20 mai 2007
L'aile d'un oiseau sombre
Tu écoutais Rachmaninov tu traversais le parc public à un endroit précis des arbres et de la rivière
Tu trouvais un parfum à l’eau à la neige un goût à l’air
Maintenant aucun cigare n’est assez complexe et ton corps est épais comme le temps
On te dit Monsieur et tu dis Vous aux jeunes filles
La jeune traductrice te regarde avec curiosité boire tes vieux alcools à sa santé
Elle te trouve mystérieux de lui dire Vous
Elle voit une photo de toi à son âge sur l’étagère de la bibliothèque et l’ombre du temps passe dans ses yeux comme l’aile d’un oiseau sombre
© Orage-Lagune-Express 2007.
12:40 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : Brouillon de poème, poésie, littérature, temps, vieux alcools
07 mai 2007
L'ange curieux
Au mépris des plus élémentaires consignes de sécurité, je laissai l’ange accéder au poste central de surveillance. Je reste certes seul de longues heures d’affilée dans ce sanctuaire électronique sans rien faire d’autre que lorgner les écrans et regarder dehors à travers les vitres fumées à l’épreuve des balles mais cet isolement ne me pèse point. J’ai ouvert à l’ange car de toute façon, il se serait passé de mon accord. Depuis quand un ange aurait-il besoin de l’autorisation d’un gardien pour pénétrer dans un poste central de surveillance si ça lui chante ? Et puis il ne pouvait être animé de mauvaises intentions, un, parce qu’il était un ange, et deux, parce qu’il m’avait aidé à rentrer la poubelle.
L’énorme porte blindée se verrouilla. Je demandai à l’ange de bien vouloir s’installer dans le cabinet de toilette, à l’abri des regards, notamment lorsque le directeur, le concierge puis les autres membres du personnel viendraient réclamer leurs clefs. Si l’un d’entre eux apercevait l’ange à travers la vitre aussi épaisse qu’un hublot, c’en était fini de ma brillante carrière au poste central de surveillance. Mais l’ange, agacé, m’assura que j’étais et demeurerai le seul à le voir, ce qui s’avéra exact au moment de la délivrance des clefs par le passe-pli. On pouvait faire confiance à cet ange. Personne ne le vit alors qu’il se dandinait derrière moi en faisant des grimaces aux collègues qui me saluaient derrière la vitre. Cependant, ma nature méfiante m’incita tout de même à lui demander s’il était vraiment du bon côté. Vous venez de me montrer assez de prodiges qu’un démon aurait tout aussi bien pu accomplir. L’ange me jeta un de ces regards réservés à ceux qui ne comprennent jamais rien et, d’un geste las de la main, me désigna ses ailes. Cela ne prouve rien, lui rétorquai-je avec l’aplomb de celui à qui on ne fait pas avaler n’importe quelle baliverne. Là, je sentis que je l’avais énervé. Il me fixa en hochant la tête d’un air accablé : et alors ? Faut-il que je te fasse un numéro d’ange ? Des tours de magie ? Ou tiens, pendant qu’on y est, que je te dise la bonne aventure ?
Je m’empressai de saisir la proposition au vol : ah oui, vous pourriez me prédire mon avenir ? Il leva les yeux au ciel et me dévisagea avec consternation. Après tout, si tu y tiens... Tu continueras d’aller de petits boulots en petits boulots et ta femme restera avec toi par pitié. Voilà ; ça te fais rire Ô imbécile ? Non, non, pardonnez-moi, mais vous avez du noir sur l’aile droite. Sûrement la poubelle, quand vous m’avez aidé à la rentrer. Du noir ? Où ? Je ne vois rien. Mais si, vous avez une tache là, sur les petites plumes du dos, en bas de l’aile. J’allais lui tendre un miroir, ainsi que cela se fait chez le coiffeur, pour lui permettre de distinguer les traces noirâtres sur son plumage, lorsque je vis avec horreur sa tête amorcer une rotation complète. En nettoyant les plumes avec une serviette imbibée d’eau et de savon, je ne pus réprimer un sourire. Finalement, c’était drôle cette tête qui pivotait à 360 degrés. Eh bien, il en faut peu pour t’amuser, constata-t-il en me toisant avec sévérité. Bon. Ta compagnie m’est agréable mais je dois partir. Je reviendrai demain.
De fait, il revint le lendemain, peu après ma prise de service, l’après-midi cette fois. Je ne lui avais pourtant pas divulgué mes horaires, ce qui est formellement interdit. Nous bavardâmes jusqu’à la fin de ma permanence. En partant, il me regarda fermer les portes avec curiosité, comme si je me livrais à quelque invraisemblable rituel, et m’aida à sortir la poubelle. Puis nous nous séparâmes. Le soir, au moment du dîner, je finis par poser la question à ma femme : ne serait-ce pas par pitié que tu continues de vivre avec moi ? Elle hocha la tête avec indulgence et murmura : mais qu’est-ce que tu vas encore imaginer ? Je vis alors passer l’ange sur son visage. Il souriait, bien sûr.
* Cette nouvelle a été écrite à la suite d'une commande sur la thématique de l'ange. Le projet n'ayant pas abouti, elle a été publiée sous le titre Le Gardien de l'ange dans les revues La Presse littéraire n°3 (février 2006) et le Croquant n°51/52 (automne 2006).
Addenda 2014 à cette page : cette nouvelle a été également reprise dans le recueil Dragon, ange et pou (trois burlesques) publié aux éditions Le Pont du Change en septembre 2012. Droits réservés © Le Pont du change 2012. ISBN 978-2-9534259-7-0
14:35 Publié dans Nouvelles | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : ange, nouvelle, fiction, littérature
16 décembre 2006
Recyclage
"Certaines anxiétés peuvent être utiles à la littérature. Je pense qu'un écrivain doit savoir se réjouir de ses échecs. Les échecs produisent de la bonne littérature. Le triomphe dans la vie, non."
- Adolfo Bioy Casares -
00:55 Publié dans Alliés substantiels | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : Littérature, échecs, Bioy Casares