Conseils
aux écrivains qui ne veulent pas se lever.
Longtemps, je me suis couché de bonne heure et ne m’en suis pas pour autant levé le lendemain dès l’aube à l’heure où blanchit la campagne. Oui, je peux donc vous comprendre ô fainéants dans la vallée fertile de la couette en pur coton biologique garantie commerce équitable et rembourrée de poils de Paresseux d’Amérique tropicale (recueillis un à un à la main avec un peigne en buis d’Oyonnax), que vous soyez best-sellers mondiaux ou plumitifs de sous-préfectures, allez, je ne vous hais point, vous qui ne fûtes et ne serez jamais des écrivains du matin.
Ah, ça oui, il en faut de bonnes raisons de se lever pour assumer la condition d’auteur et se dire chaque jour en tombant du lit du pied gauche : « s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là car autant que ce soit moi plutôt que vous, chers confrères. » Si une aussi mauvaise pensée peut vous donner du courage, n’hésitez point à vous en imprégner, quitte à la répéter dix fois à voix haute devant ce miroir qui ressemble à une photo de vous prise juste avant votre retour tardif ou matinal de quelque bamboche. De toute façon, à cette heure et dans cet état, soir ou matin ne sont que de vagues notions sans importance si vous les comparez à la seule et dure réalité, cette malédiction qui condamne le genre humain à se lever en sachant que ce sera pour finir un jour ou l’autre couché pour l’éternité.
Bien avant cette prise de conscience définitive, lorsque je fréquentais l’école primaire, j’avais déjà de ces réveils difficiles et je ne devais pas être le seul puisque l’institutrice, après la prière, éprouvait le besoin de nous faire chanter ce couplet : « hop, dès le matin lève-toi, lève-toi ah ! Hop, dès le matin lève-toi gaiement... » rengaine que j’aurais pour ma part volontiers transformée en : « hop, dès la récré lève-toi, lève-toi ah ! Hop, dès la sortie lève-toi gaiement... » Vous me saurez gré, frères et sœurs hypersomniaques, de vous faire grâce de la suite de cette chanson dans laquelle il est question de petits lapins et de toutes sortes de bestioles inexplicablement heureuses de sortir de leurs terriers dès potron-minet.
Cependant, si vous insistez, grands procrastinateurs devant l’Éternel, je peux toujours vous conseiller de moduler bien haut ce refrain dès votre réveil pour vous encourager à retrouver l’héroïque position verticale. J’ai quant à moi renoncé à ces vocalises en raison des miaulements déchirants qu’elles inspiraient, les soirs de pleine lune et, il faut le dire même en plein jour, à Sir Alfred, le matou de mon voisin. C’est que j’aime beaucoup les chats et les animaux en général. Jamais je ne ferais de mal à un animal. À un être humain, peut-être, mais pas à un animal.
Ceci dit, revenons à ces moutons que nous autres, gros dormeurs, n’avons jamais besoin de compter pour glisser dans les bras de Morphée dont il nous faut pourtant nous échapper pour écrire nos livres et, hélas, nous astreindre à toutes les misérables activités alimentaires destinées à entretenir cette danseuse qu’est la littérature ou, pire encore, la poésie. Croyez-vous en effet sérieusement, chers lymphatiques, que le projet d’envoyer des manuscrits à des éditeurs qui n’ont rien demandé puisse suffire à vous faire abandonner vos draps soyeux ? Me diriez-vous les yeux dans les yeux, poètes, que la déprimante perspective de proposer des recueils à des éditeurs de poésie puisse vous inspirer autre chose que le désir de vous faire prescrire deux ou trois de ces bonnes vieilles cures de sommeil à la Villa Lysanxia réputée pour la sérénité de ses grandes chambres blanches aux murs capitonnés ?
Ah, tenez, je ne saurais trop vous recommander d’abandonner toutes ces chimères et de ne plus vous concentrer que sur votre œuvre, que sur ce grand livre à écrire debout au pupitre et non vautré sur l’édredon ou dans les coussins comme mon voisin auteur d’un unique best-seller dont il se vante auprès des journalistes d’avoir produit chaque page au lit. Depuis, il a certes gardé l’habitude de la sieste mais perdu pour toujours celle d’écrire. Je peux aussi vous parler d’un autre cas d’auteur campagnard adepte de la rédaction en chambre.
Un jour que sa boîte aux lettres avait explosé sous la pression des prospectus, ses voisins décidèrent de lui rendre visite pour prendre de ses nouvelles, ce qu’aucun éditeur, je le souligne au passage, n’avait malheureusement songé à faire. Eh bien, vous allez rire, il était mort depuis quinze jours. Non, je plaisante. En réalité, les voisins le trouvèrent au lit avec son ordinateur et fort contrarié d’être dérangé par cette bande d’illettrés qui n’avaient qu’à s’occuper de leurs affaires. C’est en effet bien la peine de s’installer à la campagne si l’on ne peut même plus se faire oublier tranquille.
La suite du feuilleton dans Le Magazine des Livres n°30 (mai 2011) qui vient de sortir en kiosques.