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27 décembre 2014

Carnet / Le toucan du tonton Louis

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J’étais seul avec ma mère lorsqu’une voix inconnue m’interrompit dans mes coloriages et dans l’écoute d’un de mes disques préférés, Casse-noisette de Tchaïkovski. Je levai les yeux sur un vieux monsieur vêtu de noir qui me parut très grand, chenu, plutôt réservé. Il me tendit un large et lourd rectangle emballé d’un papier cadeau et dit à ma mère sans s’adresser directement à moi « voilà pour le jeune homme » . J’étais flatté qu’un vieux monsieur m’appelle jeune homme. Le papier cadeau libéra la couverture d’un beau livre intitulé Les Animaux de la jungle. Ce devait être le lendemain de l’Épiphanie car j’avais eu un restant de brioche pour mon goûter.

Ma mère m’invita à dire merci et au revoir au tonton Louis. J’avais déjà entendu parler de lui dans les repas de famille mais encore aujourd’hui, le lien de parenté avec cet homme âgé est resté pour moi très flou. Je ne l’ai d’ailleurs jamais revu après cette visite qui est pourtant gravée dans ma mémoire à cause du livre Les animaux de la jungle, notamment après avoir découvert qu’il existait dans le monde un oiseau appelé le toucan, un oiseau flamboyant au bec orange vif et aux yeux goguenards. 

Ce livre aux illustrations somptueuses et aux textes imprimés en gros caractères m’apprit aussi qu’il existait une créature nommée iguane et que les indiens de la jungle surnommaient  ce lézard poulet des forêts, ce qui, en dehors du fait que ma mère m'appelait parfois poulet, modifia mon regard non seulement sur le poulet rôti dominical mais encore sur ce monde étrange dans lequel je débutais au son de la Danse de la fée-dragée.

Illustration toucan prise ici

07 décembre 2014

Carnet / Des noms et des maisons

À quel métier vous destinez-vous ? demanda un jour de lassitude notre professeur de français en classe de sixième. Écrivain ! répondis-je aussitôt mon tour venu, ce qui sembla susciter une légère surprise dans le regard et l’intonation de voix de l’enseignante.

Pourquoi souhaitais-je devenir écrivain ? La question ne me fut pas posée car la prof se ressaisit de son moment de fatigue, ce qui m’arrangea bien car ma réponse n’eût pas été littérairement correcte. Je voulais choisir ce « métier » pour avoir la paix.

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Photo : chez moi aujourd’hui. 

Je pensais à cette époque que la plupart des écrivains vivaient seuls dans de vieux appartements silencieux ou dans de vénérables demeures nichées aux fond des bois dont ils ne sortaient que pour aller s’engueuler avec leurs collègues sur le plateau de l’émission « Ouvrez les guillemets » , programme de télévision littéraire qui précéda la très célèbre « Apostrophe » , et qu’ils se dépêchaient de rentrer pour passer leur temps à boire du Cognac ou du whisky et fumer des cigares. Je croyais aussi que les écrivains, puisqu’ils étaient des hommes de lettre, n’avaient plus que de lointains rapports avec mes pires ennemis, les chiffres. 

On notera ainsi que mes motivations, fort peu littéraires j’en conviens, étaient cependant vierges de toute velléité de gloriole ou de reconnaissance sociale. En effet, je ne voyais pas plus en ces temps lointains qu’aujourd’hui l’intérêt de rechercher l’estime et la reconnaissance de gens qui ne me sont rien. (Tenter de mériter l’affection de mes proches et de mes amis, c’est déjà pas mal.) J’étais simplement séduit par l’idée de pouvoir gagner ma vie en restant chez moi à noircir des cahiers, bien à l’abri des foules, et ce jusqu’à une retraite bien méritée. Je ne dirais pas que je me trompais sur toute la ligne mais sur le paragraphe entier.

Tout d’abord, je n’avais pas prévu qu’il me faudrait choisir ou plutôt subir un deuxième métier, purement alimentaire celui-là. Ce furent en fait plusieurs autres métiers tous plus subis et alimentaires les uns que les autres. 

Collégien immature à peine ébroué des brumes de l’enfance, je vivais dans l’illusion d’un restant de patrimoine. Personne ne m’avait caché que les entreprises familiales avaient capoté depuis longtemps mais aucune menace ne pesait sur la grande maison de mon enfance, alors pourquoi s’inquiéter ? 

L’esprit sans doute enfiévré de lectures romantiques, le collégien que j’étais avait imaginé un scénario qui tenait debout tout seul et dans lequel il s’arrogeait le beau rôle, celui du futur écrivain qui allait réussir tant bien que mal à pondre quelques livres dont les droits d’auteur s’avéreraient assez substantiels pour conserver la maison d’enfance le moment venu. Persuadé que ce moment fatidique viendrait très tard, dans un avenir totalement abstrait, je me disais, ainsi que le croient tous les jeunes, que j’avais le temps de voir arriver cette époque funeste. 

L’adolescence où s’invite grossièrement le réel me sortit vite ce rêve de la tête mais elle ne fit que l’essorer au lieu de le brûler au feu de l’action, et je traîne maintenant cette nostalgie dégoulinant comme une vieille serpillière, ce remords d’une renaissance manquée, d’une impossible rédemption par le verbe.

À cette idée naïve d’éviter la catastrophe de la vente de la propriété familiale grâce à la rémunération de mon activité littéraire, se superposait une préoccupation voisine concernant l’intégrité de mon nom qui se trouve être un nom composé. À quel moment fut prise, dans ma famille, l’habitude déplaisante d’en escamoter la deuxième moitié, je l’ignore tout autant que les raisons d’une telle mutilation. Désinvolture, pulsions suicidaires inconscientes, dépit ? 

Toujours est-il que l’enfant qui croyait répondre au nom de Christian Cottet finit par réaliser à l’entrée dans l’adolescence qu’il s’appelait Christian Cottet Emard (sans trait d’union) et qu’il était temps de « raccrocher les wagons » , ce que je fis d’autorité au moyen du trait d’union pour bien marquer ma détermination à retrouver l’intégrité de mon patronyme. 

Deux conflits mondiaux et la déroute dans les affaires avaient suffisamment porté atteinte au moral de la famille, et ce n’était pas parce que nous avions dû renoncer à l’aisance financière que nous devions aussi nous laisser amputer d’une moitié de notre nom. Je découvris d’ailleurs en évoquant le sujet auprès de mes proches parents que l’usage de ce nom tronqué leur causa de nombreux désagréments.

Je ne donnerai qu’un exemple. J’évoquais plus haut les deux guerres mondiales mais je dois aussi ajouter celle qui mit si longtemps à dire son nom (décidément) : la guerre d’Algérie où mon père, comme beaucoup d’autres, faillit perdre l’occasion de me concevoir. Lorsque mon père recevait des colis ou des mandats envoyés par ses parents, le vaguemestre lui cherchait des noises : Cottet ou Cottet Emard ?

Dès que je mis en œuvre ma décision de signer de mon nom complet, dès que je passai à l’acte en somme, des dentiers commencèrent à grincer. Au lycée, une enseignante qui connaissait un peu l’histoire de ma famille s’autorisa une réflexion ironique. Elle me soupçonnait de vouloir rouler les mécaniques ! 

Quelques années plus tard, je publiai mon premier recueil de poèmes sous mon nom. Lors d’une fête locale organisée dans la rue par la municipalité communiste (élue à cette époque grâce à l’absence de mobilisation de la droite certaine de remporter les élections), je fus convié à présenter le recueil au public et j’essuyai les sarcasmes d’une autre enseignante (de qui je n’étais pas l’élève) et de son mari, industriel hargneux, tous deux probablement exaspérés par la défaite exceptionnelle de leurs amis politiques. On se défoule comme on peut ! 

Par la suite, lors de mes débuts de rédacteur dans le quotidien local, je fus encore confronté à l’hostilité et à la condescendance de plusieurs enseignantes du collège et du lycée, souvent mariées à des petits patrons locaux, qui connaissaient mon échec scolaire et qui n’admettaient pas qu’un « fumiste » dans mon genre (c’était leur expression) finisse ailleurs que sur les chaînes de montage des usines de leurs maris. La lecture de mon nom (agrémenté de son trait d’union !) dans les pages de leur feuille de chou et dans la vitrine du libraire constituait à l’évidence, pour ces petites bourgeoises arrogantes et dépitées, une provocation supplémentaire. Il n’y avait pourtant pas grand mérite à se retrouver journaleux dans une bourgade racornie dans la nostalgie des trente glorieuses déjà soldées

Tout à la fois étonné et amusé de ces réactions, je compris que ma volonté de reconquérir mon nom ne se limitait pas à un caprice d’adolescent désireux de s’affirmer. Aussi absurde, pathétique et dérisoire que cela puisse paraître, je m’aperçois aujourd’hui que ce que je vois dans ce nom imprimé en haut des couvertures de mes livres (le prénom étant souvent centré en première ligne sur le nom composé en seconde ligne) me fait immanquablement penser à l’ébauche stylisée, ainsi qu’en dessinent les enfants, d’un toit de maison.

© CLJ, 2014 (pour cette version).

 

15 novembre 2014

Carnet / De la veille et des rêves errants

Autant de mal à me lever qu’à me coucher ce vendredi. Et sous mes yeux qui picotent, le fantôme complice de Pessoa : « Quel grand repos de n’avoir même pas de quoi avoir à se reposer ! » Et plus loin dans son poème : « Grande joie de n’avoir pas besoin d’être joyeux... » Et encore : « Sommeille, âme, sommeille ! Profite, sommeille ! »

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Il est 2h30 et la pluie bat contre les vitres. Ambiance parfaite pour écouter une fois de plus le sombre et majestueux concerto pour piano du compositeur britannique Ralph Vaughan Williams (1872-1958)

Le soir, j’écris dans mon bureau mais cette nuit, je me suis installé sur la table de la salle à manger. Quand j’étais enfant, cette table art nouveau composée d’un grand plateau épais soutenu par un socle en arche inversée était celle de mes grands-parents. Tous les enfants et petits-enfants de la famille se sont nichés dessous, y compris moi bien sûr qui l’utilisais comme une cabane. Elle continue  désormais sa carrière au centre de ma maison posée au milieu des intempéries jurassiennes. 

Derrière la fenêtre, dehors, je vois s’agiter les branches nues et luisantes des frênes sous l’assaut des bourrasques et des trombes d’eau. Le halo du dernier lampadaire du village suffit à révéler le jaune des feuillages d’érables moins prompts que les frênes à se dépouiller. Impossible de sortir fumer un cigare avec ce qui tombe du ciel.

Je devrais m’inspirer de la chatte Linette qui dort sur le coussin de son fauteuil en rotin. Elle rêve. Moi aussi, bien que je sois éveillé. C’est là tout le problème, ces rêves têtus qui errent comme des fêtards aux cravates de travers, pas décidés à se résoudre à rentrer chez eux, dans la maison du sommeil.

Photo © Marie-Christine Caredda, 2014 (chambre de Fernando Pessoa, Lisbonne)