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09 juillet 2018

Les derniers temps de la vapeur

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Tout au fond du jardin, un mur recouvert de tuiles séparait les groseilliers de la voie ferrée. Louis se gavait des  grappes translucides lorsque le sol se mit à vibrer. Cette fois-ci, Louis se promit de ne pas bouger et de regarder la locomotive à vapeur jusqu’à la fin de la manœuvre mais comme d’habitude, la panique le saisit dès que la masse noire approcha et étendit sur lui son ombre et son souffle. La bouche encore pleine de groseilles, il courut jusqu’à la maison où on le cherchait pour le dîner.

Sa mère le gronda sans conviction pour avoir pris le dessert avant la soupe et son arrière-grand-mère prédit des coliques. Malgré son air soucieux, le grand-père lança une plaisanterie sur le thème des coliques, la grand-mère fit remarquer que le moment était bien choisi et le père de Louis détourna la  conversation sur le thème de la mise en service des nouvelles motrices diesel.

Le soir était doux et Louis reçut l’autorisation de retourner jouer dehors à condition de goûter à tous les plats du dîner. Dans la cour, le tilleul filtrait les rayons du couchant. Louis aperçut la pipistrelle qui s’envolait du grenier. Comme tous les soirs, Boby, le chien des voisins, profita du portail ouvert pour  quémander des restes en un bref aboiement. Le grand-père vint à sa rencontre et lui donna des couennes de jambon.

Au loin, on entendait la rumeur de la fête foraine qui s’était installée au centre-ville. J’aimerais bien y aller maintenant, risqua Louis persuadé d’un refus. Le grand-père à la mine toujours aussi soucieuse regarda se perdre le dernier rayon de soleil dans le feuillage du tilleul et haussa les épaules. Il rentra dans la maison et ressortit quelques instants plus tard vêtu de son costume de la semaine et coiffé de son béret. Il survint alors quelque chose de stupéfiant.

Louis sentit sa main s’accrocher à celle de son grand-père tandis qu’ils prenaient tous deux la direction du centre-ville. Le long du boulevard, les vieux platanes crépitaient de hannetons. Dans l’ombre des haies de buis qui clôturaient les autres propriétés, les parfums des pivoines et des iris débordaient sur le trottoir au goudron soulevé par les racines des arbres. Louis avait remarqué qu’à la faveur de l’éclairage public, on distinguait beaucoup mieux les petits trous percés dans le goudron par les talons pointus des femmes. Il trouvait bizarre cette manie de marcher avec de pareilles chaussures qui marquaient aussi les planchers. Un jour, le grand-père avait rouspété après le passage d’une dame élégante qui avait piqueté le parquet de la salle à manger. Le grand-père rouspétait souvent mais aujourd’hui, il restait silencieux et marchait d’un pas alerte sous les feuillages odorants du boulevard.

Louis put courir à sa guise sur le trottoir mais le grand-père reprit sa main lorsqu’une 403 noire recula pour entrer dans le garage d’une grosse maison blottie derrière le plus vieux saule pleureur du quartier. Cette demeure était la dernière avant la place de la gare qu’ils traversèrent d’un pas rapide. Lorsqu’ils franchirent les rails brillants du passage à niveau, Louis jeta un coup d’œil aux trois cèdres qui se penchaient comme des géants indiscrets sur le ballast. Dans l’avenue qui conduisait au centre-ville, ils ne rencontrèrent qu’une 4cv et une dauphine borgne. Un petit groupe d’hommes sortit d’un bar mal  éclairé et leurs ombres s’évanouirent sous le halo d’un lampadaire. L’un deux entra dans une vespasienne.

Le grand-père reprit de nouveau la main de Louis quand, brusquement, la nuit s’anima de reflets multicolores et de rythmes désordonnés. Des odeurs de sucre et de friture tournoyaient dans l’air chauffé par les moteurs des manèges. Les autos tamponneuses étaient installées sur l’esplanade de la porte monumentale. Leurs carrosseries et leurs phares flamboyaient. Le patron, un colosse à la trogne barrée d’une épaisse moustache, faisait tonner sa grosse voix dans un micro. Un peu plus haut, les avions tournaient, décollaient et atterrissaient sans relâche. C’était le manège préféré de Louis malgré les claquements du compresseur qui l’effrayaient. À l’inverse des autres pilotes qui actionnaient sans cesse le levier de décollage et d’atterrissage, Louis maintenait son avion en vol pendant toute la durée du tour pour le plaisir de se hisser au-dessus des sept platanes bordant l’église entre lesquels les attractions foraines battaient leur plein. En bas, il voyait son grand-père dans son costume sombre zébré des reflets jaunes, rouges, bleus et violets des néons. On entendait des chansons de la radio que le grand-père trouvait habituellement stupides mais qui ne semblaient pas le déranger en ce moment précis. Lorsque Louis fermait les yeux, il avait l’impression que le manège tournait plus vite mais ce n’était qu’une illusion due à l’accélération du rythme musical.

Maintenant, il faisait tout à fait nuit et l’on pouvait voir les étoiles malgré les lumières clinquantes de la fête. Louis et son grand-père s’arrêtèrent devant le confiseur. Ils commandèrent un gros berlingot rouge et blanc et une portion de frites. C’est le monde à l’envers ! dit le grand-père en léchant le berlingot tandis que Louis croquait les frites. Au tir à la carabine, le grand-père creva tous les ballons mais Louis en manqua un. Pour le consoler, le grand-père lui donna un franc. Louis glissa la pièce dans une boîte à sous et ouvrit le tiroir qui contenait un pistolet miniature à ressort avec son chargeur de balles en plastique.

Sur le chemin du retour, Louis se sentit comme un aventurier de la nuit. La pendule de la gare brillait comme une deuxième lune et l’autorail, avec ses gros yeux, attendait l’aube dans la fraîcheur des trois cèdres. Au lieu de revenir par le boulevard, le grand-père décida de longer la voie ferrée et de rentrer à la maison en passant par le portillon rouillé du  jardin, ce qui était formellement interdit à Louis. Leurs pas crissaient sur du sable et du mâchefer. 

Les jardins des grandes propriétés voisines exhalaient le fort parfum nocturne du buis. Le grand-père ouvrit le portillon qui donnait sur une petite terrasse où Louis venait se percher dans la journée pour surveiller son territoire. Pour descendre dans l’allée des groseilliers, il fallait chercher d’un pied une barre d’appui en métal scellée dans le mur recouvert de tuiles et poser l’autre pied sur une marche en tôle. Un petit saut et on était au fond du jardin. Sous la lune, le potager luisait et embaumait. Louis traîna les pieds, grappilla des groseilles et demanda :  est-ce que la locomotive reviendra demain ?

La silhouette massive du grand-père s’engouffra sous les feuillages denses des vieux pommiers. Sa voix semblait se perdre dans un autre monde. Non, répondit-il sans se retourner, la dernière a manœuvré aujourd’hui. Elle ne reviendra plus.

 

© Club (pour la version 2018)

 

23 mars 2018

Carnet / Réponse à mes amis et connaissances qui me demandent si « j’ai viré catho » !

Même sans avoir la foi et peu préoccupé de pratique religieuse (je me considère comme agnostique), je travaille depuis plusieurs années sur des poèmes d’inspiration chrétienne dont il m’arrive de publier des extraits en revue ou sur le web dans les périodes de la Toussaint, de l’Avent, de Noël, de l'Epiphanie, des Rameaux et de Pâques. Ces poèmes que je qualifierais de variations personnelles sur le thème du sentiment religieux chrétien devraient s’inscrire, si je persiste dans ce projet, dans un ensemble qui traite généralement de l’Occident, un sujet certes très vaste et sans doute un peu trop ambitieux pour moi mais d’une importance cruciale dans ma vie, surtout dans le contexte actuel.

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Désolé de ne pouvoir créditer cette photo de moi en aube, je ne me souviens plus du nom du studio...

Les rares amis et connaissances qui lisent parfois ces fragments me demandent si « j’ai viré catho » pour reprendre leur expression ! Je leur réponds que même si ma vie n’est pas totalement gouvernée par l’Église Catholique Romaine, je n’ai jamais eu le désir de rompre avec ma culture chrétienne dans laquelle je me sens très bien, chez moi pourrais-je dire.

 

J’aimerais avoir la foi mais rien dans mon caractère sceptique, méfiant, individualiste et désengagé ne m’y prédispose. Je le regrette souvent car j’observe que dans les épreuves, notamment dans la lutte contre la maladie, les croyants sincères s’en sortent mieux. Je constate aussi qu’ils peuvent être moins sujets à la dépression et au désespoir existentiel, ce qui est tout à fait logique.

 

À l’inverse de beaucoup de gens de ma génération et de la précédente, je n’eus jamais de comptes à régler avec mon éducation religieuse qui fut basique et très libérale. Le jour où mes parents devinèrent que je m’étais soustrait au catéchisme grâce à un stratagème consistant à jouer sur mon inscription simultanée dans deux paroisses pour n’être présent dans aucune, je ne fus pas sanctionné. J’en profitai pour leur demander pourquoi ils m’avaient fait baptiser à la naissance. Ils me répondirent que cela ne pouvait pas me faire de mal et que par la suite, je serai de toute façon libre de croire et de pratiquer ou non. Quant à ma volonté d’échapper au catéchisme, elle n’exprimait pas d’hostilité de ma part à l’encontre de l’enseignement de la culture chrétienne mais mon refus d’être contraint, après les jours d’école qui m’étaient un supplice, de faire ce que je considérais comme des heures supplémentaires. 

 

Ma Confirmation et ma Communion Solennelle donnèrent lieu à de grandes réjouissances familiales et à des cadeaux parmi lesquels un splendide magnétophone à cassettes Bel & Owell qui ne me servit pas à grand-chose mais que je rêvais de posséder depuis longtemps. Je reçus aussi des parures de stylos dont certains me servirent  à écrire mes premières histoires. À la fin de ces repas de fêtes, il m’arriva plusieurs fois de siffler les fonds de verres de vin des adultes et de faucher un mégot de cigarette pour aller le fumer en cachette au jardin où je demeurais un moment pompette avant de retourner à table où personne ne remarquait ces incartades en raison des discussions d’après dessert qui se prolongeaient jusqu’en début de soirée.

 

La seule à me surprendre une fois dans ce tabagisme précoce fut mon arrière-grand-mère Clotilde qui m’ordonna en fronçant les sourcils de lui souffler mon haleine à la figure. Elle me sermonna discrètement mais ne dit rien pour les fonds de verre. Il faut dire qu’en hiver, lorsque je montais la voir à l’étage qu’elle occupait dans la maison, au-dessus de chez mes grands-parents, elle n’hésitait pas à me servir un demi-verre de vin chaud bien sucré accompagné d’une assiette de gaudes pour me réchauffer. De l’enfance à la fin de mon adolescence, j’eus la grande chance et l’immense bonheur de connaître mon arrière-grand-mère (née en 1882), son fils mon grand-père Charles et mes grands-mères paternelle et maternelle Yvonne et Marie-Rose.     

 

Enfant, j’accompagnais mes parents à la messe mais pas tous les dimanches, surtout à l’occasion des grandes fêtes. Il pouvait m’arriver d’y trouver le temps long mais le plus souvent, les couleurs et les scènes des vitraux suscitaient en mon esprit d’agréables rêveries. De plus, j’étais déjà sensible à la musique d’orgue et aux chants. Avant de quitter l’église, j’avais parfois droit à l’un des magazines pour la jeunesse exposés librement à l’entrée et qu’on réglait de quelques pièces dans un tronc. Il ne serait évidemment venu à l’idée de personne de ne pas les payer. À la sortie de la messe de Pâques, sous le porche de l’église Saint-Léger d’Oyonnax, mes parents achetaient des sachets d’œufs en chocolat praliné vendus au profit de la paroisse. Ils étaient si beaux et si délicieux que j’en ai encore le goût sur la langue.

 

Je donne tous ces détails autobiographiques sans grand intérêt pour autrui afin de montrer que dans ma famille, je n’eus jamais à souffrir de la moindre pression religieuse. Je peux même affirmer que l’ambiance discrètement chrétienne dans laquelle je baignais fut toujours plus ou moins pour moi associée à la fête. Les prêtres qui vinrent partager notre table à la maison m’ont tous laissé le souvenir d’hommes sympathiques et bienveillants. Le seul désagrément dont je me rappelle avait à voir avec un abbé qui me recevait en confession lorsque j’étais à l’école primaire, un homme débonnaire affligé d’une haleine qui sentait la banane, ce qui m’obligeait à retenir ma respiration quand il m’informait du divin pardon au moment même où je commettais un nouveau péché : n’ayant pas grand-chose à lui avouer, j’étais obligé de lui mentir en inventant quelques bêtises à lui confesser !

 

J’ai un rapport essentiellement culturel à la religion chrétienne, donc plutôt distancié. Cependant, de nos jours où l’autre religion dont plus personne ne peut ignorer la menace mortelle qu’elle fait peser sur la liberté de penser, la démocratie et le mode de vie occidental affiche sans cesse, partout et de toutes les manières son arrogance belliqueuse, je ne peux que me rapprocher des catholiques. Ma sympathie pour le christianisme tient aussi au fait que contrairement aux autres religions, il accepte, certes tant bien que mal et parfois contre son gré, de se questionner face aux évolutions du monde moderne, ce qui, tout en risquant de l’affaiblir en apparence, ne peut à terme que le renforcer et lui permettre de garder voire d’augmenter son rayonnement dans un rapport équilibré et pacifié avec la culture progressiste dont il est le socle.

  

Pour toutes ces raisons, quand j’aurai quitté ce monde, j’espère avoir des funérailles religieuses dans une église que je connais (de préférence Saint-Michel de Nantua, Saint-Léger d’Oyonnax ou l'église de mon village). J’essaierai autant que possible de tout organiser de mon vivant (musique, textes liturgiques, financement et sépulture) pour ne pas ennuyer mes proches. Sauf à tomber sur un curé borné (il en existe) refusant la cérémonie chrétienne à une âme laïque, mon vœu principal serait surtout d’avoir l’encens et la croix sur le cercueil et une tombe avec mon nom et mes dates ainsi qu’il en est pour tous les miens et pour mes plus anciens aïeux depuis des générations.

 

19 mars 2018

Élégie sur la maison d'enfance

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Tu naviguais à vue dans la houle d’un songe il te dicta cette élégie funèbre

 

Il était trop tard pour habiter encore la maison d’enfance

 

Le portail s’ouvrit sur ce monde de ténèbres qu’elle était devenue et tu la rachetas à prix d’or afin d’en chasser tous les inconnus

 

L’argent les dispersa comme des spectres mais plus rien ne pouvait ramener le vieux tilleul à sa place même si ses racines erraient encore sous la terre désormais sans mémoire

 

Alors tu fis raser les murs jusqu’aux fondations pour ouvrir un grand pré où tu plantas un nouveau tilleul

 

Cette colère en toi s’en apaisa ce feu d’enfer dans un bloc de glace devint la douce flamme de la bougie qui luit dans l’ombre pour éclairer et réconforter non pour brûler

 

(Extrait de mon poème Paysage / Évasion, sixième partie)

© Éditions Orage-Lagune-Express, 2018