16 juin 2024
« Je suis toujours autobiographique, même si je me mets à raconter la vie d’un poisson. » (Federico Fellini)
Prairie journal (Carnets 2006-2016), 437 pages.
Sur un sentier recouvert (Carnets 2016-2023), 500 pages.
Pour les personnes d'Oyonnax et sa région, mes livres sont en vente à la librairie Buffet et au kiosque de l'hôpital d'Oyonnax. Ils sont aussi disponibles au prêt à la médiathèque municipale d'Oyonnax, centre culturel Aragon.
On peut aussi se les procurer en vente par correspondance sur Amazon ou en m'envoyant un mail : contact.ccottetemard@yahoo.fr
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06 mai 2024
Disparition de Bernard Pivot et fin du « roman de l'auteur »
Bernard Pivot fut le talentueux promoteur d'une fiction que j'appelle « le roman de l'auteur » . À l'occasion de sa disparition qui marque aussi la fin d'une époque et celle, en cours, de tout un système éditorial, je remets en ligne ce texte que j'avais publié le 14 septembre 2020 sur ce blog et page 262 de Sur un sentier recouvert, le deuxième volume de mes carnets.
Le roman de l’auteur est fini. Je laisse à plus érudit que moi en histoire littéraire le soin de dater le début de cette fiction dans les siècles précédents.
Avant d’expliquer pourquoi cette fin est arrivée, je me dois de préciser ce que j’appelle le roman de l’auteur. Il s’agit de ce processus qui a peu à peu transformé l’auteur en un personnage de roman jusqu’à ce que ce personnage finisse par devenir plus important et plus intéressant aux yeux du grand public que tous les personnages inventés par l’auteur dans ses livres.
En France, c’est la plus célèbre émission littéraire diffusée à une heure de grande écoute à la télévision, Apostrophes, qui a officiellement consacré le roman de l’auteur dans l’imaginaire des téléspectateurs donc du grand public à l’époque où celui-ci pouvait encore passer une fois par semaine la moitié d’une soirée à regarder des auteurs discuter ou faire semblant de discuter autour d’un animateur jouant le rôle de Candide ou d’arbitre.
L’immense succès populaire de cette émission résidait probablement moins dans la passion du public pour la littérature que dans sa curiosité voire dans une forme de fascination pour les auteurs présentés, mis en scène et mis en situation de jouer plus ou moins bien leur rôle de grand écrivain couvert de gloire, de débutant prometteur, de provocateur patenté, de rebelle subventionné, d’ivrogne en fort tangage ou de jeune prodige catapulté de sa campagne jusqu’au feux de la rampe grâce au flair d’un grand éditeur ayant fouillé dans des tonnes de manuscrits envoyés par la poste.
Tel était pour le grand public le roman de l’auteur, une redoutable fiction dans toutes ses variantes qui relèvent le plus souvent d’un mélange de conte de fée et de fable édifiante dont même les moins naïfs d’entre nous sont friands. Ce sont ces histoires-là que le public venait écouter, beaucoup plus que celles racontées dans les livres sélectionnés et promus.
En 1981, lorsque j’étais stagiaire en librairie, j’ai encaissé des clients qui achetaient systématiquement tous les grands prix littéraires de la rentrée (on n’en comptait qu’une à l’époque à l’automne) et parfois la majorité des ouvrages présentés à Apostrophes le vendredi, jour de l’émission précédent leurs emplettes. Il m’arrivait de leur demander s’ils lisaient tous ces livres. La plupart de ces gros clients me répondaient qu’ils les offraient ou les entassaient dans leurs bibliothèques pour être sûrs de ne pas se tromper.
Pour eux, un livre dont l’auteur était invité à parler à la télévision ne pouvait pas être tout à fait mauvais ou sans intérêt. Lorsque je me hasardais à leur présenter le catalogue d’un petit éditeur méconnu ou un titre d’un écrivain ignoré des médias, ils m’écoutaient poliment sans même jeter un coup d’œil à la quatrième de couverture.
Apostrophes et les grands médias suiveurs de la presse écrite nationale ont accéléré la phase finale du processus du roman de l’auteur dans la mécanique bien huilée d’un système éditorial aujourd’hui en passe de s’asphyxier sous l’avalanche de sa propre production.
Désormais, l’abondance trompeuse dissimule de plus en plus difficilement la ruine du paysage où ne respirent plus que les auteurs de best-sellers, piliers économiques des maisons d’édition les plus connues et engagées bon gré mal gré dans leur folle fuite en avant.
Certes, le roman de l’auteur parvient-il encore à faire un peu illusion dans le cadre de la promotion ou plutôt du matraquage de gadgets éditoriaux provisoirement en phase avec l’air du temps constitué d’un cocktail de lubies à la mode, de politiquement correct nimbé de sauce moraline, de vertu agressive et d’indignation sélective. Ce dernier cache-misère ne change en rien l’inéluctable et nécessaire évolution.
Pour les auteurs à moyens et petits tirages, le salut ou la consolation viendront d’Amazon ou de tout autre prestataire d’édition capable de rivaliser sérieusement avec cette entreprise, au moins tant que ce géant et ses éventuels concurrents considéreront cette alternative à l’édition classique comme rentable.
Aussi appartient-il maintenant à l’immense majorité des écrivains exclus ou en phase d’exclusion de ce système pour mille raisons économiques, politiques ou relationnelles de sortir du piège marketing médiatique du roman de l’auteur en s’appropriant leur stratégie et leur destin en fonction de leurs personnalités, de leurs capacités et de leurs objectifs respectifs.
La fin du roman de l’auteur est l’un des symptômes visibles de la fin d’un cycle. La nature ayant horreur du vide, quelque chose finira bien par en sortir et cela ne manquera certainement pas d’intérêt.
Pourquoi cette Photo ? Camilo (Ferreira Botelho) Castelo Branco (1825-1890), auteur du fameux roman Amour de perdition (Amor de Perdição) adapté plusieurs fois au cinéma, notamment par Manoel de Oliveira, est un des nombreux exemples de ce que j’appelle le roman de l’auteur. Ce grand écrivain portugais auteur d’une œuvre considérable est surtout passé à la postérité internationale à la suite de son emprisonnement en 1840 en raison de sa liaison avec une femme mariée. On le voit ici statufié à Porto en bonne compagnie. Détail amusant et réjouissant, la statue est installée à quelques mètres de la prison où il a été incarcéré ! Cette prison est aujourd’hui un musée.
17:10 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : carnet, note, journal, blog littéraire de christian cottet-emard, littérature, roman, fiction, roman de l'auteur, édition, apostrophes télévision, émission littéraire, évolution de l'édition, littérature portugaise, camilo castelo branco, amour de perdition, porto, lisbonne, portugal, christian cottet-emard, bernard pivot, décès de bernard pivot, système éditorial
05 mai 2024
Les lézards (extrait de mon livre Chroniques oyonnaxiennes)
Photo © Christian Cottet-Emard
Durant un épisode de mon enfance que je me plais dans mon souvenir à considérer comme bref, du moins je l'espère, je devins avec quelques autres créatures l'un des prédateurs des petits lézards des murailles du 17 boulevard Dupuy. Je les attrapais en usant de patience et de techniques de chasse hélas parfois trop maladroites pour qu'ils s'en sortent vivants car ils sont fragiles, même les plus gros.
Le poète Francis Ponge qualifie le lézard de chef-d'œuvre de la bijouterie préhistorique. Était-ce cette forme ciselée qui me fascinait ? Que Dieu nous protège de la fascination de qui que ce soit, et, en ce qui concerne les lézards et autres petits animaux familiers, de celle des enfants prenant lentement conscience de la vie et de la mort.
Mon arrière-grand-mère Clotilde m'avait déjà grondé après m'avoir surpris en flagrant délit de cet inutile braconnage. Tu le regretteras un jour ! m'avertit-elle en fronçant les sourcils. Je crus ce jour arrivé lorsque le spécimen de bonne taille à la gorge émaillée de nuances flamboyantes de rouge et d'orange que je venais de retenir entre mes doigts ouvrit grand sa gueule et retint le bout de mon index entre ses mâchoires.
Je ne ressentais bien sûr aucune douleur mais la vision du reptile fixé à mon doigt comme une pince à linge me mit subitement en panique. Je me précipitai alors dans cette posture ridicule en pleurnichant vers mon arrière-grand-mère. Entre temps, le lézard eut la bonne idée de lâcher prise. Mon arrière-grand-mère inspecta mon doigt intact et, rassurée, me dit que je n'avais qu'à laisser ces pauvres bêtes tranquilles.
Échaudé, je suivis son conseil mais je compris plus tard qu'en me prédisant des regrets d'avoir tourmenté les lézards, elle avait voulu m'avertir des remords que j'en éprouverai longtemps après, ce qui se révéla exact.
Aujourd'hui encore, je m'en veux et je crois même que si le temps m'est donné de confesser une dernière fois mes fautes avant l'extrême-onction (si l'officiant estime que je peux la recevoir afin de partir muni des sacrements de l'Église), l'épisode des lézards fera partie de la liste.
(Chroniques oyonnaxiennes. © Orage-Lagune-Express, 2023)
- Pour les gens d'Oyonnax et sa région, ce livre est disponible à la librairie Buffet et au kiosque de l'hôpital d'Oyonnax (Ain) au prix de 12 €. Il est aussi disponible au prêt à la médiathèque municipale d'Oyonnax, centre culturel Aragon.
Les services de presse sont à demander à : contact.ccottetemard@yahoo.fr
- ASIN : B0C1JBHVG7
- Éditeur : Orage-Lagune-Express. Diffusion : Independently published.
- Langue : Français
- Broché : 164 pages
- ISBN-13 : 979-8390413326
- Poids de l'article : 236 g
- Dimensions : 12.85 x 1.07 x 19.84 cm
- Commandes par correspondance : ici
18:00 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, chroniques oyonnaxiennes, souvenirs, christian cottet-emard, blog littéraire christian cottet-emard, lézard, francis ponge, oyonnax, boulevard dupuy, enfance