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27 mars 2008

Trois ans de blog

Je viens de me rendre compte que ce blog a trois ans. Cela coïncide à quelques semaines près avec l'envoi des réponses que j'avais données aux questions posées par une journaliste du quotidien La Croix pour son article « Écriture sur toile » . Lire ici

1) Pourquoi avez-vous décidé d'ouvrir un blog ?

J’ai décidé d’ouvrir un blog parce que je suis le plus sociable de tous les sauvages. Je vis très retiré, en lisière de mes forêts du Haut-Bugey, ce qui est aussi agréable que peu commode pour faire connaître mes livres. Le blog est donc pratique, non seulement pour échanger avec des lecteurs et d'autres auteurs mais encore pour publier. Si l’on me contacte par l’intermédiaire de mon blog, c’est que l’on m’a jugé sur mes textes et non sur un trait de mon caractère ou sur mon statut social.

2) Quel est l'intérêt d'un blog pour un écrivain ?

Pour les autres écrivains, je ne sais pas. Pour moi, la pratique du blog a très vite débouché sur de nouvelles expériences, notamment des opportunités de publication inattendues, par exemple, la parution sous forme de chronique régulière dans le Magazine des livres dirigé par Joseph Vebret, de mon feuilleton « Tu écris toujours ? ».
Sans mesurer l’efficacité de cet outil, j’ai ouvert mon blog en mars 2005, sur les conseils de mon épouse et de l’écrivain Jean-Jacques Nuel et je n’en ai tiré que des bénéfices.
Le blog permet aussi d’entrouvrir une fenêtre sur « l’atelier de l’écrivain », sur les « cuisines et dépendances » pour reprendre le sous-titre que j’ai choisi, sans trop se compromettre pour autant.

3) D'une manière générale, que peut apporter Internet à la littérature ?

À mon avis, internet ne peut rien apporter d’essentiel à la littérature. Ce n’est qu’un outil de plus mais un outil dont la création littéraire peut très bien se passer. Si tous les ordinateurs du monde grillaient en même temps, la littérature continuerait.
Ceci dit, internet peut apporter beaucoup à la diffusion de la littérature, beaucoup plus en tous cas que le circuit habituel de l’édition et de la presse écrite car celles-ci font presque toujours la promotion des mêmes auteurs et des mêmes éditeurs. À cet égard, internet prend le relais, avec une puissance considérable, des médias alternatifs des années soixante-dix du siècle dernier. En ces temps héroïques, le jeune poète saoulé aux vapeurs de ronéo et pirate de photocopieuses exténuées pouvait espérer cent lecteurs dans l’année alors qu’aujourd’hui en ouvrant un blog, il en atteindra cent par jour ou beaucoup plus s'il élargit à d'autres genres que la poésie.

21 mars 2008

Conseils aux écrivains assignés à résidence

950082877.jpgLa résidence d’écrivain, vous n’en rêviez point, ils vous l’ont mitonnée quand même...

La suite dans le nouvel épisode de « Tu écris toujours ? » paru dans Le Magazine des livres n°9 (avril/mai 2008), actuellement en kiosques.

13 mars 2008

Les mésaventures de Cardio Vasculaire

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(Extrait de deux épisodes que j’avais supprimés de mon feuilleton « Tu écris toujours ? » mais cependant publiés dans la revue Mercure n°1, novembre 2007, sous le titre « Souvenirs d’un localier »)

Ma phobie des chiffres m’a souvent jeté dans de stupides travaux alimentaires. L’une des moins reluisantes de ces activités professionnelles a consisté à faire le journaliste dans un quotidien régional qui eut ses heures de gloire en des époques bien antérieures à l’éventualité de ma naissance. La naïveté de mes vingt ans me portait aussi à croire que la pratique du journalisme permettait de consacrer un peu de temps à la littérature, ce qui est évidemment inexact.
C’est donc au fond d’un bureau d’agence locale, sous le néon jaunâtre qui sied à ce genre de cave par ailleurs excellente pour la conservation des cigares, voire propice à la culture de l’endive, de l’asperge ou du champignon de Paris, que je fis la connaissance, bien malgré moi, d’un personnage des plus antipathiques. Cardio Vasculaire (ainsi le baptisai-je dès qu’il se crut autorisé à me parler de ses ennuis de santé) était un de ces fâcheux qui débarquaient régulièrement à l’agence pour discuter le coup avec les pigistes ou le journaliste de corvée. Certains de ces bavards, presque tous retraités, étaient du matin, d’autres du soir. Cardio Vasculaire était du soir et même du dimanche soir. Ce commerçant retiré des affaires pointait son crâne d’œuf de Pâques dont on aurait dénoué le kiki à l’heure à laquelle les plumitifs des sports commençaient à jouer du téléphone pour obtenir les scores et commentaires de toutes les gesticulations dominicales, notamment celles qui dégénéraient autour d’un ballon. Le ballon, Cardio Vasculaire faisait (grise) mine de s’y intéresser et posait ainsi chaque dimanche à la même heure la même question anxieuse au localier en poste : « combien ils ont fait ? » Depuis des années, il obtenait ainsi le score de l’équipe locale de ballon en poussant la porte de l’agence, trouvant toujours un rédacteur pour sacrifier à ce petit rituel susceptible de lui procurer l’ersatz d’émotion auquel son cœur pouvait encore prétendre. Ceci dit, la maladie ne rend pas les gens meilleurs et celui-ci moins qu’un autre.
Cardio Vasculaire, pour le moins, ne m’appréciait pas. La première fois que je l’entendis me dire « Combien ils ont fait ? », je lui fis répéter la question en demandant des précisions (qui « ils », qui avaient fait quoi, etc., etc...). J’en avais aussi profité pour lui signifier mon aversion pour le sport et en particulier pour le ballon en le priant de me préciser que le rond, c’était bien le football et l’ovale le rugby, en rajoutant, au comble de la jouissance : « j’oublie toujours ! » J’ose le dire, cet homme ne me portait pas dans son cœur et j’en avais autant à son service. De toute façon, en dix ans d’exercice journalistique, je ne me suis jamais encombré l’esprit avec un seul chiffre ou nombre pouvant correspondre à un résultat de compétition sportive. Alors, « Combien ils avaient fait » , avec moi, il ne risquait pas de le savoir. En outre, ce que Cardio Vasculaire ignorait, c’est que son innocente question appelant une réponse chiffrée ne pouvait que mal me disposer à son égard. Il suffit en effet que quelqu’un me demande d’évaluer une distance, un volume, une quantité, en un mot une mesure, au moyen d’un chiffre ou d’un nombre, pour que je me sente envahi par une bouffée d’angoisse dont mon interlocuteur a vite fait d’interpréter les signes visibles comme des marques d’agressivité. Lorsque cela s’avère nécessaire, je prends la peine d’expliquer la situation aux personnes de mon entourage familial et amical. Ils me comprennent ou ils compatissent, réactions que je ne pouvais espérer de la part d’un individu tel que Cardio Vasculaire qui, pour être doté d’un gros crâne en forme de son ballon préféré, n’avait pas forcément le cerveau en rapport. Et je peux prouver ce que j’avance.
Malgré son état, Cardio Vasculaire vivait plutôt dangereusement. Il avait en effet la pitoyable habitude de jouer au loto toutes les semaines, toujours la même combinaison de chiffres et de nombres. Comme tous les riches, il voulait encore plus d’argent et il cochait donc consciencieusement, depuis des décennies, ses grilles hebdomadaires. Or, un beau jour, ainsi que cela se produit parfois, il décrocha six numéros. L’ennui, ainsi que cela se produit parfois aussi, c’est que cette semaine-là, pour une obscure raison, il n’avait pas validé son bulletin. Confronté d’un coup à trois émotions violentes (j’ai gagné, j’ai pas joué, j’ai perdu) Cardio Vasculaire fit un malaise.
Je ne sais pas s’il s’en est sorti. En tous cas, je ne l’ai jamais revu. Pourtant, lors de mon dernier jour de travail à l’agence, un dimanche justement, j’ai trouvé moyen de lui consacrer une petite pensée. Alors que j’avais vidé mon bureau et mon armoire dans deux grands sacs poubelle de cent litres, je me suis rappelé la question fusant de ce crâne blafard : « Combien ils ont fait ? » Je me suis imaginé en train de répondre : « des millions, des dizaines de millions, des centaines de millions ! »