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27 septembre 2005

Pierre Autin-Grenier au bistrot de la Fraternelle

medium_salonbd.jpgJ’ose à peine me permettre ce titre qui, pourtant, coule pour moi de source puisqu’il existe bien un bistrot de la Fraternelle dans la bonne ville jurassienne de Saint-Claude et que Pierre Autin-Grenier existe bel et bien lui aussi, et même avec suffisamment de puissance pour que blogs et revues littéraires (1) s’arrachent aujourd’hui les bonnes feuilles de son livre, Friterie-bar Brunetti (éditions l’Arpenteur / Gallimard) avant sa parution dans quelques jours. Je ferai quant à moi comme tout le monde, j’achèterai et je lirai le moment venu. J’aurai ainsi le temps de me mettre en condition, de me préparer à savourer, car les livres de Pierre Autin-Grenier se goûtent comme des vins nouveaux qui font claquer la langue de gourmandise.
Je ne vois pas pourquoi je me priverais de ces allusions au petit monde des bistrots et du vin pour évoquer l’univers littéraire de Pierre Autin-Grenier, même si je sais que l’auteur de “Jours anciens” (éditions l’Arbre / Jean Le Mauve) approche maintenant les rivages périlleux d’une notoriété certes très méritée mais grande pourvoyeuse de ces clichés qui livrent pieds et poings liés un auteur aux feux de la rampe avant de le griller de cet excès d’amour toujours prompt à virer, chez les critiques, en piquette de mondains énervés par la réussite. Je n’ai que trop le souvenir d’un Charles Juliet snobé par ceux qui le portaient aux nues à l’époque de ses succès d’estime pour mieux l’aigrement dénigrer le jour où il eut le mauvais goût d’accéder à une reconnaissance plus populaire avec L’année de l’éveil (éditions POL). Car ce vêtement du succès, si mal porté dans les salons de notre république des lettres mais aussi, ne soyons pas réducteur, dans les chapelles universitaires de province et, ne soyons pas non plus naïfs, jusque dans les greniers des génies poétiques méconnus, cette cape où l’on drape la nouvelle coqueluche avant de l’y rouler est réversible. Pierre Autin-Grenier ne l’ignore pas pour avoir évité, avec quelques autres comme lui rebelles à l’étiquetage, de se retrouver habillé pour l’hiver d’un costume griffé “moins que rien” que ses tailleurs mal inspirés eurent la prudence de retoucher bien vite. C’est donc toutes ces tentations de réduction paresseuse d’un écrivain à l’image qu’il peut d’ailleurs parfois lui-même entretenir qui m’inspirent cette réticence à m’embarquer sur le radeau du troisième fleuve lyonnais pour naviguer vers les îlots de verdeur d’un peintre de radis bleus (2).
C’est pourtant bien à un comptoir de Saint-Claude, cité enténébrée de trop de rêves enfouis, au printemps 2003, entre lectures publiques à la bibliothèque municipale et stations derrière les tables à dédicaces d’un festival de littérature et de bande dessinée animé par Roland Fuentès (qui a le génie de créer des liens entre les gens) que je trinquai avec Pierre Autin-Grenier dans ce fraternel bistrot, ce café de “la Frat”, comme ils disent là-bas. Poursuivre avec acharnement la collection de clichés en écrivant qu’on croirait le décor du bistrot de la Fraternelle agencé tout exprès pour le levé de coude de Pierre Autin-Grenier serait un peu fort de café. Cela équivaudrait à escamoter d’un rideau de fumée de quelque gris à rouler tout un pan de l’histoire sociale ouvrière en ces époques anciennes où la classe des opprimés songeait plus à s’organiser en coopératives et en sociétés de secours mutuel qu’à financer en quarante ans de crédit revolving (revolving = revolver) l’achat du même 4 X 4 que celui du patron qui a eu, lui, la prudence d’en faire son véhicule de fonction. Mais bon, chacun n’a qu’à faire ce qu’il veut des sous qu’il n’a pas puisque le Medef, sa télé et ses chefs de publicité l’y encouragent et qu’il faut bien (halloween oblige) “réenchanter le monde” si l’on en croit ma sorcière bien aimée, la patronne des patrons.
Qu’on me pardonne ces digressions. C’est que moi aussi, parfois (un tout petit peu mais pas trop) j’aime écrire dans l’air du temps, même s’il renifle méchamment le gas-oil flambé des pots d’échappements mal réglés.
Avec Pierre Autin-Grenier, (et cela vaut pour moi aussi) aucun risque de pots mal réglés dès l’instant que le patron ou la patronne (du bistrot, pas du Medef bien sûr) n’oublient pas de donner les verres et qu’ils ne cherchent point à parquer le client dans la zone non-fumeurs.
Bref, comme disent tous les bavards, me voici donc invité à ce festival jurassien de littérature et de bande dessinée auquel participe Pierre Autin-Grenier que je lis depuis longtemps (depuis la fin des années 70) mais que je n’ai jamais rencontré. Peu de temps avant l’événement, je découvre des portraits de l’écrivain dans le magazine Le Matricule des anges (N°42) qui lui consacre la couverture et je me dis que ce poète en prose n’a pas l’air commode, surtout page 19 où il se balade avec un gros chien noir au profil aussi ronchon que celui de son maître. Mais souvent, les photos mentent et l’homme que Roland et Emmanuelle Fuentès me présentent ce matin se révèle prodigue des “kilomètres d’amitié” qu’il m’offre, après ces deux journées jurassiennes empreintes de chaleur humaine et de franche rigolade, dans sa dédicace de Toute une vie bien ratée (Folio / Gallimard), amitié que je suis heureux de partager, fait rarissime, dès le premier contact, ainsi que cela se produisit aussi avec le poète Jean Tardieu.
Mais je ne dois pas laisser dériver vers l’anecdote le plaisir que je prends à évoquer ma rencontre avec Pierre Autin-Grenier car si l’homme est de ceux qu’on n’oublie pas, l’écrivain est d’envergure : assurément un grand styliste mais surtout un styliste qui a quelque chose à dire en ces temps de verbe creux et de fausse parole. Je m’en étais déjà persuadé en lisant Histoires secrètes paru à l’origine chez Laurence-Olivier Four, livre que j’avais prêté c’est-à-dire perdu. Le hasard, au début du 21ème siècle, me remit Histoires secrètes dans les mains sur une heureuse initiative de Jean-Jacques Nuel qui eut la gentillesse de m’envoyer l’ouvrage réédité aux excellentes éditions de la Dragonne (3), l’occasion idéale de rédiger une note de lecture sur la Toile et que je livre ici telle quelle :
Auteur d’une dizaine de livres de proses (à forte connotation poétique), de nouvelles et de récits, Pierre Autin-Grenier privilégie avec bonheur la forme courte.
Contrairement aux apparences, l’auteur de Je ne suis pas un héros et de Toute une vie bien ratée, publiés chez L’Arpenteur / Gallimard, est loin d’être un écrivain facile, même si quelques critiques l’avaient hâtivement étiqueté comme tel en résumant son oeuvre à l’inventaire des petits riens du quotidien. Car c’est plutôt dans le mystère de ce quotidien que Pierre Autin-Grenier chemine, mêlant tour à tour des éléments narratifs à des épisodes de ce que Pavese appelait “la contemplation inquiète”.
Rebelle aux classifications, surprenante, souvent déroutante, cette prose qui se donne l’air de filer quelques historiettes progresse en réalité comme une vaste variation écrite et réécrite dans une langue à la limpidité singulièrement classique.
Anecdote, quand tu nous tiens... Je ne peux résister au plaisir d’en rapporter une pour conclure cette ébauche de portrait. Elle date de l’époque où PAG eut les honneurs de Télérama. Je furetais dans une grande librairie de Lyon non loin de piles assez considérables de “Je ne suis pas un héros” et de “Toute une vie bien ratée” lorsque j’entendis rouspéter une petite jeune femme très bcbg (du genre eau minérale et remise en forme) en virée avec sa “photo-copine” : “Ah bravo, “Je ne suis pas un héros”, “Toute une vie bien ratée”, eh bien, avec des titres pareils, on est sûr de garder le moral ! Et c’est avec ça qu’il pense vendre, lui ?”
En écho aux propos de cette malheureuse jeune femme, je ne crains pas de poser solennellement la question : Pierre Autin-Grenier est-il conscient de ses responsabilités envers les petites ménagères de moins de trente ans au moral en berne et qui ne peuvent plus “positiver” à cause de ses titres scandaleusement négatifs ?

(1) Extraits inédits de Friterie-bar Brunetti sur le blog de l’écrivain Raymond Alcovère (http://raymondalcovere.hautetfort.com/) et dans la revue Décharge N°127 (e-mail : decharge@litterature.net)
(2) Les Radis bleus (éditions le Dé bleu, Louis Dubost, 1991, (85310 Chaillé-sous-les-Ormeaux) et Folio / Gallimard.
(3) Histoires secrètes, (éditions La Dragonne, 3, rue Chanzy, 54000 Nancy).
Cette maison d’édition est longuement présentée dans le dernier numéro (N°66) du magazine Le Matricule des anges (en kiosques).

Photo : votre serviteur (enfin pas trop quand même) avec Jean-Jacques Nuel (au centre) et Pierre Autin-Grenier (à droite de la photo).

01 septembre 2005

Saleté de livre

Chers lectrices et lecteurs, sachez que “le best-seller de la rentrée n’est pas un livre.”
Ainsi semble en avoir décidé le très “libriophobe” jury d’un obscur “Prix du public 2005”. Alors, si le best-seller de la rentrée n’est pas un livre, qu’est-ce donc ?
Une bagnole.
Telle est la récente publicité affichée par une marque de voiture dont je tairai le nom puisqu’en choisissant un visuel rappelant les couvertures crème d’un grand éditeur surmontées des habituels bandeaux promotionnels rouges, le constructeur automobile en question apporte sa caution à la véritable entreprise de dénégation et de mépris que le monde industriel affiche désormais sans complexe pour toute culture qui n’est pas d’entreprise et en particulier pour le livre.
Car c’est bien de mépris qu’il s’agit dans ce message publicitaire à la signification à mon sens tout à fait claire : rassurez-vous bons petits consommateurs tous membres émérites du jury du “Prix du public 2005”, “le best-seller de la rentrée n’est pas un livre” et vous ne serez donc plus astreints à cette corvée qu’est la lecture (pour ceux d’entre vous qui savent encore lire, qui seraient encore tentés de s’abandonner à cette perversion ou de s’imaginer qu’il puisse exister au monde autre chose que la bagnole).
Et, comble de la dérision, cette morve de fils de pub macule la quatrième de couverture de la dernière édition de Télérama...

31 août 2005

Ivre de poche

Demi-sommeil devant une émission littéraire télévisée. Le Cohiba s’est éteint, le ballon de Cognac, vide, heureusement, a roulé sous la table basse et l’on s’escrime encore sur Houellebecq dans la lucarne.
Je l’ai déjà écrit, je trouve Houellebecq intéressant mais je voudrais tout de même nuancer : intéressant en édition de poche. Je ne me souviens pas d’avoir lu de ma vie un best-seller autrement qu’en édition de poche (exception faite d’Éloge des femmes mûres de Stephen Vizinczey), c’est-à-dire avec un raisonnable décalage qui permet, outre de notables économies, une lecture normale. Extension du domaine de la lutte, Les Particules élémentaires et Plateforme, merci “J’ai lu”. La Poursuite du bonheur : merci “Librio”.
Entre le jour où j’ai appris en 2001 la nouvelle de la publication en France d’Éloge des femmes mûres de Stephen Vizinczey, ouvrage publié, je crois, pour la première fois en 1965) et l’heure où une publicité de l’éditeur (Anatolia / éditions du Rocher) s’est imprimée dans ma rétine, le livre en était déjà chez cet éditeur à sa quatorzième ou quinzième édition. À cette époque, en 2002, je me suis dit “tiens, je vais peut-être lire Éloge des femmes mûres”. En 2003, le livre en est arrivé à sa trente-neuvième édition et j’ai pensé : “ah oui, il faut que je lise Éloge des femmes mûres”. Finalement, lorsque je me suis décidé ce mois d’août, j’en ai trouvé un exemplaire imprimé en février 2005. Quarante-et-unième édition à la couverture barrée d’un bandeau arborant fièrement “plus de 3 millions de lecteurs dans le monde”... Et moi, et moi, et moi...
Éloge des femmes mûres ? Agréable, sans plus. Bien écrit. Un bon petit divertissement mais deux regrets cependant : pas d’édition de poche. Et pour cause. Deuxième regret : m’être décidé trop tôt et trop vite au lieu d’attendre la sortie en poche d’Éloge des femmes mûres qui finira bien par venir un jour.
Et Houellebecq dans tout ça ? Je lirai sûrement La Possibilité d’une île, mais en édition de poche, quitte à attendre que 3 millions de lecteurs en eussent épuisé les 41 éditions successives. C’est tout le mal que je lui souhaite mais cette fois-ci, je ne dérogerai pas.