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10 novembre 2013

Bon anniversaire Clara !

Un instant d'avant-monde

(J'ai écrit ce poème à l'occasion de la naissance de ma fille)

 Vois-tu les vieilles fées aux yeux cernés d'enfants ?

 Elles oublient la fatigue de ce monde

 dès qu'elles ont penché leur front sur cet instant,

 nous rappellent qu'il est aussi ton âge et sondent

 en ses lointains, l'ombreux sommeil de la mémoire

 où, suivant leurs balises, déjà tu voyages

 avant ton nom. Nous l'inscrivons sur leur grimoire

 par un enchantement, juste à la bonne page.

 

Ecoute bien, une musique l'accompagne.

 Reconnais-tu l'orgue de la rose des vents

 dans son art de la fugue aux claviers des campagnes

 et la voix des clochers qui sèment notre temps

 un peu partout dans l'herbe en ordre des prairies

 dépeignées par le ciel tout en étourderie ?

 

Ainsi s'ouvre ta collection de paysages

 quand, barquerolle encore, ta conscience aborde

 en des contrées souvent usées jusqu'à la corde

 qui renaîtront des mots cachés dans tes bagages.

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Photo : à Venise sur le pont Rialto en juin 2003.

14 juillet 2008

Pourquoi Mhorn s'appelle-t-il Preben ?

Pourquoi Mhorn s'appelle-t-il Preben ? Parce que sa mère, venue du Nord, habite désormais sur le flanc d'une montagne du Sud-Est, du côté des forêts d'épicéas où craquent volontiers les orages d'été.

Un de ces jours de canicule, la mère de Preben Mhorn, dans les derniers mois de sa grossesse, avance péniblement dans le parc public de la petite cité industrielle. Elle finit par s'asseoir sur un banc, au bord de l'étang, et elle regarde l'eau aussi lisse et opaque que le ciel vert-de-grisé. Pas une feuille ne bouge dans les grands frênes autour de l'étang.

IMG_0232.JPG

Un parc dans une ville déserte, un été de plomb, un banc au bord d'une flaque d'eau huileuse et ce gros ventre si lourd à transporter, ainsi s'écoulent ses journées. La voilà qui somnole dans la chaleur. Un gros poisson de vase a effleuré la surface du plan d'eau. La mère de Preben sent ses yeux se fermer sur les cercles qui trahissent la présence de l'animal.

L'étang devient un fjord et les forêts, plus sombres, se rafraîchissent sous le ciel bien lavé du Grand Nord. Et voici que la jeune femme rêve à son pays, au Septentrion... Quel voyage ! Elle voyage beaucoup... Dans sa tête. Et lorsqu'elle se retrouve à la maternité, en salle de travail, avec son ventre secoué comme la mer dans une terrible tempête, la canicule est toujours là.

Tout est trempé, il y a de l'eau partout, mais de l'eau tiède et rien que de l'air chaud à respirer. La jeune femme dévale un torrent puis un fleuve en crue. Un enfer de bouillonnements et de gargouillis. Un fleuve fangeux, le fleuve des Enfers, le Styx, l'Achéron ou le Cocyte. À moins que ce ne soit le Phlégéton et son flot de flammes. Alors, lui revient en mémoire l'arrêt devant l'étang. Dans sa descente des eaux en furie, elle agrippe les nageoires du poisson de vase et elle l'enfourche. Le poisson saute d'un gigantesque bon et projette partout de l'écume boueuse. Il retombe au milieu d'un cercle qui se répercute à l'infini à la surface paisible d'un fjord bordé de fraîches et sombres forêts. Le Nord ! Le Septentrion ! Un enfant d'une grande beauté sort de l'eau du fjord. Un enfant avec un prénom du Nord : Preben.
- Et comment l'appelons-nous ce beau garçon ? demande la sage-femme.
- Preben. Il s'appelle Preben, répond la jeune femme dans un souffle.
Et voilà pourquoi l'enseigne de vaisseau Mhorn s'appelle Preben. À cause de la canicule dans les montagnes orageuses et du poisson de vase.

(Extrait de : Le Grand variable, éditions Editinter, 2002. Épuisé)
Photo MCC