Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

18 novembre 2006

Agent / Argent

-"Dans le monde littéraire anglo-saxon, si on veut publier un livre, on cherche d'abord un agent."

-"En France, pratiquement aucun auteur ne peut gagner sa vie ; toute la chaîne du livre vit du livre, sauf l'écrivain."

(Jonathan Littell, extraits de l'entretien dans Le Monde des livres, vendredi 17 novembre 2006)

08 novembre 2006

Pamphyle à Lyon

Lorsque le peintre Jacki Maréchal m'a présenté Pamphyle à la galerie Ex-libris à Oyonnax, j'étais déjà sous le charme évident et discret de cette oeuvre puisque Jacki m'avait montré les tableaux avant le vernissage. Toujours à la demande de Jacki, j'avais écrit un texte pour le catalogue.

medium_pamphyle.4.jpg
Je trouve en l'exposition que la galerie lyonnaise Le Soleil sur la place consacre en ce moment à Pamphyle une bonne occasion de donner de nouveau ce texte en lecture.

J'envie l'amateur que le destin aura choyé en lui ménageant pour la première fois une halte devant une oeuvre de Pamphyle.
À ce chanceux qui ne connaît pas encore son bonheur, je n'imposerai pas mon interprétation. Ce que j'ai pu ou cru voir dans d'étonnantes teintes de métal ou de bois patinés, dans des grains et des trames où l'écriture et la peinture ne cessent de se faire signe, est un cadeau qui m'appartient. Je lui dirai simplement de ne pas manquer l'occasion de cette nouvelle rencontre avec une beauté dont il a l'instinct et l'idée mais que seul l'artiste sait matérialiser.
Cette beauté, Pamphyle la fixe un moment qui devient un tableau. Il agit dans l'interrogation de la matière où s'animent des empreintes, des graffiti et des rayures. J'oserais dire des nervures. Toutes ces marques s'organisent parmi des lignes et des strates où le regard cheminera sans contrainte.
À ce visiteur qui a encore toute sa découverte devant lui, je ne chercherai même pas à décrire, encore moins à expliquer. Tout au plus veillerai-je à lui indiquer en Pamphyle un allié sûr dans l'obscur et lent combat de toute nature poétique décidée à garder les yeux ouverts sur le meilleur de la vie.
Ce passant spontané qui va frôler le monde de Pamphyle, je me contenterai de lui suggérer : entre et regarde. Regarde comment la réminiscence d'une vieille couleur sur une coque rouillée peut se décliner en une marine, comment murmure un mur et comment crie une écorce ou peut-être même comment crisse le temps sur les surfaces de son passage.
Mais ce sera déjà une autre histoire qui se colportera entre des regards accueillants comme des jardins au geste fertile du peintre. Ce sera l'histoire personnelle de tous les attentifs qui franchiront le seuil de Pamphyle.

- Exposition Pamphyle, galerie Le Soleil sur la place, 4 rue Antoine de Saint-Exupéry (ex rue Alphonse Fochier) 69002 Lyon. www.lesoleilsurlaplace.com
Du mercredi 8 novembre au jeudi 7 décembre 2006.

27 octobre 2006

Avec le bonjour d'Effron Nuvem (Comment j'ai écrit et publié Le Club des pantouflards)

medium_EffronNuvem.JPG

À quelques maisons de la mienne, habite mon voisin qui pratique le chant choral et l’humour anglais. Nous nous saluons dimanche en ville : “ah, j’oubliais, me dit-il d’une voix neutre avant de s’éloigner, vous avez le bonjour d’Effron Nuvem.” Effron Nuvem est l’anti-héros du dernier livre que j’ai commis, "Le Club des pantouflards" (éditions Nykta). La librairie et la maison de la presse de ma ville ont bien mis l’ouvrage en évidence ainsi que les journaux locaux. Voici donc Effron Nuvem lâché dans la nature après sa naissance hasardeuse.

Comme beaucoup de personnages de roman, Effron Nuvem naît d’oiseuses rêveries. Pour autant que je me souvienne, en chemin vers le bureau, un matin d’automne 2002, je revois sa silhouette sortir d’une nappe de brouillard et y retourner presque aussitôt. Je pense à lui dans la journée. Pourquoi ? Je ne sais. Peut-être ai-je envie de disparaître moi aussi dans le brouillard au lieu d’attendre l’heure de la sortie. Toujours est-il que je note son passage sur une paperasse intitulée “Direction de l’administration du personnel”.

Le soir même, sous la lampe en pâte de verre bleue d’un autre bureau, le mien, Effron Nuvem encore à l’état de silhouette enjambe la paperasse “Direction de l’administration du personnel” pour continuer son chemin au verso d’une vieille enveloppe kraft d’où il saute tout droit dans les pages d’un volume à la couverture illustrée de perroquets intitulé sur la tranche “Cahier de coloriages et de découpages”. Durant ses premières pérégrinations, un X suffit à le désigner et rien ne le prédispose encore à un destin d’anti-héros de faux polar. Car Le Club des pantouflards n’est pas, loin s’en faut, un polar dans la pure tradition.

Plusieurs personnes sont à l’origine du basculement de celui qui ne s’appelle pas encore Effron Nuvem dans les marges de la littérature policière. La première est Marie-Ella Stellfeld qui, à l’époque, travaille à “L’Homme aux oreilles de jazz”, un polar dont l’action se situe dans ma ville, Oyonnax, et qu’elle publiera en 2003 aux éditions Nykta. Elle me suggère de proposer un texte adapté à cette collection de petits polars qui doivent avoir pour cadre une ville où vit l’auteur ou avec laquelle il a des liens. Malgré l’attrait de cette collection de poche joliment nommée “Petite nuit”, je renonce en raison des contraintes de genre et de format. L’ombre irréelle du futur Effron Nuvem n’a pas fini d’errer entre brouillard et papier !

Mais voici qu’à l’automne 2004, l’écrivain Claude-Jean Poignant qui anime avec France Baron les éditions Nykta, vient interrompre ma sieste derrière mon stand au salon du livre d’Attignat dans l’Ain. Il me propose de collaborer à la collection et je lui réponds que je risque de ne pas y arriver mais que je peux toujours essayer. De retour du salon, je contemple avec envie les polars “Petite nuit” déjà en ma possession et je décide de partir à la recherche de cette silhouette surgie des brouillards d’automne dont les traces se limitent à quelques pattes de mouches courant sur des papiers en désordre.

En écoutant les sonates pour orgue de Paul Hindemith, mon esprit crée un lien entre une idée de nouvelle qui m’était venue sur le thème de notre dépendance aux cartes bancaires et une envie d’écrire dans la tonalité de sombres ambiances provinciales. Et comme il faut un crime, je l’assortirai d’une machination, histoire d’être plus convaincant car j’ai toujours beaucoup de mal à tuer mes personnages (les gens sont-ils si importants qu’on ait besoin de les assassiner ?).

Le destin de l’homme des brouillards commence à se préciser. Je ne sais pas encore s’il sera du côté des victimes ou des bourreaux. Pourquoi pas des deux côtés ? Maintenant, il va falloir lui donner un nom, un passé (à défaut d’un futur), une identité sociale. Je ne suis pas sorti de l’auberge. Et tout cela en moins de cent pages. J’allais oublier la principale contrainte : le cadre, la ville. Il en faut une qui ait un lien avec l’auteur et avec la géographie de la collection qui comprend dix titres par région ou département.

Dans l’Ain, Oyonnax et Nantua (ma zone de vie) sont pris. Je me lance sur Bellegarde-sur-Valserine (ambiance polar cafardeux assurée), sachant qu’il ne reste plus qu’un ou deux titres à publier pour boucler la collection de l’Ain. Avec la publication de “La Bresse dans les pédales” de l’ami Roland Fuentès qui s’est attaqué à Polliat, il ne reste qu’une place. Le temps que je me décide à envoyer le tapuscrit, le dernier bastion de l’Ain est occupé par Jean-François Dupont qui signe “Par temps de neige” à Ambérieu.

France Baron et Claude-Jean Poignant qui viennent de planter le drapeau à la petite lune bleue de leur maison d’édition sur le Rhône me proposent d’y décaler mon histoire, sachant qu’un premier commando d’auteurs a déjà investi la capitale des Gaules. Parmi eux, Max Levrat qui signe le premier titre “Distribution gratuite”. J’opte donc pour un contournement de la colline de Fourvière (avec sa basilique en forme d’éléphant sur le dos) avec discret franchissement de la Saône par le pont Masaryk, direction Vaise où j’envoie bivouaquer mon agent des brouillards encore affublé de la lettre X dans les pages de mes brouillons.

Il mène dans ce faubourg que j’ai moi-même hanté pour raisons économiques la vie des victimes d’un libéralisme de plus en plus sauvage. Passer de Bellegarde-sur-Valserine à Lyon-Vaise m’oblige à retravailler les cadrages mais pas l’atmosphère tant la chronique gueule de bois de l’après Trente Glorieuses s’y entend à contaminer le moral de nos belles provinces à grandes lampées de friches industrielles et de régression sociale.

Le sort en est jeté, c’est en chomdu (chômeur de longue durée) que va enfin s’incarner l’ombre née du brouillard et c’est moi, salaud d’auteur, qui vais faire basculer son tristounet train-train dans l’effroi. Effroi, cela sonne comme Effron, prénom qu’on rencontre parfois dans la littérature russe. J’en conviens, cela ne donne guère plus de consistance au personnage, ce qui est normal puisque cet infortuné Effron est socialement inconsistant. Il ne fait que passer tel un nuage et le mot “nuage” m’évoque immédiatement la traduction portugaise d’un des mes recueils de poèmes dans laquelle “nuage” s’écrit “nuvem”. Bienvenue dans ce monde cruel, Effron Nuvem ! Et tant pis pour les lecteurs et journalistes qui ont gaspillé quelques minutes de leur temps précieux à chercher l’anagramme !

Reste à savoir, ainsi oint de l’élixir de la fiction, si Effron Nuvem va réussir sa nouvelle mutation, c'est-à-dire passer des pattes de mouches aux polices de caractères, du pelure de mes brouillons au bouffant de l’édition. La réponse arrive à la mi-juin 2006 par la poste avec mes exemplaires d’auteur que je découvre en prenant mon petit déjeuner devant mes pivoines. Tant mieux pour moi, tant pis pour Effron Nuvem !