05 novembre 2011
Du pied gauche
La vieille cafetière rote crache et bave le canari la prend pour sa femelle
Le bois coupé en mauvaise lune pète et empeste dans la cheminée
Les lunettes sont parties se faire voir ailleurs
Le journal noircit le bout du nez
Pas de bons morts aujourd’hui dans la rubrique nécrologique pas de traitres pas de collègues malveillants pas de petits chefs vicieux pas d’arrivistes
Juste des inconnus sympathiques allez savoir
Demain ça ira mieux demain sera un autre jour un jour de moins
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14 octobre 2011
Le virage du pays natal
Tu conduis sur les jolies routes ainsi les désignait ton père avant que ne vienne ton tour de tenir le volant et de voir défiler le paysage de toujours
Le paysage de toujours pourtant différent du seul fait que tu sois passé de la banquette arrière au siège avant
L’herbe des talus les vieilles bornes la maison vide du garde-barrière le château d’eau le goudron qui coupe la forêt en deux les grandes fougères qui s’inclinent au passage de l’auto les feuilles de charme de foyard de noisetier qui s’envolent dans la lunette arrière le bras d’une rivière ombreuse à l’onde rapide les ponts sur la brume le restaurant au menu très ordinaire l’autorail bicolore trente secondes dans la même direction puis qui prend la tangente le tracteur piloté par une jeune femme rousse toute menue le hérisson qui a de la chance la buse variable sur un poteau de ligne électrique les géraniums d’un hameau désolé le cimetière à la grille rouillée où s’alignent quatre tombes de petits jeunes de vingt ans morts pour une querelle de vieux vampires consanguins à particules et à la progéniture reconvertie en barons et capitaines d’industrie les wagons abandonnés la draisine en panne des années cinquante sur une voie de garage l’horaire des messes l’enseigne décolorée Vin fou la drôle d’odeur les gouttes sur le pare-brise l’éclaircie le soleil du soir dans les yeux le grand-père à sa fournache (*) le nuage en forme d’ours le coup de vent qui emporte un journal la ligne droite entre les platanes la grande côte en lacets la falaise encore l’autorail très loin accroché à flanc de montagne l’épingle à cheveux la descente le mauve bonbon d’une ampoule d’éclairage public pour deux maisons la déviation par le chemin vicinal au bord de la rivière profonde le héron le clocher les bâches de la fête foraine le lac le petit barrage les nids-de-poule sous l’allée de saules la pipistrelle la lune dans les frênes le dos d’âne le panneau Fin de déviation
Et bientôt ce virage après toutes choses banales dit-on qui ne cesseront de t’étonner le virage du pays natal où tout semble à peine moins étrange
(*) Fournache : feu d'herbe.
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06 octobre 2011
Retrouvailles
Dans le temps qui parfois coule tel un ruisseau frais mais souvent tel un fleuve fangeux il t’arriva d’attendre la fin des journées de travail
Péripéties suscitant l’approbation d’amis et de connaissances perdus de vue puis retrouvés au coin de la rue alors qu’est-ce que tu deviens comment as-tu réussi à entrer dans ces entreprises on peut dire que tu en as eu de la veine tu étais si mal parti avec tes livres tes poèmes
Ah oui les livres les poèmes oui ils en ont entendu parler un peu mais les entreprises ça les intrigue beaucoup plus comment tu t’es débrouillé
Comme l’araignée qui s’installe dans un coin entre le mur et le plafond et qui n’a plus qu’à attendre au milieu de cette merveille de technique qu’est sa toile pour exercer sa répugnante prédation toutes astuces pour lesquelles l’araignée n’a que peu de mérite ignorant comme nous l’ignorons nous-mêmes d’où lui vient ce savoir faire
Jamais l’araignée n’apprend à tisser sa toile jamais l’araignée ne se préoccupe de savoir que ses fils sont si solides qu’ils peuvent entrer dans la fabrication de gilets pare-balles du moment qu’elle peut capturer les mouches rien d’autre ne semble compter pour elle
Même lorsque tu as l’impression qu’elle t’observe avec ses quatre paires d’yeux pendant que tu écris tes livres tes poèmes si insignifiants aux yeux des amis et connaissances perdus de vue puis retrouvés au coin de la rue
Alors à la prochaine disent-ils en s’éloignant pour toujours
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