01 septembre 2007
Prima la musica
Pour rebondir sur le commentaire de Marie-Josée Martin à la suite de ma note « Elgar à la rescousse » concernant les rapports entre écriture et musique, je me suis amusé à dresser un rapide inventaire des œuvres que j’écoutais ou que j’avais en tête en écrivant Le Club des pantouflards. Il s’agissait des trois sonates pour orgue de Paul Hindemith, compositions auxquelles je prête, en toute subjectivité, une atmosphère tour à tour ténébreuse, ironique et mélancolique. Mais pour le cinquième chapitre, en particulier la scène où Effron Nuvem découvre dans la neige les traces du blindé qui s’est installé sur la place, j’étais habité par le lento du premier concerto pour piano de Dimitri Chostakovitch, deuxième mouvement marqué, notamment dans le solo de trompette, par les accents d’accablement et de sarcasme qui traversent toute l’œuvre du compositeur.
Des années avant d’avoir le projet d’écrire Le Club des pantouflards, je voyais, en écoutant cette partie du concerto, cette scène d’un personnage mal réveillé qui sort de chez lui et qui suit les traces inquiétantes laissées par le char dans la neige. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai rédigé une esquisse de ce passage avant même d’avoir commencé le reste du livre.
Références des disques cités :
Paul Hindemith (1895 - 1963), trois sonates pour orgue interprétées par Kevin Bowyer à l’orgue de la cathédrale d’Odense, Danemark. Le disque comporte aussi des œuvres pour orgue d’Arnold Schoenberg et d’Ernst Pepping. Disque Nimbus Records NI 5411.
Dimitri Chostakovitch (1906 - 1975), concerto pour piano n°1, interprété par Eugene List (piano). Moscow Radio & TV Symphony Orchestra dirigé par Maxime Chostakovitch, fils du compositeur. Disque Melodiya 76822.
01:11 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Prima la musica, Dimitri Chostakovitch, Maxime Chostakovitch, Paul Hindemith, Le Club des pantouflards, musique, littérature
20 août 2007
Milena Agus, comme une funambule
À la librairie Zadig de Saint-Claude (Jura), j’ai trouvé ce court texte de Milena Agus, COMME UNE FUNAMBULE, édité en opuscule gratuit dans le cadre des opérations de promotion de l’éditrice Liana Levi. L’auteur de MAL DE PIERRES y décrit en toute simplicité son rapport à l’écriture.
J’ai lu Mal de pierres au printemps et, comme ce fut le cas pour une foule de lecteurs, la petite musique de ce livre s’est imposée doucement mais sûrement à mon esprit. La Sardaigne, qui me concerne pour des raisons d’ordre familial, a été le déclencheur de ma curiosité pour Mal de pierres. Mais les thèmes de ce livre sont universels. Comme souvent en littérature, j’ai une lecture distraite de l’histoire et de la psychologie. Ce qui me retient toujours, dans un livre qui me plaît, n’est autre que l’angle choisi par l’auteur, sa vision unique et irremplaçable s’il s’agit d’un écrivain au plein sens du terme.
Dans Comme une funambule, Milena Agus dit refuser, pour elle, le terme d’écrivain mais elle précise « pour le moment ». Ce « pour le moment » me fait sourire et, de toute façon, qu’on se considère ou non comme un écrivain, lorsqu’on écrit des livres, n’a aucune importance puisque, en définitive, ce sont toujours les autres, les lecteurs et eux seuls, qui décident qu’un auteur est un écrivain. À mon avis, ce n’est vraiment pas le problème de l’auteur de savoir s’il est ou non un écrivain. Le problème de l’auteur, Milena Agus le décrit très bien : « communiquer exactement ce que je sens, me comble ». C’est aussi simple et compliqué que cela.
En quatrième de couverture de Comme une funambule, on apprend que l’éditrice italienne de Milena Agus l’a présentée à son éditrice française, Liana Levi, comme « un auteur hors-normes ». Je pense que tout auteur capable de « communiquer exactement ce qu’il sent », comme Milena Agus, est hors-normes. D’ailleurs, je ne connais que des auteurs hors-normes. Les autres, s’ils existent, je ne suis pas sûr d’avoir envie de les lire.
Enfin, on trouve dans le plaisir qu’on prend à lire Milena Agus ce qu’on pourrait appeler un supplément d’âme, un indice de confiance (même impression dans les livres d’Antonio Tabucchi) et je la crois sincère lorsqu’elle écrit dans Comme une funambule : « Le succès m’est indifférent. Et l’argent aussi. Pour moi, voyager est une souffrance, j’angoisse et j’ai la nostalgie de chez moi. Je trouve cocasses les vêtements chers. Je trouve que les voitures, les yachts, vu l’état de notre planète, sont criminels. L’excès d’objets me donne une impression de pacotille. »
01:43 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : Milena Agus, Comme une funambule, Mal de pierres, Liana Levi, littérature, Sardaigne
30 juin 2007
C'est curieux mais c'est ainsi.
À quel moment le papillon nous joua-t-il son meilleur tour ?
Il y avait du vent mais l’air était doux, le temps clair et la mer frisée. Pour tout dire, un de ces jours qui semblent embrasser plusieurs saisons en même temps.
Sur place, une foule d’inconnus qui se tenaient à bonne distance olfactive du papillon et, un peu à l’écart de tout ce monde, Marius et l’enseigne de vaisseau Mhorn, beaucoup plus près mais sur une petite dune qui, pour des raisons liées à la géographie des lieux, ne prend jamais de front le vent marin, de sorte qu’aucune bouffée entêtante émanant du papillon ne pouvait les atteindre.
Dans la foule, une tension croissante provoquait des ondulations presque semblables à celles qui parcourent les champs l’été lorsque la brise tourne en vent.
C’est que le papillon n’offrait plus le même spectacle gracieux auquel chacun s’était habitué dans une sorte de bienveillante résignation. Un épais liquide opalin suintait de dessous son corps immense et formait autour de lui de petites flaques si visqueuses que le sable, pourtant très fin, ne parvenait pas à les absorber. Le plus frappant était de constater que ces écoulements d’aspect très répugnant exhalaient une odeur des plus délicieuses aux notes purement florales de pivoine et d’oeillet. Parfois, des clapotis accompagnaient la lente expulsion d’une quantité plus importante de liquide et le papillon se mettait alors à battre péniblement des ailes comme sous l’emprise d’un effort intense.
Chacun suivait la scène avec intérêt et dégoût sans plus savoir s’il fallait se boucher le nez à l’aide d’un mouchoir ou, au contraire, respirer à pleins poumons les effluves.
Pendant ce temps, la marée montait et chaque nouvelle vague traçait sur le sable déjà lissé la plus éphémère des frontières entre le monde de la poussière et celui de l’écume. C’est alors qu’une vague un peu plus forte que les autres vint se briser dans un grand fracas de coquillages broyés et de petits cailloux polis de toutes les couleurs. Cela tira jusqu’au sable sec une langue d’écume qui humecta l’une des flaques poisseuses sécrétées par le corps du papillon. Aussitôt, le contact entre l’eau de mer et la boue parfumée produisit une effervescence d’où s’échappa en bruissant une nuée de papillons d’un bleu profond, tous de la taille d’un papier de bonbon. Une autre flaque s’évapora ainsi en un désordre d’éclairs bleutés, puis une autre et encore une autre jusqu’à ce que l’eau ait cerné le papillon géant qui semblait maintenant jeter ses dernières forces dans un lent battement de ses ailes vastes comme des voiles. Ces mouvements qui n’étaient peut-être qu’une tentative d’envol soulevèrent un vent de sable dont le souffle irritant se mêla aux myriades de petites ailes abandonnées à l’essor le plus frénétique.
La foule se dispersa. Les gens rentraient chez eux car c’était l’heure du match à la télévision.
Un match de football ou de rugby, je ne sais pas. De toute façon, pour moi, c’est du pareil au même.
Peu après, le papillon s’arrêta de battre des ailes et l’on entendit, du côté du couchant, comme un soupir de mer, et, du côté de la dune, le friselis des grains de sable sur les carex.
Après quelques mètres sur la plage, je secouai mes espadrilles sur les caillebotis qui aident à franchir la grande dune. Au sommet, je me retournai pour tenter d’apercevoir Mhorn ou Marius dans les parages. Personne. J’empruntai donc seul sous de lourds nuages le chemin goudronné qui dessert les maisons les plus isolées, les premières avant les bars et restaurants des nuits d’été. Il me revint alors en mémoire que l’enseigne de vaisseau Mhorn devait dîner en ville. Quant à Marius, il était sans doute déjà au lit. Je décidai de l’imiter et j’accélérai le pas pour fuir au plus vite l’affreux murmure de la retransmission du match qui sortait de toutes les fenêtres et de toutes les terrasses et qui enflait parfois en une odieuse rumeur au terme d’une de ces actions d’éclat qu’on appelle but ou essai.
Une fois de plus, avant de m’endormir, je bénis les deux grands pins qui, à travers les lamelles ébréchées des persiennes, frissonnent dans les ombres de ma chambre lorsque la brise les visite. Leur respiration couvrait en effet les clameurs du match télévisé dont les exclamations assourdies auraient pu me parvenir encore.
Je me souviens que cette nuit-là, j’ai rêvé que j’habitais une cabane dans les roseaux. Le souffle du vent parmi leur amicale multitude me jouait une pièce pour orgue de Jehan Alain : “postlude pour l’Office de Complies”.
C’est curieux mais c’est ainsi.
Extrait de : Le Grand variable. Éditions Editinter. (Épuisé).
Collage : Bernard Deson
02:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Le Grand variable, roman, fiction, littérature, Christian Cottet-Emard