24 février 2009
Maths : les régulateurs suprêmes de l'univers
Entre deux séances de rangement — je n’arrête pas de ranger depuis mon installation à la campagne — je suis tombé sur deux textes qui évoquent les mathématiques, l’un dans le magazine Télérama du 18 février 2009 signé Nicolas Delesalle, l’autre extrait d’une édition datant de 1953 de Don Camillo et ses ouailles (ne riez pas, oh et puis après tout, riez, cela ne peut pas faire de mal) de Giovanni Guareschi. Je commence par citer Nicolas Delesalle qui décrit parfaitement le calvaire des nuls en maths, confrérie de misère dont je fais partie :
« Rappelez-vous. Vous avez 15 ans. Vous lisez l’énoncé du contrôle de maths. Vous relisez. Votre ventre se tord. Au premier rang, derrière ses lunettes en cul de bouteille et sous sa raie sur le côté, Maxime L. est en train de répondre tranquillement aux questions. Pas vous. Il a l’air de tout comprendre. Vous avez l’air d’un tourteau devant un lecteur MP3. Vous êtes humilié. Encore. Cauchemar récurrent de générations d’élèves innocents, les mathématiques semblent avoir été inventées pour briser en menus segments l’ego des êtres humains inadaptés à leurs subtilités. Des tueuses géométriques qui coupent les têtes à coups d’intégrales et empalent les enfants rêveurs sur des fonctions pointues. »
Qu’on ne s’y trompe pas, l’article de Nicolas Delesalle n’est pas une charge contre les maths. Il l’écrit dans son introduction :
« Rébarbatives et élitistes, les mathématiques ? Elles sont aussi une façon ludique d’appréhender la beauté du monde. Démonstration. »
J’interromps là ma citation car en ce qui me concerne, pour ce qui est « d’appréhender la beauté du monde » , avec les maths, je n’ai fait qu’appréhender. Beaucoup d’appréhension et, je l’avoue, de l’angoisse, rien que de l’angoisse, que dis-je, du malheur, si je tente de mesurer les conséquences incalculables, c’est le cas de le dire, sur le déroulement de ma vie. Lambeaux d’enfance arrachés, scolarité dévastée, relations avec mon père gâchées, phobies sociales, révolte, désespoir, comportements de fuite, stratégies de repli, sentiment d’échec, culpabilité. Mais cette fois-ci ne pleurez pas, vous qui compatissez, car les maths n’eurent pas ma peau. J’appris vite à rire de mon handicap et à m’inventer une autre vie que celle, misérable, à laquelle me condamnait mon authentique et définitif « illettrisme mathématique » . Cette autre vie, cette nouvelle chance, cette dernière chance, a pour nom littérature, mais ceci est une autre histoire trop riche à raconter maintenant, même si je tiens à préciser que je n’oppose pas les lettres aux chiffres, ce qui serait aussi stupide et faux que d’opposer les mathématiques et L’Art de la fugue.
Il faut pourtant bien reconnaître que les maths sont depuis longtemps l’instrument de la sélection au cœur du système scolaire, ce qui entraîne un immense gâchis. Quelque soit le talent d’un enfant, son avenir est tout simplement compromis en cas d’allergie grave aux maths. Aujourd’hui plus que jamais, un élève qui fournit le minimum syndical s’en sort toujours mieux que l’as d’une seule matière, à condition qu’il se débrouille pour au moins approcher de la moyenne en maths. Au collège j’étais l’un des meilleurs en français, ce qui n’a pas empêché la plupart de mes professeurs de me considérer comme un cancre intégral, costume que j’ai moi-même endossé avec délice dans le seul but de leur renvoyer en pleine figure ce qu’ils considéraient comme mon échec mais, plus grave encore à leur goût, comme le leur. On ne sort de cette spirale de ressentiment que par la fuite ou le conflit. Lycéen lecteur de L’Éloge de la fuite, du professeur Henri Laborit, j’ai bondi vers des chemins buissonniers bien passionnants — je m’en suis même inventé certains — qui auraient pu déboucher sur des impasses sans l’indéfectible protection de ma famille. C’est à mes proche et à la fée littérature que je dois aujourd’hui de vivre à peu près à l’abri des chiffres et plus encore de leur progéniture, les nombres. Bien sûr, ils parviennent encore à me tourmenter dans mon quotidien et parfois dans mes rêves mais je suis sur la défensive et je les tiens suffisamment à distance pour qu’ils ne me pourrissent pas trop l’âge mûr. C’est pourquoi je souligne ce dialogue entre Jésus et Don Camillo dans le roman cité plus haut :
« — Don Camillo, pourquoi en veux-tu tellement aux nombres ?
— Parce que, à mon avis, si les hommes ne vont pas, c’est à cause des nombres. Ils ont découvert les nombres et en ont fait les régulateurs suprêmes de l’univers. »
Photo : pas joyeux en classe dans les années soixante du vingtième siècle à l'école primaire Sainte Jeanne d'Arc et déjà brouillé avec le calcul.
00:23 Publié dans NOUVELLES DU FRONT | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : mathématiques, télérama, delesalle, cottet-emard, guareschi, don camillo, jésus
Commentaires
J'ai une expérience totalement similaire, avec refuge dans la littérature. J'étais premier en français, dernier en maths, et les profs me prenaient pour un demeuré. Ma vengeance avait été la création du nombre élastique (il me semble t'avoir donné à lire un texte sur ce sujet), un nombre qui, devenu flottant et imprécis, ne pouvait plus réguler l'univers.
Écrit par : Nuel | 24 février 2009
Sniff!! Vous serait-il possible d'envisager le calvaire d'une petite fille de 8 ans, dont le porte plume menace de laisser tomber en une flaque aux contours imparfaits son trop plein d'encre, devant une feuille de papier quadrillé qu'elle doit en un temps donné recouvrir de phrases orthographiée selon les règles et qui expriment du sens, cela s'appelait une rédaction....Quel exercice pervers pour moi, alors que 2+2 = 4, que le calcul du périmètre du champ du fermier fait appel à une logique imparable. J'aime malgré cette terreur d'enfant beaucoup la littérature et méprise les financiers et leurs chiffres.
Bien à vous gens de lettres
Écrit par : Martine Colletta | 24 février 2009
Bien, je vais encore me distinguer... la matière où j'ai toujours collectionné les 20/20 jusqu'au Bac, c'est en Education Physique et Sportive! Sinon j'étais moyenne partout, hélas en seconde meilleure en maths ce qui me valut le calvaire d'un parcours scientifique, moi qui ne désirais qu'une chose, c'était me diriger vers les langues... me suis rattrapée par la suite, dès que j'eus quitté le carcan de l'éducation nationale.
Écrit par : Pascale | 24 février 2009
Tiens, des points communs :o)
Au lycée j'ai eu la chance d'avoir pour les trois années un prof de maths qui me laissait cultiver mes notes indécentes au fond de la classe avec mes classiques du 19ème et me défendait aux conseils de classe (il voyait bien qu'en français histoire et langues par contre je marchais sur le haut du pavé) en disant que je faisais des efforts louables pour y arriver.
Écrit par : Loïs de Murphy | 25 février 2009
* Jean-Jacques : très fort, le nombre élastique. Encore plus subversif que les montres molles !
* Martine : j'ai toujours pensé que la logique était aussi rassurante qu'un fauve en cage.
* Pascale : au collège, j'ai obtenu de mon médecin une dispense de gym de six mois. Elle m'a servi toute la durée du lycée. C'était encore possible en ce temps-là !
* Loïs : oui, il existe des profs de maths compréhensifs. L'un d'eux m'a permis de lire Jean Tardieu pendant ses cours, ce qui m'a été très utile lors de ma première rencontre avec lui pour un entretien improvisé.
Écrit par : Christian Cottet-Emard | 26 février 2009
Je vois, Christian, tu faisais partie de ces gens qui ont leurs règles 6 mois sur douze... ;-). J'ai toujours aimé le sport, encore aujourd'hui, et heureusement que ma sœur a essuyé les plâtres avant moi sinon je me serais engagée dans le CAPES de gym. Heureusement, car j'ai compris en suivant sa première année de cours que je n'aimais pas enseigner mais pratiquer, en toute convivialité, loin de la compétition et en toute amitié. Mes plus beaux moments dans la vie je les ai vécus là, en partie. Lire, écrire, a toujours fait partie de mon existence aussi, c'était mon équilibre secret. Quand j'ai ouvert le site à plus de 40 ans, mes parents sont tombés des nues : on ne savait pas que tu lisais et écrivais! Depuis quand? Depuis toujours... et je leur ai montré des poèmes écrits à 15 ans.
Écrit par : Pascale | 26 février 2009
Les souvenirs souvent cuisants de nos aversions scolaires sont révélateurs du gâchis dont je parlais plus haut à propos des maths ou d'autres disciplines : depuis notre plus plus jeune âge, nous sommes jugés sur nos manques et nos faiblesses plutôt que sur nos qualités, notamment à l'école où l'on est puni si l'on n'a pas compris ou si l'on est trop lent à comprendre. Que ce soit en sport, en Lettres, en maths ou en tout autre enseignement, il faudrait pouvoir dire à un jeune : « fonce là où tu es bon et ne perds pas de temps à ramer pour arriver à être moyen voire médiocre partout. » On éviterait bien des naufrages et de tenaces allergies. La littérature autobiographique y perdrait un peu, c'est tout !
Écrit par : Christian Cottet-Emard | 27 février 2009
Ce qui est curieux, Christian, c'est que tu sois très fort en orthographe et pas en math...Et puisque chacun y va de son expérience personnelle... Pour ma part je témoigne que je n'ai pendant longtemps pas compris ce que l'on voulait m'apprendre, tout ça faisait partie d'une nébuleuse floue, un tas d'informations cotonneuses comme dans un rêve. Par exemple je ne comprenais pas pourquoi on analysait les mots et qu'il fallait déterminer leur genre ou autre... J'ai réalisé vers 45 ans qu'il y avait trois groupes de verbe ! (j' accordais d'instinct, tout était exception... question de mémoire.... )Pareil pour ce qu'on appelait à l'époque la mathématique moderne, j'ai réalisé bien plus tard que je trouvais ça tellement évident, que je me demandais pourquoi on nous le démontrait...Et donc je ne pouvais pas répondre aux questions, car elles auraient dues avoir fonction de difficulté... Je ne pouvais tout de même pas dire au prof des choses aussi bêtes. Je me suis aperçu depuis que mon esprit était très peu analytique et beaucoup global, une idée générale me suffit, j'ai par exemple toujours une idée approximative de mes rendez-vous, jusqu'à ce que la date se rapproche vraiment (et je bénis les agendas electroniques !!!). J'ai énormément de mal à ne pas faire de fautes d'orthographe parce que je m'intéresse au sens du texte et cela exclu les détails de l'orthographe...Vers 40 45 ans j'ai commencé à réaliser mes liens de parenté exacts avec les gens de la famille. Bon, conclusion, lorsqu'on n'est pas analytique on ne fait pas d"études, mais quoi, cet état de fait n'empêche pas d'avoir une vie passionnante et à l'affut de la moindre chose curieuse qui s'ajoute à la soupe confuse mais copieuse qui élabore une sorte de conscience floue mais malgré tout utilisable... voir même indispensable pour être artiste et non artisan de sa vie.
Écrit par : jacki marechal | 27 février 2009
Être artiste et non artisan de sa vie, voilà un programme qui me plaît. Tu vas même bien au-delà dans ta peinture mais cela nécessite une stature ou, plus modestement dans mon cas, une instinctive capacité de réaction à ce qui tend toujours à nous réduire à moins que rien.
Écrit par : Christian Cottet-Emard | 01 mars 2009
Devos nous disait : "trois fois rien c'est déjà quelque chose". Je dirait qu'être moins que rien, c'est être du bon côté de la marge. Etre en dessous de la barre fatidique du zéro, c'est cueillir les pâquerettes à l'envers et les disposer dans un verre renversé d'où l'eau ne s'échappe pas... Ceux d'en dessus ne peuvent pas comprendre... Ce n'est nullement de la résignation, c'est l'ouverture d'un hiatus vers quelque chose d'immensément clair... Il n'y a que dans les nappes souterraines que l'on peut marcher sur l'eau... Un peu comme ce gamin rêveur qui aurait pu servir de modèle à Doisneau et se retrouver sur tous les calendriers des postes... Et s'eut été enfin la gloire pour toi Christian !!!
Écrit par : Jacki Maréchal | 03 mars 2009
Dites moi, nous sommes peu ou prou de la même génération, nous avons cet enracinement terrien, familial et professoral associé à des souvenirs un peu désuets mais qui nous chavirent au point d'être inscrit sur Trombi.com. Nous nous retrouvons dans cette mouvance à la fois encrée mais la tête dans les étoiles, cette volonté de sortie, de casser le carcan soixante-huitard, MAIS QUE DISONS NOUS A NOS ENFANTS? Quand ils se plaignent de leurs professeurs, des matières qu'on leur enseigne, du contenu même de ces cours les entraînant vers cette pensée édulcorée et uuuuunique ?????
Écrit par : Martine Colletta | 05 mars 2009
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