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05 mai 2024

Les lézards (extrait de mon livre Chroniques oyonnaxiennes)

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Photo © Christian Cottet-Emard

Durant un épisode de mon enfance que je me plais dans mon souvenir à considérer comme bref, du moins je l'espère, je devins avec quelques autres créatures l'un des prédateurs des petits lézards des murailles du 17 boulevard Dupuy. Je les attrapais en usant de patience et de techniques de chasse hélas parfois trop maladroites pour qu'ils s'en sortent vivants car ils sont fragiles, même les plus gros.

Le poète Francis Ponge qualifie le lézard de chef-d'œuvre de la bijouterie préhistorique. Était-ce cette forme ciselée qui me fascinait ? Que Dieu nous protège de la fascination de qui que ce soit, et, en ce qui concerne les lézards et autres petits animaux familiers, de celle des enfants prenant lentement conscience de la vie et de la mort.

Mon arrière-grand-mère Clotilde m'avait déjà grondé après m'avoir surpris en flagrant délit de cet inutile braconnage. Tu le regretteras un jour ! m'avertit-elle en fronçant les sourcils. Je crus ce jour arrivé lorsque le spécimen de bonne taille à la gorge émaillée de nuances flamboyantes de rouge et d'orange que je venais de retenir entre mes doigts ouvrit grand sa gueule et retint le bout de mon index entre ses mâchoires.

Je ne ressentais bien sûr aucune douleur mais la vision du reptile fixé à mon doigt comme une pince à linge me mit subitement en panique. Je me précipitai alors dans cette posture ridicule en pleurnichant vers mon arrière-grand-mère. Entre temps, le lézard eut la bonne idée de lâcher prise. Mon arrière-grand-mère inspecta mon doigt intact et, rassurée, me dit que je n'avais qu'à laisser ces pauvres bêtes tranquilles.

Échaudé, je suivis son conseil mais je compris plus tard qu'en me prédisant des regrets d'avoir tourmenté les lézards, elle avait voulu m'avertir des remords que j'en éprouverai longtemps après, ce qui se révéla exact.

Aujourd'hui encore, je m'en veux et je crois même que si le temps m'est donné de confesser une dernière fois mes fautes avant l'extrême-onction (si l'officiant estime que je peux la recevoir afin de partir muni des sacrements de l'Église), l'épisode des lézards fera partie de la liste.

(Chroniques oyonnaxiennes. © Orage-Lagune-Express, 2023)

  • Pour les gens d'Oyonnax et sa région, ce livre est disponible à la librairie Buffet et au kiosque de l'hôpital d'Oyonnax (Ain) au prix de 12 €.  Il est aussi disponible au prêt à la médiathèque municipale d'Oyonnax, centre culturel Aragon.

Les services de presse sont à demander à : contact.ccottetemard@yahoo.fr

  • ASIN ‏ : ‎ B0C1JBHVG7
  • Éditeur ‏ : ‎ Orage-Lagune-Express. Diffusion : Independently published.
  • Langue ‏ : ‎ Français
  • Broché ‏ : ‎ 164 pages
  • ISBN-13 ‏ : ‎ 979-8390413326
  • Poids de l'article ‏ : ‎ 236 g
  • Dimensions ‏ : ‎ 12.85 x 1.07 x 19.84 cm
  • Commandes par correspondance : ici

 

09 juin 2023

Un extrait de CHRONIQUES OYONNAXIENNES (Tome 1, Boulevard de l'enfance), récemment paru

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Un soir de 1969, mes parents soupèrent plus tôt que d'habitude, me confièrent à ma grand-mère Marie-Rose puis s'habillèrent pour sortir comme ils en avaient l'habitude le samedi pour aller au cinéma. Un détail me chiffonnait, nous n'étions pas samedi. J'étais au lit lorsqu'ils rentrèrent mais je ne dormais pas. À mon chevet, ils m'annoncèrent qu'ils revenaient d'une réunion d'information sur un séjour à la colonie de vacances de Confort, un village de la vallée de la Valserine situé à une trentaine de kilomètres d'Oyonnax (autant dire sur la lune), et qu'ils m'avaient inscrit pour le mois de juillet. J'en fus très contrarié car la première fois qu'ils m'en avaient parlé, j'avais répondu que je n'étais pas intéressé.

Cette colonie de vacances de garçons était à l'époque gérée par l'association Air et Montagne en liaison avec la paroisse et elle jouissait d'une excellente réputation. Aujourd'hui encore, les gens de ma génération qui ont séjourné dans la grande bâtisse au milieu des champs en haut du village en ont gardé de très bons souvenirs. Il n'en fut pas de même pour moi mais je tiens à préciser que cette colonie de vacances n'en fut pas responsable car même dans mon enfance, je n'ai jamais pu m'adapter à la vie en collectivité. Inquiets de ce trait de mon caractère, mes parents avaient voulu bien faire en espérant que je revienne de ce séjour avec un avis différent. Ce fut bien sûr le contraire.

Je pris le lieu en grippe dès que je découvris le dortoir avec ses lits en métal et la vaste salle d'eau équipée de lavabos collectifs disposés en arc de cercle. À côté de chaque robinet, un savon ovale jaune orangé fixé à une tige de métal chromé servait à se débarbouiller le matin au lever. La douche hebdomadaire se prenait dans un local en prolongement du bâtiment des cuisines et du réfectoire, dans une enfilade de cabines aux portes battantes impossibles à verrouiller. Je compris vite que l'organisation du lieu allait me priver pendant un mois de toute possibilité de m'isoler, ce qui relève pourtant pour moi d'un besoin vital. Les cris, l'agitation, l'incessante promiscuité pendant la toilette, les repas et la sieste du début d'après-midi, les activités sportives, les chocs des ballons dans la cour en ciment (un bruit que je ne supporte toujours pas à soixante-trois ans), la bousculade au moment de la distribution du goûter, tout m'exaspérait.

Le soir au coucher, je pleurais en silence en pensant au lendemain et au lendemain du lendemain, en particulier au moment d'enfiler mes souliers que je ne savais pas lacer. Je n'acceptais pas d'être éloigné de mon environnement habituel et de ma famille, ce qui m'amena par la suite à organiser ma vie de manière à ne jamais prendre le risque de revivre une telle expérience. C'est par exemple la principale raison pour laquelle j'ai refusé de faire mon service militaire. Dès que je me déplace seul loin de chez moi du fait d'une quelconque contrainte, le plus souvent professionnelle, j'éprouve vite une panique voisine de celle qui peut étreindre un nageur au moment où il réalise qu'il s'est trop éloigné du rivage.

Au bout d'une semaine, je comptais déjà les jours. Ma famille ayant toujours tout archivé, jusqu'aux cartes postales, j'ai retrouvé deux lettres que j'avais envoyées à mes parents : à Confort, je ne suis pas tellement bien. J'espère que ça ne durera pas. À la fête des parents, je serais content qu'on me ramène à Oyonnax. En relisant aujourd'hui mon écriture de gamin de dix ans, je m'aperçois que le ton de ces lettres était largement en-dessous du malaise que j'éprouvais. Organisée à la moitié de la durée du séjour, la fête des parents consistait en une kermesse d'une journée à laquelle les familles des pensionnaires étaient conviées. Quand mes parents repartirent en fin d'après-midi, je vécus un moment vraiment difficile, bien conscient qu'il me restait encore deux semaines à tirer. Dès le début de cette troisième semaine, mon humeur et mon moral étaient si détériorés que plusieurs incidents s'enchaînèrent dont deux très significatifs de mon état d'esprit.

Le premier survint à l'occasion de la réception des colis de friandises que les parents faisaient livrer à leurs enfants. Sous prétexte que certains avaient plus que d'autres, les moniteurs décidèrent de tout mettre en commun et de gérer la distribution. Comme la plupart de mes camarades, je n'avais aucune réticence à partager mais j'interprétai l'instauration de cette mesure collectiviste comme une injuste confiscation. Je m'emparai donc de mon colis et, à la faveur d'un des brefs moments où l'on nous laissait nous occuper librement dans la cour, je le dissimulai dans une anfractuosité du muret en bordure du pré situé derrière la colonie. Cette solution peu commode m'amena à la conclusion que la meilleure cachette était mon ventre. J'engloutis donc l'intégralité du contenu du colis en deux jours, ce qui eut pour effet de me couper l'appétit au réfectoire et de m'écœurer le soir au coucher, le seul avantage ayant été de me rendre provisoirement imbattable à certains concours de gargouillis et borborygmes (il y avait des pastilles effervescentes à la menthe), joutes déloyales que nous improvisions, moi-même et quelques contestataires, pour perturber la sieste obligatoire.

Deux jours plus tard, le deuxième incident se produisit dans les douches. Nous étions tous en train de nous laver avec notre berlingot de shampoing Dop dans nos cabines respectives à peine fermées par leur porte battante lorsqu'un garçon plus turbulent et taquin que les autres ouvrit en grand ma cabine alors que j'étais encore nu sous la douche. Je l'envoyai aussitôt au tapis d'un coup de pied à l'entrejambe qui le laissa au sol si plié de douleur qu'on faillit appeler le médecin. On pensa plus à le réconforter qu'à me réprimander mais on jugea plus prudent d'écourter mon séjour, ce qui me permit d'échapper à la quatrième semaine grâce à cet acte certes répréhensible mais pas prémédité. Il était temps.

 

Christian Cottet-Emard est né en 1959 à Montréal (Ain). Il a vécu jusqu’en 2009 à Oyonnax avant de s’installer dans un village du Haut-Jura.
Bourse d’écriture du CNL (Centre National du Livre) en 2006.
Depuis 2005, il tient un blog : http://cottetemard.hautetfort.com (ISSN 2266-3959)

 

Les services de presse sont à demander à : contact.ccottetemard@yahoo.fr

  • ASIN ‏ : ‎ B0C1JBHVG7
  • Éditeur ‏ : ‎ Orage-Lagune-Express. Diffusion : Independently published
  • Langue ‏ : ‎ Français
  • Broché ‏ : ‎ 164 pages
  • ISBN-13 ‏ : ‎ 979-8390413326
  • Poids de l'article ‏ : ‎ 236 g
  • Dimensions ‏ : ‎ 12.85 x 1.07 x 19.84 cm
  • Commandes : ici
  • Pour les gens d'Oyonnax et de sa région, ce livre est en vente au kiosque de l'hôpital d'Oyonnax.

23 janvier 2022

Carnet / De l’honneur de déplaire

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Voir ces poètes avec leur masque sur la tronche continuer de lire leurs œuvres en public comme si de rien n’était après avoir dûment présenté leur passe de la honte à l’entrée me laisse perplexe. Sans doute abordent-ils d’une manière ou d’une autre l’un des grands thèmes de la poésie, la liberté...
 
Je ne sais plus qui a dit tout poème est un poème d’amour (mais tout poème n’est-il pas aussi un poème de liberté ?), cette liberté dont beaucoup de poètes s’inquiètent à juste titre lorsqu’en sont privés les peuples des contrées lointaines mais qu’ils ne semblent pas voir fondre comme neige au soleil à leur porte, chez eux, dans leur propre pays.
 
Je peux encore comprendre ceux qui sont payés car jamais il ne me viendrait à l’idée de reprocher à quelqu’un de gagner sa croûte comme il peut mais les autres, les bénévoles, j’avoue, j’ai du mal.
 
Sur le réseau social que je fréquente et où j’interviens, j’ai beaucoup de poètes dans ma liste de contact. La plupart d’entre eux sont muets sur le passe de la honte et sur toutes les mesures non plus sanitaires mais désormais exclusivement politiques dont le pouvoir en place accable les citoyens et pire encore les plus jeunes à qui ce gouvernement vole leur enfance et leur jeunesse.
 
Parmi les nombreux poètes de mon réseau, je n’en connais que deux qui protestent au grand jour et avec véhémence sur leurs pages Facebook, un qui s’exprime à demi-mot et quatre ou cinq qui interviennent dans les commentaires. Les plus silencieux sont ceux qui sont fortement liés à des groupements plus ou moins idéologiques, à de petits éditeurs, ou impliqués dans des maisons d’édition d’envergure ; eh oui, les (petites) affaires continuent, il faut veiller à ne pas trop déplaire.
 
Est-il donc si terrible que cela de déplaire ? Je croyais qu’en certaines circonstances graves, déplaire était un peu le métier des poètes et aussi leur force car à part quelques-uns d’entre eux qui sont de petits rentiers de situations gérant au plus juste le livret d’épargne d’une carrière durant laquelle ils se servent plus de la poésie qu’ils ne la servent, la plupart n’ont rien à perdre. Les poètes sont les sous-prolétaires de la littérature et comme tous les sous-prolétaires, que peuvent-ils gagner à se taire ?
 
Tableau / La femme au masque, Lorenzo Lippi (1606-1665)