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31 janvier 2006

Novello

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L’élégance italienne pétille jusque dans le vin. En France, nous avons le vin prolétaire, bourgeois ou snob. En Italie, c’est autre chose. J’en veux pour exemple ces bars à vin dont les italiens ont le secret, notamment ceux de Venise où mon séjour d’automne 2004 s’était prolongé peu après la date à bien des égards fatidique du Beaujolais nouveau. Une journée de promenade, avec un seul arrêt panini dans un minuscule café familial, à deux pas de la librairie française, ne pouvait annoncer une soirée au régime sec, surtout dans une ville où la conduite en état d’ivresse est impossible à moins de piloter un bateau. Parti le matin des Zattere (“un voyageur un peu expérimenté sait que c’est le plus bel endroit de l’univers”, écrit Philippe Sollers dans son Dictionnaire amoureux de Venise), je me retrouvai maintenant, à la nuit tombée, à mon point de départ, avec derrière moi, un arbre incongru et un grand navire à quai, le Berlin, et un peu plus loin à ma gauche l’entrée baignée d’un halo de néon du “Billa” local, les vénitiens ayant besoin comme vous et moi d’une supérette où s’approvisionner, même au cœur du délire architectural des palais et des clochers, en conserves, fruits et légumes, huile, vinaigre, pâtes et autres denrées quotidiennes et ustensiles divers aussi indispensables à la vie humaine que la poésie et les arts. Au rayon des boissons, je trouvai même du Beaujolais nouveau auquel je préférai, par curiosité, le primeur italien laconiquement étiqueté Novello. (J’ai séché les bouteilles à peine revenu dans mes montagnes et je garde un bon souvenir de ce petit nouveau dont le flacon ne cherchait en aucune façon à se prévaloir de bien étranges accointances avec je ne sais quelles framboises ou bananes). Je passai déposer mes emplettes à mon hôtel tout proche pour repartir aussi sec, c’est bien le mot, à l’abordage de ces petits vaisseaux naviguant dans la joyeuse soirée vénitienne que sont les bars à vin où les risques de tangage ne concernent pas le navire mais les passagers. Un conseil tout de même : une fois franchie l’écluse des premiers gorgeons accompagnés de cicchetti, on se souviendra sans en faire une obsession des quais et des ponts vers lesquels refluent presque toujours une ou deux vaguelettes de buveurs naturellement portés, le verre à la main, à l’extérieur du très exigu théâtre des opérations de bonne bouche. Il serait en effet dommage, après avoir commencé en beauté en s’hydratant les intérieurs de finir tout mouillé à l’extérieur à cause d’un malencontreux plongeon dans le canal, ce qui soit dit en passant, signe le touriste en goguette ou pire encore, le goulu qui ne sait pas boire.

(Extrait d'un recueil de carnets de voyage, à paraître)
Photo Marie-Christine Caredda, droits réservés.

13 janvier 2006

Deux journaleux de "Petite nuit"

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J’évoque parfois dans ces pages, essentiellement par souci documentaire et non par nostalgie, quelques épisodes de mes dix ans de journalisme encarté dans un quotidien régional.
Il se trouve que mes lectures m’ont porté récemment vers deux polars de la collection “Petite nuit” aux éditions Nykta qui m’ont rappelé des souvenirs. Parmi les quinze titres de la collection que j’ai lus, en attendant de dévorer les autres, deux d’entre eux restituent avec saveur la vie du localier, ce tout terrain de l’information (et souvent de la non-information !). Il s’agit de Sacs d’embrouille de Joëlle Brière et de La Nécrologie du rempailleur de Philippe Thuru, écrits au cordeau et brossant allégrement le tableau de “la vie locale” sur fond de province torve et cafardeuse. Chacun dans leur style, Joëlle Brière et Philippe Thuru m’ont replongé sans ménagement dans l’atmosphère rance de cette “locale” si cruellement révélatrice de l’état de la société. Le “journaleux” de Joëlle Brière y couvre “la pétition des riverains contre les crottes de chiens dans la rue piétonne” tandis que celui de Philippe Thuru doit se résigner au “lot quotidien des localiers qui voient, impuissants, leur vie se perdre dans le récit de celle des autres”.
Mais le plaisir pris à la lecture de ces deux romans n’est en rien masochiste car leurs auteurs savent à merveille déchirer d’éclairs d’humour féroce la chape de plomb des bourgades qui mijotent comme les chaudrons d’enfers miteux.
Pour cinq euros le volume, ne vous privez pas d’un bonheur de lecture avec ces concentrés de polars locaux. On peut même soutenir la collection en s’abonnant à une série complète de dix titres de la collection Petite nuit pour 46 euros.
Après les dix romans consacrés à l’Ain, série dans laquelle ont oeuvré mes amis Marie-Ella Stellfeld (“L’homme aux oreilles de jazz”, polar à Oyonnax) et Roland Fuentès (“La Bresse dans les pédales”, polar à Polliat), la collection du Rhône a débuté avec Max Levrat (“Distribution gratuite”, polar à Perrache).
En résumé :
- Marie-Ella Stellfeld, “L’homme aux oreilles de jazz” : lourde ambiance à Saint-Léger, paroisse d’Oyonnax...
- Philippe Thuru, “La Nécrologie du rempailleur”, polar à Toucy : pour le stagiaire d’été, le week-end est chargé, l’haleine des clients du bistrot aussi. Le seul à garder la tête froide, c’est le cadavre...
- Joëlle Brière, “Sacs d’embrouilles”, polar à Véron : où l’on apprend qu’un chien qui n’a d’yeux que pour les taupes peut avoir du nez pour flairer des oreilles à terre...
- Roland Fuentès, “La Bresse dans les pédales”, polar à Polliat : boyaux en roues libres et poulets de Bresse perplexes...
- Max Levrat, “Distribution gratuite” : mais sexe payant. Post 69, animal triste !
- Claude-Jean Poignant, “Le gang avait de la morgue”, polar à Auxerre : où l’on s’active entre tiroirs frig(hor)rifiques et tiroirs-caisses... Avec une pointe d’ironie bien glacée.
- Jean Mauclaire, “Ras-le-bol à Magny-Cours” : où les bruiteux (traduisez les motards) en prennent plein les mirettes au prix fort... Somptueusement déjanté.
* Éditions Nykta, polars locaux de la collection Petite nuit (Le Haut de Tallant Cidex 505, 71240 Etrigny.

courrier@editions-nykta.com


http://www.editions-nykta.com



07 janvier 2006

Revue de p(a)resse

Puisque le commentaire est roi et que chacun y va de sa revue de presse (à quand la revue des revues de presse ?) j’ai bien envie moi aussi de m’y essayer cinq minutes même si ce qui me parvient aux yeux et aux oreilles dans ce genre d’exercice ne me convainc pas tellement, surtout dans les grands médias qui nous les calibrent avec une telle application qu’on les croirait pondues par les stagiaires à la soucieuse application des écoles de journalisme. Ces bouquets de conformisme sont souvent jetés aux orties dans l’autre presse “sans Gutenberg” pour paraphraser le titre du livre de Jean-François Fogel et Bruno Patino (1), notamment dans les blogs comme le savoureux Coq à l’âne d’Elizabeth Flory ou encore, dans les petites revues littéraires, avec la consistante “revue de paresse” de Christian Degoutte dans Verso (2).
Je préfère en avertir tout de suite les lecteurs, la mienne sera moins riche et moins bonne car entre le moment où j’ai voulu m’amuser à ce petit jeu et l’instant où j’écris le mot “instant”, je n’ai déjà plus envie de continuer. Tel est mon drame avec la p(a)resse.
Commençons par le Monde (honneur aux anciens) ce quotidien du soir que mon faible intérêt pour l’actualité, “l’ennemi le mieux masqué du poète” disait René Char, a transformé en un hebdomadaire du matin puisque je ne l’achète que le vendredi pour le supplément consacré aux livres après m’être assuré que la voie est libre, c’est-à-dire quand le camarade aux “tu écris toujours ?” ne rôde pas dans les parages.
D’ordinaire peu sensible à l’image, j’ai été frappé par deux dessins qui valent tous les commentaires et toutes les analyses dans l’édition datée du 6 janvier 2006. Le premier signé Serguei (de la dynamite), page Politique & Société, concerne l’affaire du train Nice-Lyon, le fait-divers de trop, et résume cruellement l’inacceptable vulnérabilité qui relègue au rang de moutons des voyageurs ainsi croqués (si j’ose dire) en troupeaux et voyant monter dans leurs wagons une horde de loups ou de chiens enragés. L’un d’eux lève la patte sur la chaussure de l’agent de quai en uniforme.
Le second dessin, moins dangereux pour nos élus, intitulé Vœux 2006 et signé François Olislaeger, dit tout de notre époque avec ce kiosque à journaux vomissant d’un côté des flots de “unes” alarmistes dans les poches de pardessus de passants grisâtres tandis que de l’autre côté, un homme en tenue de printemps, ignorant ce déferlement d’encre noire, sourit au passage d’une jeune femme à la jupe fleurie. Dans son poème “Sur la route de San Romano” dans Signe ascendant, André Breton écrivait en son temps qui ressemblait d’ailleurs furieusement au nôtre :
“L’acte d’amour et l’acte de poésie
Sont incompatibles
Avec la lecture du journal à haute voix”.

GUEULES D’ATMOSPHÈRE

Pour la suite de cette revue de presse improvisée, mon esprit mal tourné ne peux s’empêcher de comparer la quatrième de couverture du Monde des livres avec la couverture du mensuel de critique littéraire Le Matricule des anges, affichant toutes deux l’écrivain Paul Nizon en pleine bouderie inspirée. À chacun ses petites manies, après tout. Certains écrivains posent avec leur chat, d’autres avec leur cochon d’Inde, d’autres cigare au bec, d’autres derrière leur bureau pas rangé, d’autres devant un rayon Pléiade, d’autres assis sur une poubelle et que sais-je encore, alors pourquoi pas avec une tête de six pieds de long ? Il en est même qui ne posent pas et ce n’est pas le cas de Paul Nizon qui a visiblement pris soin d’adapter son rictus au style de chaque publication. Pour Le Monde des livres, il tire certes la gueule mais dans un décor chic avec sofa, fauteuil, tentures et parquet, luxe artistement défraîchi en somme, façon boudoir dirons-nous. On se fait tirer le portrait pour Le Monde, tout de même.
Changement d’atmosphère au Matricule. Paul Nizon a carrément gardé le chapeau et ses yeux brillent comme dans l’Exorciste ! La nuit dernière, je me suis levé pour... enfin bref... et j’ai sursauté dans le rayon de lune qui faisait étinceler le regard diabolique de Paul Nizon sur ma table de nuit. Aaaah ! Quelle frayeur ! (Toujours penser à retourner les couvertures du Matricule des anges avec leurs affreux portraits, surtout quant on arrive à l’âge des coups au cœur). Déjà que Raymond Federman, en couverture du numéro de novembre-décembre, m’avait coupé mes effets dans des circonstances nocturnes identiques et que j’avais pris voici quelques temps Pierre Autin-Grenier pour un méchant alors qu’il est charmant.
“En général, même les plus joviaux des écrivains font la gueule dans les pages de ce magazine... Ils doivent les frapper avant de prendre les photos” commentait sur ce blog le 27 septembre dernier mon ami Roland Fuentès avec son légendaire flegme britannique. Dans cette livraison de janvier 2006 du Matricule, on se demande si ce n’est pas l’inverse qui se produit, à savoir le modèle qui terrorise le photographe... En tous cas, c’est toute la galerie de portraits de Paul Nizon qui est horrifique dans ce dossier, genre inspecteur Gadget rehaussé de Famille Adams avec une variante saurienne page 18 où il est question de vol d’épervier alors que la photo donne plutôt dans le style œil de crocodile obligé de faire surface après trois mois de jeûne. Ah, c’est sûr qu’en leur faisant de pareilles bobines, le photographe ne risque pas de nous les faire oublier ces écrivains. Là réside peut-être la suprême astuce promotionnelle : en rajouter dans la grimace pour bien se rappeler au souvenir des lecteurs !
Mais le moment (de l’apéritif) est venu de conclure cette revue de presse par notre nouveau jeu où l’on ne gagne rien. Voici la question mesdames et messieurs : combien de fois l’insupportable adjectif “jubilatoire” a-t-il été répété en 2005 dans Télérama ?
(1) : Une Presse sans Gutenberg, éditions Grasset.
(2) : Verso, Le Genetay, 69480 Lucenay.