proche, sous l’œil noir du maître.

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Dans les pages de ces cahiers, les destins s’inscrivaient déjà entre les lignes avec à chacun son lot : ceux qui n’auraient droit qu’à une ébauche, un brouillon de vie, ceux qui deviendraient exactement ce pour quoi ils étaient programmés, ceux qui sortiraient du cadre, ceux qui tenteraient d’inventer leur vie, ceux qui se laisseraient porter par le flot, ceux qui se tiendraient à la marge (j’ai la chance de faire partie de cette dernière catégorie). 

Des décennies plus tard, la vie pouvait parfois rebattre les cartes, créer un autre désordre, mais à de rares exceptions près, comme au casino, les jeux étaient déjà faits.

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18 novembre 2013

Une belle descente

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Ah, le loto ! Malignité des chiffres par excellence... Un fâcheux troubla un jour la vie végétative que j’espérais mener à l’agence locale du quotidien où je souffrais durant les semaines les plus arides de l’été. Un coup de téléphone du directeur de la rédaction départementale gâcha brutalement la fin de ma digestion. Par je ne sais quelle indiscrétion, il venait d’apprendre qu’un gros gain du loto venait de s’abattre sur une HLM d’une commune hélas située dans ma zone d’investigations. Je devais me rendre sans délai au domicile de l’élu de la fortune, lui tirer le portrait et décamper à toute vitesse avant l’arrivée des « confrères » du journal concurrent. Le directeur départemental m’épela le nom du gagnant en ajoutant avec gourmandise : « c’est une famille fauchée. Une chance ! Alors allez-y, ne lésinez pas sur les violons et débrouillez-vous pour nous descendre la pellicule. » 

À l’adresse indiquée, je trouvai un de ces bâtiments HLM de la première génération que je photographiai sur le champ. Sa vétusté, reproduite sur quatre colonnes, donnerait par contraste toute la mesure du conte de fée qu’allaient vivre les nouveaux millionnaires. Au troisième étage, une étiquette écornée collée sur la porte m’informa que je me trouvais là où le destin avait choisi d’envoyer autre chose qu’une catastrophe. Je tourmentai un vestige de sonnette qui me resta dans la main. La porte s’entrouvrit et je vis apparaître une femme encore jeune, en peignoir, au visage fatigué. Je me présentai sans chercher à dissimuler le but de ma visite en m’attendant à ce qu’elle me claquât la porte au nez. À mon grand étonnement, elle m’autorisa à entrer. Un garçonnet et un bambin qui se mit à hurler en me voyant la suivaient dans le moindre de ses déplacements. Sur un buffet rescapé des années soixante, un poisson rouge obèse tournait dans un tout petit bocal. Pressé d’en finir, je tentai de convaincre cette femme qui n’avait pas l’air de s’amuser tous les jours de poser pour une photo de famille qui témoignerait de son nouveau bonheur. Mais son seul souci semblait être de calmer le bambin qui vociféra de plus belle en me voyant tenter un cadrage avec mon autofocus. « Calme-toi, calme-toi, tu vas réveiller ton père » suppliait-elle, l’air hagard. Et de m’envoyer un regard affolé en me disant : « je ne sais pas... Je ne sais vraiment pas... Mais faites vite car mon mari va se réveil... »

Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Un cri sauvage, inhumain, bestial, quelque chose entre le rugissement et le barrissement, ébranla le minuscule appartement, aussitôt suivi de coups répétés contre une porte que j’identifiai vite comme celle de la chambre où Monsieur venait de finir sa sieste. Terrorisée, la malheureuse femme tenta d’appuyer sa frêle silhouette contre la mince planche de contreplaqué que Monsieur martelait de coups de plus en plus violents. Il avait dû se lever du pied gauche. De fait, il produisait toute sorte de sons effrayants, allant du grognement au feulement, au milieu desquels je finis par distinguer les paroles suivantes qui m’emplirent d’inquiétude concernant le déroulement de ma mission : « pas de photos ! Pas de photos ! Pas de photos ! »

Les bras ballants, avec mon appareil que j’avais du mal à tenir dans une main qui commençait à trembler, je devinai aux yeux de cette femme au bord de la crise de nerf que Monsieur ne plaisantait pas, « surtout quand il a bu... » crut-elle utile de préciser. Et ce jour-là, manque de chance pour moi, il avait bu. C’était cela le hic, si j’ose dire. Je la vis avec stupeur tenter de retenir la porte qui donnait des signes sonores de faiblesse sous les assauts répétés du forcené. En une seconde, m’apparut la nécessité de choisir entre le devoir et la fuite. J’optai pour les deux à la fois mais en vitesse. Sans même viser, je mitraillai du côté de la femme et de la porte, rendant grâce à la technique d’avoir doté mon appareil d’un moteur et d’un flash automatique. Sur une pellicule entière, il y aurait bien au moins une vue de sauvable. Sur ce, je partis sans dire au revoir et dévalai les escaliers où résonnait encore le terrible « Pas de photos ! Pas de photos ! Pas de photos ! »

En sortant de l’immeuble, j’évitai de justesse une meute de gaillards aux allures douteuses que dégorgeaient des voitures bariolées aux couleurs de magazines à grands tirages et de stations  radiophoniques en mal d’actualité estivale. C’étaient les requins de la presse à sensation qui débarquaient. L’un d’eux, retardataire, me demanda le numéro de l’appartement. « Troisième étage, lui répondis-je. Vos collègues y sont déjà. Le monsieur donne une conférence de presse ». Arrivé à l’agence, je tombai par chance sur un pigiste qui savait développer les photos (chose qu’en dix ans de locale, je ne pus jamais me résoudre à apprendre, non seulement par principe syndical mais encore en raison des calculs forcément nécessaires à cette activité). Pendant qu’il s’acquittait de cette tâche, je commençai la rédaction de mon papier. Le directeur départemental m’informa qu’il avait déjà donné le titre au secrétaire de rédaction : « Le loto du bonheur ».

Je terminai péniblement mes deux feuillets lorsque le pigiste m’apporta les tirages encore humides. Il offrait même de les acheminer lui-même à la rédaction départementale, à cinquante kilomètres. Il semblait cependant perplexe. « Elles sont ratées mes photos ? » l’interrogeai-je en les lui prenant des mains. Non, techniquement, elles étaient honnêtes, tout à fait exploitables. L’ennui, c’était qu’il allait falloir changer le titre car toutes les prises de vues représentaient la même scène horrible : une femme échevelée, roulant des yeux exorbités de terreur et arc-boutée contre une porte à moitié ouverte dont l’embrasure laissait apparaître, tendus en avant,  deux énormes bras velus ainsi qu’un visage grimaçant d’où j’entendais encore sortir la phrase fatidique :  « Pas de photos ! Pas de photos ! Pas de photos ! » Enfin, pour compléter le tableau de ce loto du bonheur, la partie droite du tirage laissait une place de choix aux visages en pleurs des deux gamins, sans oublier la touche finale apportée par le détail du poisson obèse immortalisé dans son bocal trop petit. Heureux millionnaires !

Si j’ai pris la peine de relater ces souvenirs de mes années de galère journalistique, c’est  pour démontrer une fois de plus la malignité des chiffres et de l’usage qu’en fait l’humanité. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à souffrir de leur omnipotence. J’en veux pour preuve l’épilogue du loto du bonheur.  J’appris en effet que fortune faite, le monsieur au bras velus avait déménagé avec toute sa petite famille au premier étage d’un immeuble abritant un bistrot. Après avoir acheté l’ensemble, notamment le débit de boisson où il avait œuvré quelques temps, il avait bu le stock et fait faillite. C’est ce qu’on appelle une belle descente.

© Revue Mercure et Christian Cottet-Emard

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14 mars 2013

Ballet de la fée Clochette et autres tourments juvéniles

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Les bords maculés de l’encrier qui ressemble à un seau d’aisance miniature

La plume qui ripe sur le mauvais papier le buvard qui étend la tache la gomme (côté encre) qui troue la page le maître qui entoure le trou d’un cercle rouge et qui écrit « Imbécile »

Fée Clochette fais sonner la cloche pries-tu mais à part une sensation bizarre et vaguement agréable au bas ventre elle ne peut rien d’autre pour toi la petite fée bien roulée

Elle bat des ailes en tenue aussi légère que les grandes femmes mystérieuses lorgnées à travers l’œilleton d’un porte-clefs en plastique en forme de télévision tiré à une machine à sous de la fête foraine

Elle papillonne en pantoufles à pompons au-dessus de la ronde sempiternelle des chiffres et des nombres déjà occupés à ta ruine

Pendant ce temps le Maître dessine au tableau des patates de toutes les couleurs en expliquant que l’année prochaine au collège les mathématiques s’étudieront à l’aide de ces patates alors il demande que préférez-vous les patates ou les problèmes et tout le monde répond les patates m’sieur et un sourire goguenard qui dit jeunes gens je vous souhaite bien du plaisir lui donne la même tête et les mêmes yeux que le capitaine Crochet

Alors la fée Clochette disparaît jusqu’à l’ouverture de la haute porte libérant au son de l’allegro du troisième brandebourgeois tes cavalcades entre les murs du passage Étienne Dolet où elle t’attend déguisée en campanule

On peut dire qu’elle te fait déjà tourner la tête avec ses petites robes sous lesquelles regarde le soleil

Mais quand s’approche la nuit comme une locomotive à vapeur entrant en gare tu sais bien la fée Clochette qu’elle éclaire ce qu’elle peut


© Éditions Orage-Lagune-Express, 2013. Droits réservés pour le texte.

Image de Fée Clochette empruntée ici