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10 avril 2020

Carnet / Ténèbres et lumières de Pâques

La remise en ligne de ce texte écrit en 2014 risque d'agacer ceux qui l'ont déjà lu à plusieurs reprises ici et dans mon livre Prairie Journal (page 183) mais les statistiques de fréquentation de ce blog indiquent une augmentation récente et notable du nombre de lecteurs et de lectrices. Qu'on veuille donc bien me pardonner cette « rediffusion » . 

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J’ai été élevé dans une pratique religieuse assez libre (j’ai pu sécher le catéchisme en toute impunité en usant d’un petit tour de passe-passe significatif du don précoce que j’ai entretenu dès l’enfance pour les comportements d’évitement et de fuite). Je suis aussi un rejeton de l’époque Vatican II et je n’ai donc pas particulièrement souffert du poids de la religion dans ma vie quotidienne. L’avantage est que je n’ai pas été obligé de rejeter ma culture chrétienne pour me construire.

Plus prosaïquement, Pâques était aussi pour moi une ambiance. Le jeudi en revenant de l’école Jeanne d'Arc et en m’attardant sous le porche de l’église Saint-Léger d'Oyonnax, je me rappelais avoir entendu parler d’un mystérieux Office des Ténèbres dont la seule appellation résonnait en moi de sinistre manière et enflammait mon imagination qui partait au quart de tour pour beaucoup moins que cela.

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Ténébreux, le vendredi saint l’était aussi presque toujours et commençait chaque année par la phrase rituelle de ma grand-mère maternelle : « un vrai temps de vendredi saint aujourd’hui ! » De fait, je ne me souviens pas d’un vendredi saint ensoleillé, juste du sombre, du gris anthracite, le printemps subitement recouvert d’un voile noir et la nuit épaisse où, petit garçon inquiet, j’entrais sans comprendre ce qui avait bien pu peser si lourd sur le monde ce jour-là.

Le lendemain, samedi saint : jour silencieux, perplexe, jour d’attente. Pas de cloches. Parties à Rome me disait-on. Et enfin le dimanche, de nouveau les cloches, retour de Rome à toute volée, parfois dans les flocons, parfois dans les fleurs et, plus rarement mais dans quelle allégresse, dans la puissante respiration du fœhn trousseur de tulipes et de violettes.pâques,jeudi saint,vendredi saint,samedi saint,ténèbres,office des ténèbres,blog littéraire de christian cottet-emard,œuf de pâques,chasse aux œufs,grande pâque russe,nicolaï Rimsky-korsakov,musique,église saint léger,oyonnax,école jeanne d'arc,fête chrétienne,pascal,tristesse de l'homme sans dieu,agnostique,agnosticisme,printemps,nuit,cloche,départ des cloches,retour des cloches,rome,enfance,souvenir,carnet,journal,note

Le petit garçon anxieux se levait ce matin-là le cœur plus léger car en se réveillant au son de La Grande Pâque russe de Nicolaï Andreïevitch Rimsky-Korsakov, il avait entendu parler d’une étrange victoire de la vie sur la mort et, pour fêter ce prodige, d’une pluie d’œufs en chocolat dans le jardin.

Pâques : quelle aventure !

 

Photos : - vu depuis ma fenêtre tôt le matin, coucher de lune au-dessus de la petite église de campagne

- La Grande Pâque russe en 33 tours !

 

 

 

31 mars 2020

Nouvelle / La déroute des uhlans

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Cette fois, la terreur, la désolation, le chaos et la mort étaient à nos portes. On avait signalé les uhlans à quelques encablures. C’était la fin. On ne sortirait plus des ténèbres. On entendait des clameurs, des cris, les galops et les hennissements de leurs chevaux. Le vacarme emplissait la nuit.

Une ombre envahit d’un seul coup le mur en face de moi, un cheval qui se cabrait, et son cavalier avec sa lance. Puis une longue plainte, déchirante, les sanglots, les gémissements de qui a perdu tout espoir et puis, subitement, plus rien. Le silence.

Je me redressai et je vis le château encore debout. De nombreux combattants encombrés de leurs cuirasses gisaient comme des tortues qu’on aurait retournées sur leurs carapaces. Le seul rescapé était le grand cavalier noir.

La longue plainte reprit, plus désespérée, plus lugubre, comme si les voix des victimes des uhlans se joignaient en un choeur funèbre ultime.     

Malgré leur férocité, les uhlans n’avaient pas pu venir à bout du cavalier noir qui les avait tous mis en pièces.

J'avais fini par l'obtenir après les devoirs de vacances du jour, l’arrosage du jardin, le balayage des feuilles mortes dans la cour, le rangement de la vaisselle et pas une seule défaillance dans le lavage des mains avant et après le repas (petit déjeuner compris), avant d’aller aux toilettes et avant d’en sortir, moyennant quoi j’avais enfin pu incorporer le cavalier noir en renfort à mon armée de fantassins en plastique.

© Éditions Orage-Lagune-Express

 

17 mars 2020

Carnet / Après moi le sommeil

 

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Max Ernst, Après moi le sommeil

À part les voyages touristiques à Lisbonne et à Séville que la nécessité et le bon sens me commandent de reporter, la limitation des déplacements ne change pas tellement mon mode de vie à la campagne. Derrière ma maison, s’étendent des forêts, des collines et des prairies le plus souvent désertes.

Certaines de mes connaissances me demandent comment je peux tenir un rythme aussi lent dans un environnement si peu peuplé sans m’ennuyer. Je ne sais que leur répondre tant cet état m’est naturel. Comment leur faire comprendre que mes journées sont trop courtes et qu’en vérité, malgré l’interruption de toute activité professionnelle depuis tant d’années, je cours toujours après le temps ?

Je ne me couche pas à plus de 3h du matin parce que je suis insomniaque (je dors plutôt bien) mais parce que je suis obligé de faire déborder mes activités de lecture, d’écoute de musique et d’écriture sur la nuit, une partie de la journée étant réservée aux menues tâches du quotidien que mon incapacité à m’organiser et ma faible efficacité dans le monde concret rendent laborieuses.

Je rejoins mon lit dans un état d’épuisement qui me permet de m’endormir instantanément. Mon défi consiste à m’assurer le minimum de six heures de sommeil au-dessous duquel je prends le risque de matins difficiles. Il est vrai que je dois combattre ma tendance à ne dormir que d’un œil. Je dois me conditionner pour éviter cette mauvaise habitude.

Je me plains souvent de la fatigue mais cette vieille compagne de toute ma vie n’a rien à voir avec mon étrange rapport au sommeil. La fatigue que je ressens à mon âge ne m’inquiète pas car elle est exactement la même que celle que je ressentais durant toute mon enfance, y compris dans mon adolescence où je plongeais pourtant comme tous les jeunes dans de fastueux sommeils. Tout gamin, j’étais déjà obligé de me doper au café pour éviter les micro-sommeils dans la journée, notamment à l’école primaire où il m’est arrivé plus d’une fois de m’endormir sur mon pupitre. Lorsque je travaillais dans la presse, j’ai plusieurs fois été saisi de micro-sommeils pendant que j’interviewais des gens.

À l’époque où je pensais qu’on pouvait trouver des réponses aux questions (alors qu’on peut très bien vivre en se contentant des questions) j’ai souvent réfléchi à la fatigue et au sommeil et sur ce que les relations entre les deux pouvaient apporter à mon activité littéraire. Ce fut en pure perte jusqu’à un jour de 1983 où une visite à la fondation Maeght me permit de m’arrêter longuement devant le tableau de Max Ernst Après moi le sommeil.

Il s’agit d’une huile sur toile (130 X 89 cm), une œuvre de 1958 en hommage à Paul Eluard conservée au Musée National d’Art Moderne du Centre Georges Pompidou à Paris. Le poème d’Eluard auquel renvoie cette toile me parle peu. En revanche, le tableau m’accompagne depuis que je l’ai découvert parce qu’il s’approche assez bien de l’idée que je me fais du sommeil et en particulier du mien.

Grâce à cette œuvre qui m’apparaît comme un paysage intérieur, je ne me perds plus en vaines ruminations sur mon rapport compliqué au sommeil. Il m'arrive même, une fois sous les draps, de me représenter intérieurement Après moi le sommeil pour donner quelques heures d'envol à ma vigilance.