20 janvier 2011
Tu écris toujours ? (61)
Conseils aux auteurs ratés
Il nous est tous arrivé au moins une fois dans notre vie de penser à quelqu’un sans raison particulière et de le voir rappliquer le jour même voire quelques instants après. J’étais exactement dans cette situation l’autre jour, le nez écrasé contre ma porte d’entrée et l’œil rivé à l’œilleton dans lequel se déformait de la plus hideuse manière le visage d’une vieille connaissance, l’auteur abonné aux circulaires de refus des éditeurs du monde entier, le genre de type très déprimé à qui on a envie de répondre « je ne suis pas là » s’il s’avise d’appuyer sur le bouton de la sonnette. Ne pas céder à toutes nos pulsions constitue la base de la civilisation. J’ouvris la porte et dis : « ah quelle bonne surprise... Mais entre donc. Que me vaut le plaisir de ta visite ?
— Ils m’ont encore refusé. Je n’en peux plus. Tu veux que je te dise ? Je crois bien que j’ai raté ma vie.
— Impossible.
— Pardon ?
— Impossible. Comment veux-tu rater (ou réussir, d’ailleurs) quelque chose que tu n’as pas entrepris ?
— Je ne comprends pas.
— C’est pourtant simple, ni toi ni moi n’avons entrepris nos vies. Nous n’avons pas entrepris de naître et de vivre, donc nous ne pouvons réussir ou rater quelque chose que nous n’avons pas entrepris. Nous n’y sommes pour rien, nous naissons et nous vivons, c’est tout. »
Le pauvre garçon n’avait pas l’air convaincu, probablement parce que je ne l’étais pas moi-même. (Si nous devions croire en toutes les vérités que nous infligeons à autrui à longueur de journée, nous renoncerions tous à la parole et toute la classe politique se volatiliserait). Je tentai donc quand même de redonner le moral à mon interlocuteur en lui suggérant que dans une autre vie, peut-être pourrait-il se réincarner sous la forme d’un auteur à succès, comme mon voisin. « Tu parles ! Je suis tellement nul que c’est en limace que je me réincarnerai.
— Tu vois, tu es toujours négatif. Tu pourrais choisir un autre animal, un écureuil par exemple.
— Pourquoi un écureuil ?
— Parce qu’il vaut mieux sauter dans les arbres avec la queue en panache que passer son temps à ramper dans le mouillé en laissant des traces gluantes. »
Je rapporte cette conversation pour montrer à quel point l’obstination des éditeurs à refuser les manuscrits des auteurs ratés peut s’avérer préjudiciable à la tranquillité de personnes compréhensives dans mon genre, obligées d’accueillir, d’écouter, de consoler et de conseiller bénévolement les recalés qu’ils fabriquent à la chaîne.
Ceci dit, face au grand dépressif qu’est l’auteur raté, vous avez intérêt à trouver les bons arguments pour éviter qu’il n’attente à ses jours en sortant de chez vous, ce qui ferait désordre auprès des voisins. « Malgré tes échecs auprès des éditeurs, tu as au moins produit une œuvre, dis-je à mon visiteur. J’aurais plus de raisons que toi de me plaindre, moi qui rêvais d’écrire et qui me suis contenté de procrastiner. J’avais bien une idée de roman mais mon voisin a été plus rapide et c’est lui qui a touché le gros lot. Avant d’accéder à la gloire et à la fortune, il était comme toi, un auteur raté. Son best-seller raconte l’histoire d’un auteur raté qui tombe amoureux d’une jeune, belle et riche héritière. Tu vois, ce n’est pas si compliqué. »
Transformer le handicap en une force, voilà le meilleur conseil que vous puissiez donner à un auteur raté qui vient vous servir à domicile sa soupe à la grimace et l’amère tisane de ses états d’âme. Pour les cas les plus sévères, je préconise le travail manuel. En effet, l’auteur raté ne doit pas passer sa journée à ruminer, surtout s’il a décidé de venir faire ça chez vous. On peut gagner beaucoup à le distraire de son sentiment d’échec en lui confiant de petits travaux qui lui permettent de retrouver l’estime de soi. Vous faites ainsi une bonne action et des économies, au prix où est la main-d’œuvre... Au dernier auteur raté qui a cru bon de larmoyer dans mon salon, j’ai proposé de monter ma cuisine achetée en pièces détachées chez iyaka. En le regardant travailler depuis mon poste d’observation du monde favori, mon fauteuil, au coin du feu en fumant un bon cigare, j’ai pensé à la belle carrière qui aurait pu être la sienne chez iyaka s’il n’avait pas persisté dans celle d’auteur raté. Pour être sûr qu’il avait repris confiance en lui, je lui montrai les lames encore empaquetées d’un parquet flottant destiné au deuxième étage de ma maison. J’avais tellement bien réussi à motiver le brave garçon qu’il se déclara prêt à attaquer tout de suite mais comme je me sentais un peu fatigué de l’avoir vu s’agiter toute la journée avec ses outils bruyants, je l’invitai à revenir le lendemain, après ma sieste si possible. Je ne rechigne pas à donner de mon temps pour aider mon prochain mais tout de même, il ne faut pas exagérer.
Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change, Lyon. Cet épisode de TU ÉCRIS TOUJOURS ? illustré par le dessinateur Miege est paru dans le Magazine des Livres n°27 (novembre/décembre 2010).
23:39 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : feuilleton, tu écris toujours ?, magazine des livres 27, christian cottet-emard, lafont presse, auteur, littérature, humour, blog littéraire de christian cottet-emard, houellebecq, éditions le pont du change
Commentaires
Si tu pouvais m'envoyer ton gars lorsqu'il aura fini ton plancher, j'ai des bricoles à lui confier... Tu sais les bricoles qui occupent une vie entière si on s'y met... Changer les ampoules, balayer les feuilles, tailler la glycine, répondre au téléphone, remplir des paperasses, faire des courses, rendre un service, réparer une chasse d'eau...
Mais moi, je l'accompagnerai en récitant un matra ton gars, parce que je suis brave (et surtout parce que fumer tue) :
Mantra :
Estime de soit mène à Authenticité. Authenticité conduit à Maturité. Maturité entraîne Simplicité. Simplicité chemine vers Humilité. Humilité charpente Liberté. Liberté permet de bricoler. Bricoler mène a Estime de soi. Estime de soi...
Et voilà l'travail ma p'tite dame... Enfin j'dis ça, j'dis rien...
Écrit par : jacki marechal | 23 janvier 2011
Eh oui, mais que veux-tu, Jacki, le narrateur de Tu écris toujours ? n'est pas du tout quelqu'un de brave ! C'est même un type peu recommandable !
Écrit par : Christian Cottet-Emard | 25 janvier 2011
On rate surtout par rapport à une instance supérieure qui est en soi. On échoue à se rejoindre, ou à culminer comme on voudrait le faire. Les douleurs d'ambition en comparaison sont des petits problèmes.
Je crois que la vraie douleur vient surtout de ne pas pouvoir atteindre au génie, qui serait la seule consolation véritable face aux dénis.
Enfin, voilà ce que je pense vis à vis de mes tentatives...
Écrit par : pradoc | 29 janvier 2011
Bien d'accord, comme vous dites, sur les douleurs d'ambition qui sont effectivement de petits problèmes.
Mais l'instance supérieure en soi, c'est un reste de romantisme, comme la notion de génie ou même de création. On ne crée rien et le génie n'est qu'une aptitude à établir des associations surprenantes. Bien sûr, cette constatation n'enlève rien à la joie d'écrire et de vivre.
Écrit par : Christian Cottet-Emard | 29 janvier 2011
Effectivement, ce sont des idées romantiques. Il en faut parfois pour pimenter le déjà su ou dépasser l'écrasement du constat.
Quant au génie, je me suis mal exprimé, j'entends par ce mot une adéquation parfaite d'un homme et de son langage, la continuité de son inspiration (encore du romantisme !), les bonheurs de son expression. En réalité, il s'agit d'une joie dégagée par l'écriture (le travail) et qui justifie l'écrivain.
Sans cette croyance au génie, nous n'aurions pas Nietzsche, Stendhal ou Pessoa qui justement s'intéressèrent à le chercher et trouvèrent quand même un peu plus que des illusions...
Voilà ! Et bonjour à vous. Et désolé d'être bavard et de m'inviter ici pour une petite discussion...
Écrit par : pradoc | 30 janvier 2011
Bonsoir à vous et merci de vos visites. Vous n'êtes en rien bavard et je pense que nous sommes d'accord sur le fond. Je me méfie juste de certains mots.
Écrit par : Christian Cottet-Emard | 30 janvier 2011
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