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01 mars 2006

Contre le service civique obligatoire (2)

J’ai reçu le numéro consacré à la création d’un service civique obligatoire que l’hebdomadaire La Vie se proposait d’envoyer gratuitement à ceux qui en feraient la demande. Je ne voulais pas dépenser deux euros cinquante pour cela et il est vrai qu’à la lecture du dossier politique réalisé par ce magazine au nom décidément trop grand pour lui, je n’ai pas regretté mes économies. Estimant que j’ai déjà trop pollué mon blog avec de la politique (pour laquelle je n’ai guère de goût), je me contenterai juste de retourner contre les défenseurs de cette idée leurs propres mots.
Attention, descente au ras des pâquerettes garantie, car l’on voit refleurir dans le discours des zélateurs du service civique des termes d’un autre âge, en rapport avec la ringardise de leur proposition. (Je passe sur les clichés habituels concernant la solidarité, l’égalité des chances et la mixité sociale au pays des acheteurs de yachts à soixante millions d’euros et des chômeurs en fin de droit.) Pour l’heure, tenons-nous en aux mots.
Dans l’éditorial de la Vie (catholique), un dénommé Max Armanet en a déterré un qui peut faire rire maintenant mais qui a fait très mal dans le chaos barbare de la guerre de 14-18 : “défaitiste”. (Notons au passage à quel point l’idée du service civique obligatoire conserve une forte connotation militaire comme en témoigne le titre donné à un courrier de lecteur : “Pas de planqués !”) Comment s’en étonner ? Pour ce directeur de rédaction (toujours se méfier des directeurs de rédaction), les opposants au service civique obligatoire sont des défaitistes. Je cite ce monsieur :

“Mauvais coup pour l’emploi, trop cher pour le budget de l’État. Nous connaissons la rengaine des défaitistes de tous bords.”

Une référence directe au bourrage de crâne du début du vingtième siècle avec, quelques lignes plus bas, une allusion au passé archaïque de nos sociétés au bon vieux temps où l’on pratiquait le “rite de passage”. Nouvelle citation :

“Ce service aura également pour mérite de reconstruire le rite de passage...”.

De “rite de passage”, il est encore question dans l’article signé Philippe Merlant et Olivier Nouaillas qui citent Fabrice Hervieu-Wane, auteur des “Nouveaux rites de passage” dans la Vie du 23 juin 2005 :

“Qu’avons-nous, nous adultes, à proposer aux jeunes à part de consommer jusqu’à la mort ?”,

demande avec une belle candeur ce monsieur à qui on pourrait répondre en lui retournant la question : Qu’avons-nous, nous adultes, à proposer aux jeunes à part de ne plus pouvoir consommer jusqu’à la mort parce qu’ils n’en ont plus les moyens ?
Jeunes, vous êtes fauchés ? C’est bien triste mais il vous reste quand même une richesse à donner : votre temps. Qu’à cela ne tienne, nos deux journalistes ont réponse à tout :

“l’exigence d’une solidarité basée sur le temps apparaît essentielle dans une société qui tend à marquer tous les échanges du seul sceau de l’argent. N’y aurait-il donc que l’impôt - donc encore un transfert monétaire - pour traduire la solidarité nationale ?”

Nous sommes ici dans un grand classique, les pauvres appelés au don, au dévouement et à la solidarité par des nantis qui affectent de dénoncer la société de consommation qu’ils gèrent et dont ils profitent chaque jour. Comme il a beau jeu, François Bayrou, de déclarer quelques lignes plus haut :
“Il est temps de redécouvrir que les liens qui nous unissent ne sont pas seulement des rapports de producteurs et de consommateurs.”

Que cela et bel et bien dit, sortons nos mouchoirs et admirons au passage comment la droite sait prôner comme seul modèle une société essentiellement marchande (pour perpétuer les intérêts de la classe dominante) tout en faisant mine de “redécouvrir que les liens qui nous unissent ne sont pas seulement des rapports de producteurs et de consommateurs” ! Qu’en pense Dominique Strauss-Kahn page suivante ? Il n’y va pas par quatre chemins :

“Si l’actuelle majorité veut un service civique, qu’elle permette à cette idée d’aboutir ! Si elle ne le fait pas, la gauche la mettra en œuvre, si les Français lui donnent le pouvoir en 2007...” Et d’enfoncer le clou un peu plus loin : “Pour le parti socialiste, cette cause est prioritaire.”

Opposants au service civique obligatoire, souvenons-nous en le moment venu, en 2007. Il sera toujours temps pour les politiques de se lamenter sur l’abstention.

Précision : ma première note consacrée à ce sujet date du 1er février 2006 et a pour titre : "service civique obligatoire : à qui profitent les émeutes ?"

14 février 2006

Service civique obligatoire : anticonstitutionnel ?


Ici, un article du Point qui donne un argument juridique contre le service civique obligatoire



01 février 2006

Service national obligatoire : à qui profitent les émeutes ?

La vieille nostalgie franchouillarde du service militaire obligatoire hante toujours les recoins les plus moisis de certains esprits.
L’hebdomadaire “La Vie” (dont on se demande pourquoi il a renoncé à son nom d’origine (“La Vie catholique”) lance une pétition en faveur d’un service civique obligatoire, appel abondamment relayé par son grand frère Télérama, quant à lui bien inspiré de titrer “Mobilisation générale”. (On sent d’ailleurs, je me plais à le croire, un soupçon de scepticisme dans le papier de Luc Le Chatelier). Car il ne faut pas s’y tromper, malgré leur empressement à préciser “qu’il ne s’agit pas d’une quelconque nostalgie du service militaire”, ceux qui ont enfourché ce serpent de mer n’ont rien d’autre dans la tête, à l’exception des journalistes compromis dans cette initiative grotesque. Ces derniers, en professionnels aguerris, savent bien de quel engrais nourrir le pré carré de leurs chiffres de vente.
La liste des premiers signataires, publiée dans Télérama, parle d’elle-même et nous permet de constater une fois encore qu’il n’existe plus ni gauche ni droite dans ce pays, tout au plus un “centre” mou et baladeur dont les notables sont si désemparés qu’ils s’en trouvent réduits à aller fournater dans le magasin des accessoires les plus mités. Car le service national obligatoire (militaire ou non) est une vieille lune à peine éclipsée. Il est d’ailleurs utile de rappeler que la gauche avait engrangé des voix en promettant sa suppression, promesse qu’elle ne tint évidemment jamais puisque ce fut la droite qui passa aux actes.
On notera au passage le glissement rapide qu’a connu, entre l’automne et l’hiver, l’idée d’un service civique ou civil “volontaire” vers sa version “obligatoire”. Que va nous réserver le printemps ? Un nouveau glissement de “civique” ou “civil” (ah la subtilité du français !) vers “militaire” ? Encore tout récemment, la gauche ne s’est pas gênée pour exprimer son attachement à la conscription (Gremetz dans les couloirs de l’Assemblée Nationale et Hollande dans les colonnes du Monde, pour ne citer qu’eux).
La crise des banlieues, bon prétexte à ce regain d’ardeur à appeler la jeunesse sous les drapeaux, vaut donc à cette même jeunesse déjà bien malmenée par de croissantes difficultés dans ses tentatives de se construire une vie décente dans la société, un retour de bâton supplémentaire, celui de se retrouver avec l’épée de Damoclès du “service” sur la tête. Tous ceux qui ont connu cette époque du service national obligatoire se rappellent à quel point il était inadapté, foncièrement inégalitaire et handicapant au moment de l’entrée dans la vie professionnelle.
Sous prétexte qu’une frange de voyous sans foi ni loi s’en sont pris au bien public, c’est-à-dire à leur propre bien, et qu’ils ont incendié des autos dont les propriétaires n’avaient pas la chance de posséder un garage comme leurs compatriotes aux fin de mois moins difficiles, on pétitionne pour punir tout le monde. Dans cette affaire, on mesure l’inquiétant désarroi des élites qui nous gouvernent depuis trente ans avec une gauche qui est une véritable usine à recycler les utopies en cauchemars et une droite confite dans son obsession économiste. Cette gesticulation serait simplement pathétique si elle ne risquait pas de tourner au tragique en 2007, date à laquelle il sera dangereux de refaire aux électeurs le coup de “l’après 21 avril 2002.”
Quant au salmigondis qui tient lieu de manifeste à l’appel lancé par La Vie catholique, on y retrouve toutes les hypocrisies, disons même les prêches d’inspiration “Sabre et Goupillon” qui justifiaient en son temps le maintien aberrant du service militaire obligatoire : parodie de mixité sociale (comme si un an de caserne suffisait à faire oublier le faramineux écart économique et culturel entre les riches et les pauvres) et référence archaïque au sacrifice (pudiquement voilée de formules telles que “donner de son temps” ou, en version plus inquiétante, “contribution constituée par une part de notre vie d’homme, de femme”). Nous voilà prévenus : la caserne, ce sera aussi pour les filles. Quant aux belles notions de don, de gratuité et d’engagement, n’est-ce pas un comble de les voir si généreusement promues par des élites qui conçoivent et qui gèrent un système où tout est marchandise et qui prospèrent dans un monde où tout s’achète et se vend, notamment le temps, luxe suprême de plus en plus âprement négocié ? Ce fameux monde du travail où le dégagement est plus rapide que l'engagement...
Vous avez dit “mobilisation générale” ? Oui, contre le service obligatoire, qu’il soit civil, civique ou militaire ! Menaçons de retirer nos voix à tous les partis de gauche comme de droite qui persisteraient à vouloir agiter ce vieil épouvantail. Car sachons-le, en cas d’instauration d’un service national civique obligatoire, tout accès de fièvre bien prévisible dans un coin de la planète où la classe dominante jugera son petit commerce menacé aura tôt fait de le transformer de fait en service militaire.

P.S : ce texte renvoie à ma note du 18 novembre 2005, "Place des angoisses", dans cette même rubrique