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09 novembre 2024

Ma nuit du mur (à propos des trente-cinq ans de la chute du mur de Berlin)

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On a dû vous poser la question. Et toi, que faisais-tu ce 9 novembre 1989 ?

La chute du mur de Berlin fut pour moi un non-événement parce que je vivais ce jour-là ou plutôt cette nuit-là un des plus importants épisodes de ma vie, la naissance de ma fille.

 

Il faut dire qu’à cette époque, j’avais le nez dans le guidon car cela faisait déjà trois ans que la hiérarchie du quotidien régional pour lequel je travaillais songeait à se débarrasser de moi. La pression qui m’était infligée augmentait à la mesure des espoirs qu’on fondait sur ma démission, cadeau que je n’étais pas disposé à offrir à mon employeur.

 

Jusqu’en 1992, date à laquelle je négociai financièrement mon départ, les coups tordus tombèrent si dru que, transposée de nos jours, la situation m’eût logiquement conduit à entamer une procédure pour harcèlement. Hélas, personne ne parlait en ces années de ce qui était déjà une stratégie patronale programmée depuis le début des années 1980 dans les entreprises. Alors, dans ces conditions, le mur de Berlin...

 

De toute façon, mes chefs (petits, très petits chefs en vérité) se souciaient ce 9 novembre 1989 d’une actualité autrement plus importante à leurs yeux que la chute du mur de Berlin.

 

Figurez-vous que dans une localité située à une quarantaine de kilomètres de mon agence locale, un engin de travaux, une pelle mécanique, s’était retrouvée précipitée au fond du trou qu’elle venait de creuser. Il n’était pas plus question de laisser une information d’une telle importance aux concurrents que de confier ce scoop à un simple pigiste ou correspondant local dont le seul effort eût consisté à donner un petit coup d’autofocus en direction de l’infortunée pelle mécanique.

 

Je fus donc d’autorité investi de l’urgentissime mission d’aller photographier la catastrophe (40 kilomètres) et d’apporter le rouleau à la rédaction départementale (70 kilomètres) afin qu’un tireur de labo apposât sur le négatif ses empreintes digitales au motif qu’il avait préalablement casse-croûté au saucisson (à chacun ses petites faiblesses).

 

Entre temps, je me débrouillai pour suivre au plus près la seule actualité qui m’importait ce soir-là, celle qui réclamait normalement ma présence à la maternité située à 15 kilomètres de chez moi mais hélas à 4O kilomètres de la rédaction départementale où j’envoyai valdinguer la précieuse pellicule. Telle était l’ambiance de travail en cette dynamique équipe dont certains membres me reprochaient de sécher avec constance les joyeuses sorties de l’Amicale des Journalistes.

 

Ce 9 novembre 1989, alors que la naissance de ma fille était annoncée pour la nuit, ma hiérarchie m’avait infligé au minimum 150 kilomètres de petites routes pour publier la photo d’une pelleteuse au fond d’un trou. Je fus malgré tout, heureusement, au rendez-vous avec ma fille qui naquit vers 3h ce 10 novembre où j’étais programmé en congé sur le planning, ce qui me permit de reléguer à sa juste place, c’est-à-dire dans le néant, la piteuse réalité de mon travail dans un torchon.

 

Alors, vous pensez bien, le mur de Berlin, c’était le cadet de mes soucis cette nuit-là.

Quant aux conséquences de sa disparition, il en est bien sûr d’heureuses mais ce n’est pas une raison pour oublier que depuis, les bandits et les hommes d’affaire (qui sont parfois les mêmes) n’ont jamais circulé avec autant d’aisance que dans le merveilleux espace de liberté dont vous et moi profitons désormais, une fois de temps en temps pendant les vacances quand nous avons les moyens et le loisir d’en prendre.

 

Fin de la commémoration.

06 septembre 2024

Du parfum

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Une page d'un de mes carnets

 

Après le cigare, le parfum est mon autre folie. Dans une parfumerie, je suis pire qu’un gosse dans un magasin de bonbons. Les souvenirs que j’identifie comme les premiers et donc les plus anciens de ma vie sont olfactifs. 

 

Distrait et manquant de mémoire à propos de presque tout ce que la vie sociale exige que nous apprenions par cœur, deux choses ne s’effacent jamais de mon esprit : une musique et un parfum ; pour les deux il est d’ailleurs question de notes. Lorsque ma mémoire a en a besoin, c’est un parfum qui peut la restaurer si j’ai du mal à convoquer un souvenir important à inclure dans un récit. 

 

Mon odorat me joue parfois des tours. Si je perçois une odeur inhabituelle, je ne trouve la tranquillité qu’après l’avoir identifiée. Je peux vous dire sans grande marge d’erreur si une souris s’est aventurée dans votre cuisine, ce qui n’est pas un exploit car ce rongeur sent très fort. Le mélange de certaines odeurs qui en forme une nouvelle, par exemple celle du café qui vient de passer et celle des pommes dans leur corbeille, me donne la nausée. En revanche, presque toutes les notes fumées m’ouvrent irrésistiblement l’appétit, y compris un simple feu d’herbe dans la campagne. 

 

Les parfums que j’ai toujours aimé porter sont le plus souvent dominés par des notes boisées en hiver et florales en été. Entre ces deux tendances saisonnières, je suis attiré par l’encens et les agrumes. Je reste donc dans des accords plutôt classiques et j’ai peu de goût pour la mode actuelle de la vanille et autres sirupeuses fantaisies. 

 

Mes critères de choix sont aussi liés à la communication des parfumeurs, ce qui laisse souvent les vendeuses perplexes. Si elles me présentent un parfum qui me plait mais dont la publicité m’indispose, je le rejette, ce qui élimine la majorité des plus connus, beaucoup faisant aujourd’hui référence à toutes les caricatures possibles de la vulgarité la plus grotesque et la plus assumée. 

 

Par exemple, par principe, je ne porterai jamais un parfum qui fait référence au sport, même de manière indirecte, d’autant que le sport m'évoque évidemment les relents peu glamours qui accompagnent cette activité. Il suffit même que le mot sport soit gravé sur un flacon pour que je l'élimine d'office de mon choix, même s'il sent très bon.

 

Après quelques essais de jeunesse avec des fragrances certes agréables mais trop convenues, je suis resté fidèle à des parfumeurs qui communiquent assez peu voire pas du tout. Certains font même de cette discrétion une stratégie marketing efficace comme la maison de couture Ermenegildo Zegna dont les flacons se méritent, du moins en France.

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 Je veux voir dans ce retour aux sources inattendu un symbole de la réconciliation de deux époques de ma vie.

 

Extrait du deuxième volume de mes carnets Sur un sentier recouvert (2016-2023).

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Pour les personnes d'Oyonnax et sa région, Sur un sentier recouvert (506 pages) est en vente à la librairie Buffet d'Oyonnax, avenue Jean Jaurès, au kiosque de l'hôpital d'Oyonnax et par correspondance sur Amazon ainsi que disponible au prêt à la médiathèque municipale d'Oyonnax. On peut le commander aussi en m'envoyant un mail à contact.ccottetemard@yahoo.fr

01 août 2024

Encore quelques mots sur Charles Juliet

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Charles Juliet à Meillonnas dans l’Ain, au seuil de la maison où vécut Roger Vailland. (Photo © Christian Cottet-Emard.)

Ainsi qu’il le disait et l’écrivait parfois, Charles Juliet n’aimait guère l’été, c’est en cette saison qu’il a quitté ce monde.

Paradoxalement, il est l’écrivain connu que j’ai le plus fréquemment rencontré, exclusivement à titre professionnel lorsque j’étais journaliste car il n’y avait pas spécialement d’atomes crochus entre nous, bien évidemment pas d’hostilité non plus. 

J’ai pourtant lu avec attention et intérêt presque tous ses livres, y compris les plaquettes et autres opuscules à tirage confidentiel de ses débuts. À l’époque de mes propres débuts dans l’écriture (je considère tout ce que j’ai écrit et publié jusqu’à quarante ans comme des tentatives, des exercices et des ébauches), la lecture des livres de Charles Juliet, notamment les tomes de son journal, m’a apporté de nombreux enseignements, le principal étant de rechercher toujours plus de clarté et de précision dans l’écriture, d’éviter autant que possible les artifices et les effets inutiles, même dans la littérature romanesque et de divertissement que contrairement à lui, j’aime pratiquer. 

En revanche, je me suis toujours senti très éloigné de la solennité de son rapport à l’écriture, un point sur lequel il était quasiment impossible de plaisanter avec lui ainsi que je me suis naturellement empressé de le faire lors de notre première rencontre à la toute fin des années 70 et parfois un peu plus tard. Malgré ces divergences d’ordre intellectuel et humain qui n’ont pas permis de véritable échange (autre que professionnel) entre nous, j’ai toujours pensé qu’il y avait beaucoup à gagner à entrer dans l’œuvre de Charles Juliet, ce qui m’a conduit, lorsque je travaillais dans la presse, à en parler alors même qu’il n’était pas encore connu puis bien sûr à continuer de le faire lorsque vint la renommée. Ce fut souvent difficile.

Au Progrès, ce quotidien qui eut par le passé ses heures honorables mais qui était déjà en pleine déliquescence au milieu des années 80, il devenait compliqué d’imposer des sujets relatifs à la culture, notamment à la littérature. Je me souviens d’un vieux secrétaire de rédaction plutôt sympathique mais un peu borné qui m’avait sermonné au téléphone : « On n’est pas les Nouvelles littéraires ! » Celui-là avait l’excuse de son âge et de sa routine mais je me souviens aussi d’un autre, guère plus âgé que moi (j’avais vingt-huit ans à l’époque) qui m’avait demandé en maugréant « où j’étais allé chercher Charles Juliet » qu’il qualifiait de « poète obscur » ! 

La hiérarchie de la presse étant ce qu’elle est, je dépendais de ce genre d'« obscur » petit chef pour placer un papier sur un écrivain certes moins connu à l’époque mais qui eut l’avenir qu’on sait aujourd’hui. 

J’eus les mêmes problèmes avec le même type de personnes pour faire accepter des articles sur Jean Pérol au moment de son Prix Mallarmé, Jean Tardieu, un des plus importants poètes français, et bien d’autres qui avaient tous des relations étroites avec le département de l’Ain voire avec Oyonnax, la ville où j’exerçais, ce qui justifiait pleinement mes articles, mes portraits et mes reportages pourtant considérés comme quasiment hors-sujets par certains de ces journaleux. 

C’est une des raisons qui me conduisirent à accepter la proposition de Michel Cornaton d’entrer au comité de rédaction de sa revue, Le Croquant, au sein de laquelle il me promit de me donner carte blanche et qui tint sa promesse. 

Au siège bressan de cette revue, à Meillonnas, dans la maison qui fut celle de Roger Vailland, j’eus l’occasion, sur une requête du directeur du Croquant qui cherchait un écrivain à qui décerner le prix Anthelme Brillat-Savarin doté de 10 000 francs par le Conseil général de l’Ain, de proposer le nom de Charles Juliet, proposition qui fut acceptée. Je mentionne cet épisode dans le seul but de montrer qu’un écrivain ne doit pas être jugé (ou plutôt jaugé, comme je préfère le dire) en considération de sa personnalité mais de son œuvre.