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14 juillet 2008

Pourquoi Mhorn s'appelle-t-il Preben ?

Pourquoi Mhorn s'appelle-t-il Preben ? Parce que sa mère, venue du Nord, habite désormais sur le flanc d'une montagne du Sud-Est, du côté des forêts d'épicéas où craquent volontiers les orages d'été.

Un de ces jours de canicule, la mère de Preben Mhorn, dans les derniers mois de sa grossesse, avance péniblement dans le parc public de la petite cité industrielle. Elle finit par s'asseoir sur un banc, au bord de l'étang, et elle regarde l'eau aussi lisse et opaque que le ciel vert-de-grisé. Pas une feuille ne bouge dans les grands frênes autour de l'étang.

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Un parc dans une ville déserte, un été de plomb, un banc au bord d'une flaque d'eau huileuse et ce gros ventre si lourd à transporter, ainsi s'écoulent ses journées. La voilà qui somnole dans la chaleur. Un gros poisson de vase a effleuré la surface du plan d'eau. La mère de Preben sent ses yeux se fermer sur les cercles qui trahissent la présence de l'animal.

L'étang devient un fjord et les forêts, plus sombres, se rafraîchissent sous le ciel bien lavé du Grand Nord. Et voici que la jeune femme rêve à son pays, au Septentrion... Quel voyage ! Elle voyage beaucoup... Dans sa tête. Et lorsqu'elle se retrouve à la maternité, en salle de travail, avec son ventre secoué comme la mer dans une terrible tempête, la canicule est toujours là.

Tout est trempé, il y a de l'eau partout, mais de l'eau tiède et rien que de l'air chaud à respirer. La jeune femme dévale un torrent puis un fleuve en crue. Un enfer de bouillonnements et de gargouillis. Un fleuve fangeux, le fleuve des Enfers, le Styx, l'Achéron ou le Cocyte. À moins que ce ne soit le Phlégéton et son flot de flammes. Alors, lui revient en mémoire l'arrêt devant l'étang. Dans sa descente des eaux en furie, elle agrippe les nageoires du poisson de vase et elle l'enfourche. Le poisson saute d'un gigantesque bon et projette partout de l'écume boueuse. Il retombe au milieu d'un cercle qui se répercute à l'infini à la surface paisible d'un fjord bordé de fraîches et sombres forêts. Le Nord ! Le Septentrion ! Un enfant d'une grande beauté sort de l'eau du fjord. Un enfant avec un prénom du Nord : Preben.
- Et comment l'appelons-nous ce beau garçon ? demande la sage-femme.
- Preben. Il s'appelle Preben, répond la jeune femme dans un souffle.
Et voilà pourquoi l'enseigne de vaisseau Mhorn s'appelle Preben. À cause de la canicule dans les montagnes orageuses et du poisson de vase.

(Extrait de : Le Grand variable, éditions Editinter, 2002. Épuisé)
Photo MCC

13 juillet 2008

Dommage pour les moineaux !

Je lisais depuis un bon moment dans le jardin lorsqu’un fracas provenant des feuillages éparpilla une volée de moineaux et de merles. À peine avais-je levé les yeux qu’une ombre me frôla. Je n’eus même pas le temps de sursauter car mon regard se logea directement dans celui d’un jeune épervier à l’étrange comportement. Le rapace sautillait sur place, dans la pelouse, et semblait hésitant. Je le scrutai sans bouger d’un cil et je finis par distinguer sous ses serres le petit corps palpitant d’un moineau. D’un simple geste, j’aurais pu l’affoler au point de lui faire abandonner sa victime mais j’y renonçai sans savoir pourquoi. L’épervier me fixa pendant quelques secondes encore puis, constatant mon absence de réaction, agrippa sa proie et l’emporta dans les airs. Qu’est-ce qui m’aurait autorisé à le priver de son déjeuner, à contrarier la nature ?
La question me renvoya au souvenir d’une situation semblable dans laquelle j’eus la réaction inverse, ce qui me priva définitivement de la confiance d’un chat qui partagea plusieurs années de ma vie. Il avait réussi l’exploit de capturer un moineau sur le bord du balcon et jouait avec sur le parquet lorsque j’eus la mauvaise idée de lui confisquer l’oiseau encore intact en apparence et de le libérer. Il réussit à s’envoler mais son cœur minuscule ne résista probablement pas longtemps à cette agression. Quant au chat, il changea radicalement de comportement à mon égard. Le lien entre nous était brisé.
Cette petite chronique animalière me remet en mémoire un débat auquel je participais avec quelques auteurs voici plusieurs années. La plupart d’entre eux se réclamaient d’une « littérature urbaine » qui n’avait pas à s’encombrer des célébrations élégiaques d’une nature qu’ils jugeaient, à l’instar d’un Houellebecq, hostile et cruelle. J’eus du mal à expliquer que mes références constantes à la nature et à la campagne ne relevaient pas d’une « célébration élégiaque ». Dommage pour les moineaux !

09 juillet 2008

Nuitamment

Je sais depuis longtemps que la musique me répare mais je me plais à me le répéter chaque fois que je reviens d’un concert marquant. En ce début juillet, je suis gâté.
En quelques jours, j’ai pu écouter des amis organistes, Véronique Rougier à Saint-Lupicin (Jura) révélant toute la délicatesse et les nuances de l’instrument de quatre jeux construit par Philippe Hartmann, puis Olivier Leguay hier soir à la co-cathédrale Notre-Dame de Bourg-en-Bresse dans sa superbe interprétation des Chorals du Dogme de J-S Bach. Savoir qu’il joue cette musique par cœur rend tout commentaire superflu. Risquons tout de même trois adjectifs : clair, recueilli, puissant. Des mots bien faibles pour exprimer l’art de ces deux musiciens. De retour avec eux dans la nuit par la route surplombant les méandres de la rivière d’Ain, j’ai vu un hibou frôler le pare-brise.
Ainsi que j’en ai l’habitude en rentrant de concert, j’ai croqué quelques sandwiches, trinqué à la santé du canari mécontent de mes médianoches à répétition et je suis sorti fumer un cigare sur le pas de la porte. Une brise de fin d’orage dispersait mes volutes tandis que perçaient quelques étoiles au-dessus des grands tilleuls odorants. La tête pleine de musique, je songeais aussi à un autre concert, celui de dimanche, en plein orage, où je me trouvais à l’abbatiale Saint-Michel de Nantua (Ain) pour profiter d’un programme Boëly interprété par Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun qui ont enregistré l’intégrale des œuvres pour orgue de ce compositeur.
En me remémorant toute cette beauté, je me suis figé dans une telle immobilité qu’une fouine est venue allonger son pas de petite danseuse à quelques mètres de moi. La voir s’éloigner du halo des derniers lampadaires m’a rappelé qu’il était temps, à trois heures du matin, d’aller dormir après la rédaction de ces quelques lignes totalement inutiles...