05 avril 2015
Carnet / Ténèbres et lumières de Pâques
(À la demande d'une internaute attentive qui n'a pas réussi à retrouver dans les archives ce carnet mis en ligne l'an dernier :)
N’étant ni croyant ni athée, plutôt agnostique pour faire simple, je suis tout de même culturellement sensible au cycle des grandes fêtes religieuses chrétiennes parce qu’elles sont liées à mon histoire familiale, à mon milieu d’origine et bien sûr à mon enfance.Tout gamin, je préférais Noël à cause des cadeaux, mais dès l’enfance finie, au moment de me découvrir mortel, Pâques a un peu adouci ma pascalienne « tristesse d’homme sans Dieu » .
J’ai été élevé dans une pratique religieuse assez libre (j’ai pu sécher le catéchisme en toute impunité en usant d’un petit tour de passe-passe significatif du don précoce que j’ai entretenu dès l’enfance pour les comportements d’évitement et de fuite). Je suis aussi un rejeton de l’époque Vatican II et je n’ai donc pas particulièrement souffert du poids de la religion dans ma vie quotidienne. L’avantage est que je n’ai pas été obligé de rejeter ma culture chrétienne pour me construire.
Plus prosaïquement, Pâques était aussi pour moi une ambiance. Le jeudi en revenant de l’école Jeanne d'Arc et en m’attardant sous le porche de l’église Saint-Léger, je me rappelais avoir entendu parler d’un mystérieux Office des Ténèbres dont la seule appellation résonnait en moi de sinistre manière et enflammait mon imagination qui partait au quart de tour pour beaucoup moins que cela.
Ténébreux, le vendredi saint l’était aussi presque toujours et commençait chaque année par la phrase rituelle de ma grand-mère maternelle : « un vrai temps de vendredi saint aujourd’hui ! » De fait, je ne me souviens pas d’un vendredi saint ensoleillé, juste du sombre, du gris anthracite, le printemps subitement recouvert d’un voile noir et la nuit épaisse où, petit garçon inquiet, j’entrais sans comprendre ce qui avait bien pu peser si lourd sur le monde ce jour-là.
Le lendemain, samedi saint : jour silencieux, perplexe, jour d’attente. Pas de cloches. Parties à Rome me disait-on. Et enfin le dimanche, de nouveau les cloches, retour de Rome à toute volée, parfois dans les flocons, parfois dans les fleurs et, plus rarement mais dans quelle allégresse, dans la puissante respiration du fœhn trousseur de tulipes et de violettes.
Le petit garçon anxieux se levait ce matin-là le cœur plus léger car en se réveillant au son de La Grande Pâque russe de Nicolaï Andreïevitch Rimsky-Korsakov, il avait entendu parler d’une étrange victoire de la vie sur la mort et, pour fêter ce prodige, d’une pluie d’œufs en chocolat dans le jardin.
Pâques : quelle aventure !
Photos : - vu depuis ma fenêtre tôt le matin, coucher de lune au-dessus de la petite église de campagne
- La Grande Pâque russe en 33 tours !
22:54 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pâques, jeudi saint, vendredi saint, samedi saint, ténèbres, office des ténèbres, blog littéraire de christian cottet-emard, œuf de pâques, chasse aux œufs, grande pâque russe, nicolaï rimsky-korsakov, musique, église saint léger, oyonnax, école jeanne d'arc, fête chrétienne, pascal, tristesse de l'homme sans dieu, agnostique, agnosticisme, printemps, nuit, cloche, départ des cloches, retour des cloches, rome, enfance, souvenir, carnet, journal, note
17 janvier 2015
Carnet / Imbécile...
Qu’est-ce qu’une vie quand on commence à regarder dans le rétroviseur ? Quelques vieux papiers à ranger.
Au fond d’une armoire, j’ai retrouvé mes cahiers de l’école primaire, mes cahiers du jour et mes cahiers d’essai du cours préparatoire, conservés par mes parents qui n’ont pourtant pas dû les signer avec plaisir tant ils étaient mal tenus et témoins du début de l’échec scolaire. J’étais très malheureux à l’école, toujours entre la crainte et la colère sourde, silencieuse. Mes souvenirs scolaires sont aussi mauvais que mes souvenirs professionnels, c’est dire...
En ouvrant ces cahiers remplis de mes laborieux débuts de calcul et d’écriture noircis avec ces saletés de plumes en métal qui trouaient les pages à grands carreaux et maculaient le mauvais papier de grosses taches noires, les moments les plus pénibles de mon enfance, le temps passé à l’école, m’ont de nouveau sauté au visage, comme si c’était hier.
Quarante-neuf ans après le cours préparatoire où je me trouvais donc en 1966, je revois dans la marge les appréciations et annotations du maître, avec pleins et déliés à l’encre rouge, et cette mention « imbécile » parfaitement calligraphiée parce que j’avais commencé ma page un peu trop bas !
À l’époque, on ne s’embarrassait guère de pédagogie, laquelle se limitait souvent à une engueulade ou à une punition si on n’avait pas compris. Du coup, pour moi, le premier objectif n’était plus d’apprendre mais d’éviter l’engueulade et la punition, ce qui provoquait la faute, donc au final, l’engueulade et la punition avec pour résultat la spirale de l’échec.
C’est ainsi que tout gosse je fonctionnais. D’autres moins sensibles marchaient à la compétition, parfois au prix d’autant d’angoisses, juste un peu moins visibles. D’autres s’adaptaient sans trop de problème à ce système d’enseignement basé sur la carotte et le bâton. Tout cela s’écrivait en silence, au porte-plume grattant et bavant, au son du glas tombant du clocher tout proche, sous l’œil noir du maître.
Dans les pages de ces cahiers, les destins s’inscrivaient déjà entre les lignes avec à chacun son lot : ceux qui n’auraient droit qu’à une ébauche, un brouillon de vie, ceux qui deviendraient exactement ce pour quoi ils étaient programmés, ceux qui sortiraient du cadre, ceux qui tenteraient d’inventer leur vie, ceux qui se laisseraient porter par le flot, ceux qui se tiendraient à la marge (j’ai la chance de faire partie de cette dernière catégorie).
Des décennies plus tard, la vie pouvait parfois rebattre les cartes, créer un autre désordre, mais à de rares exceptions près, comme au casino, les jeux étaient déjà faits.
Éternelle histoire, du moins éternelle à l’intérieur de cet instant qu’est l’humanité envoyée seule dans l’absurde infini, dans cette nuit de flocons lourds où, fumant un dernier Punch avant d’aller dormir, j’ai envie de sortir dans le grand pré derrière chez moi pour écrire avec un bâton dans la neige ce mot « imbécile » à l’intention de ce maître qui ne m'a rien enseigné d'autre que l'inquiétude et quelques combinaisons de chiffres et de nombres en leur valse à jamais
02:10 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : note, carnet, journal, souvenir, prairie journal, école, vie, enfance, cahier d'écolier, cahier du jour, brouillon, calligraphie, plein et délié, plume, porte-plume, encre, papier, maître, instituteur, blog littéraire de christian cottet-emard, cancre, échec scolaire, glas, classe, clocher, christian cottet-emard, marge, pédagogie, chiffre, nombre, punition, casino, cigare punch, havane, nuit, neige, flocon
27 décembre 2014
Carnet / Le toucan du tonton Louis
Un des plaisirs de Noël : le cadeau tardif, toujours inespéré. Quel pouvait être mon âge ? En tous cas, je savais lire.
J’étais seul avec ma mère lorsqu’une voix inconnue m’interrompit dans mes coloriages et dans l’écoute d’un de mes disques préférés, Casse-noisette de Tchaïkovski. Je levai les yeux sur un vieux monsieur vêtu de noir qui me parut très grand, chenu, plutôt réservé. Il me tendit un large et lourd rectangle emballé d’un papier cadeau et dit à ma mère sans s’adresser directement à moi « voilà pour le jeune homme » . J’étais flatté qu’un vieux monsieur m’appelle jeune homme. Le papier cadeau libéra la couverture d’un beau livre intitulé Les Animaux de la jungle. Ce devait être le lendemain de l’Épiphanie car j’avais eu un restant de brioche pour mon goûter.
Ma mère m’invita à dire merci et au revoir au tonton Louis. J’avais déjà entendu parler de lui dans les repas de famille mais encore aujourd’hui, le lien de parenté avec cet homme âgé est resté pour moi très flou. Je ne l’ai d’ailleurs jamais revu après cette visite qui est pourtant gravée dans ma mémoire à cause du livre Les animaux de la jungle, notamment après avoir découvert qu’il existait dans le monde un oiseau appelé le toucan, un oiseau flamboyant au bec orange vif et aux yeux goguenards.
Ce livre aux illustrations somptueuses et aux textes imprimés en gros caractères m’apprit aussi qu’il existait une créature nommée iguane et que les indiens de la jungle surnommaient ce lézard poulet des forêts, ce qui, en dehors du fait que ma mère m'appelait parfois poulet, modifia mon regard non seulement sur le poulet rôti dominical mais encore sur ce monde étrange dans lequel je débutais au son de la Danse de la fée-dragée.
Illustration toucan prise ici
18:50 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : carnet, souvenir, note, journal, enfance, lecture, écriture de soi, autobiographie, oiseau, jungle, forêt, indiens, toucan, nature, iguane, poulet des forêts, blog littéraire de christian cottet-emard, cadeau, poulet, image, papier cadeau, tchaïkovski, casse-noisette, dans de la fée dragée, musique, ballet, noël, fêtes de fin d'année, épiphanie, brioche des rois, goûter, brioche, rois mages, rois