29 septembre 2019
Carnet / Et moi et moi et moi...
Récemment, aux Journées des écritures de Cluny, mon ami et éditeur Jean-Jacques Nuel m’a donné quelques numéros de la revue Les moments littéraires spécialisée dans l’écrit intime. Le n°40 intitulé Feuilles d’automne, paru en 2018, a retenu toute mon attention. En mars 2017, écrit Gilbert Moreau, directeur de la publication, la revue a proposé à des écrivains de publier les pages de leur journal intime qu’ils tiendraient entre le 23 et le 29 octobre 2017 ; la même semaine pour tous fut la seule contrainte. Parmi les écrivains qui ont répondu à notre demande, certains tiennent régulièrement leur journal intime, d’autres se sont prêtés à cet exercice à l’occasion de ce projet.
J’ai toujours été très intéressé par toutes les formes de la littérature autobiographique qui me paraît bien plus libre que le roman avec ses contraintes de construction, de techniques narratives et autres artifices aujourd’hui concentrés, notamment en littérature française, dans une production atone.
En lisant Les moments littéraires, je me rappelle un rendez-vous manqué par ma faute. Le fondateur m’avait contacté lors du lancement de la revue voici de nombreuses années et je n’avais pas répondu car j’avais cru à la proposition d’une officine à compte d’auteur. En outre, être sollicité par quelqu’un que je ne connaissais pas ne me serait pas venu à l’idée à cette époque où je venais seulement de trouver l’équilibre entre le fond et la forme de mes écrits, ce qui est la base du « métier » d’écrivain. Les rendez-vous manqués par méfiance, par hésitation et par manque de réactivité suffisamment rapide sont hélas ma spécialité...
Mon activité de diariste revêt plusieurs formes : des carnets remplis d’esquisses, des billets mis en ligne sur mon blog, parfois sur Facebook, et la publication papier sur une décennie comme ce fut le cas pour le premier tome intitulé Prairie journal, publié en 2016.
Hélas, les écrits autobiographiques n’ont aujourd’hui pas très bonne presse parce qu’on y traque le présumé narcissisme de l’auteur alors qu’il s’agit bien sûr d’autre chose. Nous vivons une période qui voit une inversion de la notion d’obscénité : exposition du corps dans tous ses états valorisée mais dévoilement de l’esprit scandaleux ou ridicule. Comme toujours, un conformisme en remplace un autre.
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20 juillet 2019
Carnet / Bilan
Lorsque je rencontre quelqu’un que je n’ai pas vu depuis longtemps, je ne lui pose jamais la question rituelle (Qu’est-ce que tu deviens ?) par souci d’éviter un impair. Je me tiens à cette attitude depuis le jour où je me suis retrouvé en présence d’un camarade de l’école primaire, pas un mauvais type bien que sportif (personne n’est parfait) qui était toujours le premier de la classe. À la distribution des prix, il raflait tout, l’excellence, le travail, la camaraderie, la gymnastique et tout le bazar. Il descendait de l’estrade avec une bibliothèque sur le dos.
À cette fatale question, il m’avait répondu par la description minutieuse de ses galères professionnelles avec en bonus la liste impressionnante des médicaments antidépresseurs qu’il absorbait.
C’est à lui que je pense lorsque je me hasarde à faire des bilans ainsi que j’en ai la mauvaise habitude, histoire de ne pas oublier qu’en ce qui me concerne, moi, élève médiocre, carrément cancre en maths et en langues, je n’ai vraiment pas à me plaindre. Je n’ai certes pas apprécié d’avoir perdu des moments d’existence à gagner ma vie mais les entreprises que j’ai quittées et qui m’ont quitté l’ont senti passer financièrement.
En dix ans de presse locale, je n’ai jamais mis les pieds dans un stade rempli de fous furieux ou dans un gymnase parfumé à l’effort et au plastique.
À part une tronçonneuse et une tondeuse, je n’ai jamais utilisé d'autre outil de ma vie, même pas une perceuse.
En ce qui concerne la maîtrise des quatre opérations, j’arrive au rivage de la soixantaine avec la même incertitude devant une division à virgules.
J’ai échappé au service militaire non pas par conviction antimilitariste mais par convenance personnelle, notamment par refus total et définitif du cauchemar absolu de la vie en collectivité.
J’ai échappé à la mobilité géographique professionnelle (hors de question de me déplacer loin de chez moi, sauf pour un peu de tourisme).
Tout cela aurait pu me priver de ce dont j’ai la chance de profiter depuis longtemps : une famille, un cadre de vie agréable à la campagne loin des kermesses municipales avec lâcher de décibels et des « fêtes » d’après-match où l'on joue à la guerre civile, une disponibilité totale pour écrire, une bonne santé malgré l’anniversaire redouté des soixante ans fin novembre prochain et toujours pas de ces emballements tardifs du système pileux qui vous remplacent les sourcils par des brosses à chaussures ou qui vous font une tête de veau persillée.
Pourvu que ça dure !
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02 juillet 2019
Carnet / Juillet, le mois des voyages rêvés et réels
Lisbonne, détail de la fontaine du Rossio un jour de juillet (photo Christian Cottet-Emard)
Je ne suis pas un voyageur. Jamais l’illusion des lointains ne m’a taraudé. Lors de mes rares déplacements, seul m'importe le retour. Là sonne pour moi l'heure du vrai voyage, le plus complet et le plus aventureux, non plus dans l'espace comme celui qui lui préluda, mais dans le temps.
Parmi les pays que j'ai traversés, par plaisir et par nécessité, l'Italie et le Portugal m'éblouissent et me hantent. D'ailleurs, je suis encore loin d'en avoir épuisé, si cela est possible, toutes les surprises. Les meilleurs moments de ces découvertes ont toujours coïncidé avec des étapes importantes de mon passage de l'adolescence à ce que je ne peux me résoudre à nommer l'âge mûr. D'une certaine manière, l'Italie et le Portugal se sont peu à peu imposés à moi comme une mesure du temps, ce temps où, je le répète, s'accomplit le seul et vrai voyage.
À travers ces notes qui ne relèvent ni du carnet de voyage ni du journal intime, se confondent des lieux et des instants, le plus souvent heureux. Moments du quotidien mille fois revécus en rêves, échappées belles, fuites et retours, exercices d'admiration, ces quelques épisodes ne peuvent sans doute pas signifier grand-chose pour l'amateur éclairé des départs ou pour le chasseur d'aventures inédites.
Que ceux-là passent leurs chemins de hauts vols car c'est au passant des rues mornes que je m'adresse, à l'arpenteur mélancolique des dimanches soirs qui, du fond de sa bourgade, rêve lui aussi de son Italie et de son Portugal vécus et connus de lui seul.
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