08 octobre 2009
Passage d'un vivant
(Nouvelle parue dans les revues Salmigondis n°19 et Le Croquant)
« T’en as de la veine
d’avoir de la peine,
Henri,
moi mon coeur est sec
comme un coup de bec,
chéri... »
- Géo Norge -
Chaque année, au printemps, nous nous réunissons tous les six autour d’un très vieux whisky pour célébrer, à une exception près, notre réussite. C’est toujours moi qui choisis l’alcool, marquant ainsi mon autorité sur les autres. Ils ne la contestent pas car ils savent qu’ils me doivent tout. Je suis, en outre, le « Senior » de la troupe. C’est ainsi qu’ils m’apostrophent parfois avec une pointe d’ironie pas forcément affectueuse mais que je tolère parce qu’ils faut qu’ils se croient libres et puissants en dehors de mon influence. Lorsqu’ils ont garé leurs lourdes berlines, leurs clinquants cabriolets, leurs monstrueux et grotesques 4X4 et autres hochets dont ils ne peuvent s’empêcher de changer sans cesse, ils franchissent avec aplomb le seuil de cette brasserie très ordinaire, en bordure d’un boulevard bordé de vieux marronniers roses, où l’on propose toutefois, à ma demande, des cigares de ma réserve personnelle. Même ici, leur arrivée ne passe pas inaperçue et j’apprécierais une attitude moins fanfaronne de leur part mais je ne peux pas demander à des garçons que j’ai formés à décider et à disposer de se comporter comme des petits enfants.
« Messieurs, nous voici presque au complet. Pour changer, Henri est en retard. Comme d’habitude, nous commencerons sans lui. » Ainsi le rituel débute-t-il chaque printemps avec les mêmes mots et une bouteille de plus. En raison de la douceur exceptionnelle de cette fin d’après-midi, Georges, notre serveur attitré, nous accueillera en terrasse. À cette heure, l’animation citadine est à son comble mais je n’en ressens plus depuis longtemps l’excitation. À vrai dire, il n’y a plus que la dégustation d’un bon whisky pour me réjouir. Le reste, tout le reste, j’en suis las. « Georges, mes Trinidad pour ces messieurs. »
En principe, Henri débarque essoufflé au moment où Georges apporte les cigares. Mais cette fois-ci, nous avons déjà eu le temps, mes quatre compagnons et moi-même, de décapiter nos doubles coronas, de les allumer et d’en tirer quelques bouffées. Toujours pas de nouvelles d’Henri. Je surprends quelques regards entendus entre mes « poulains » . C’est toujours comme ça, lorsque nous l’attendons. Après moi, Henri est le plus âgé de notre groupe. Il vient de passer la quarantaine et je soupçonne les autres d’en savoir plus que moi, pour une fois, au sujet de son retard prolongé.
Bien qu’il soit lui aussi ma créature, Henri est un raté. Il en fallait un parmi nous afin que les autres n’eussent jamais la tentation, au faîte de leur succès, d’oublier le risque et la réalité de l’échec. Henri en est l’incarnation. Ceci dit, Henri n’est pas une épave. Il porte même sa quarantaine avec un petit quelque chose que n’auront jamais les autres pourtant plus beaux, mieux habillés voire plus intelligents que lui. « Messieurs ? Si nous trinquions ? Le tintement de nos verres attirera peut-être Henri... »
Bien qu’il soit un raté, Henri est indispensable à notre cohésion. Du reste, il ne dépareille pas parmi nous. Il est certes fauché mais il ne s’abandonne jamais à en faire la démonstration. Avec ses vieux vestons en tweed, il reste toujours correct et il faudrait un observateur avisé, lorsque nous l’accueillons dans nos rangs, pour deviner qu’il n’est pas de notre trempe. Après tout, personne, à part Georges, n’est censé savoir que c’est nous qui réglons ses ardoises.
« Dites, vous connaissez la dernière d’Henri ? »
J’atteignais le point d’harmonie entre les saveurs de mon whisky et les arômes de mon puro lorsque la question fusa de notre petit cercle. Je constatai maintenant qu’on se poussait du coude de manière puérile. « Henri est amoureux ! » pouffa quelqu’un.
— Encore ? Et c’est tout ce que vous avez à m’apprendre ?
(Il était dans la nature faible et sentimentale d’Henri de gaspiller ses rares accès d’initiative et de dynamisme à la recherche le plus souvent infructueuse de l’âme soeur.)
— Mais vous ne connaissez pas la meilleure, entendis-je.
— Je suis tout ouïe.
— Henri s’est entiché d’une fille de vingt ans.
Mon verre est resté suspendu deux secondes dans les airs, à égale distance entre la table et mon gosier, signe chez moi d’un improbable début de curiosité.
— Décidément, il est parfait. Il n’en loupe pas une. Jolie ?
— D’après ce que nous avons pu remarquer... Le genre...
Le ronflement d’un moteur, sur le boulevard, m’empêcha de comprendre la fin de la phrase. Un adjectif en « ante » ... Émouvante, je crois.
— Émouvante ? repris-je.
Il y eut un silence et je sentis que j’avais suscité un brusque étonnement. De mon côté, je me répétai intérieurement : « émouvante » ? Ce mot, dans la bouche d’un de ces prédateurs, me laissa perplexe. Sans doute un effet de la douceur florale de l’air en ce tendre soir de printemps.
— Il en profite au moins ?
Tout en désapprouvant la vulgarité de celui qui venait d’émettre cette hypothèse, je dois avouer que l’expression reflétait parfaitement le fond de ma pensée.
— Même pas, s’étrangla une autre voix avant un rire étouffé.
Je posai mon cigare en équilibre instable sur le bord du cendrier :
— Mais alors, qu’est-ce qu’ils font ?
Alors que mes comparses ne se tenaient plus de rire, je me surpris moi-même en ajoutant d’un air désolé : « pauvre Henri ! » , ce qui déclencha une véritable crise d’hilarité générale. À cet instant précis, mon regard rencontra un gracieux mouvement de brise dans les marronniers roses et, je ne sais pourquoi, ce fou-rire m’irrita. Un hanneton qui s’affolait dans l’air bleuté et lourd de parfums mobilisa mon attention. Il était certain qu’à la nuit tombée, il finirait aveuglé dans une ronde mortelle autour du premier lampadaire. Ce hanneton, c’était Henri et le lampadaire, la fille.
— Tout de même, à son âge, pensai-je tout haut. Qu’est-ce qui lui prend ?
— Il souffre en silence, articula une voix qui me tira de la contemplation du hanneton.
C’était bien la seule remarque valable que je venais d’entendre depuis le début de la séance. Sur ce, Henri rappliqua. Le souffle court, il s’excusa, salua tout le monde à la va-vite et s’effondra sur la banquette en rotin. Tout en commençant à le chambrer, nous lui servîmes un verre. Je l’observai aussi attentivement que j’en fusse capable. Le teint hâve, les yeux cernés, le regard dans le vague, cela ne faisait aucun doute, il avait les stigmates du type de quarante ans qui s’amourache d’une gamine de vingt. Il était comme un promeneur égaré qui, sous l’orage, ne choisit rien de mieux que d’aller s’abriter sous un arbre. Henri avait trouvé la demeure de la foudre.
Les autres continuaient de le tourmenter et j’aurais dû sourire avec eux lorsque je me sentis subitement envahi par une curieuse mélancolie, le sentiment qui m’est le plus étranger. Je ressentis alors de la gêne à voir Henri tenter de faire bonne figure sous un feu roulant de blagues salaces au sujet de son idylle. Chacun en rajouta tant dans la grossièreté et la bassesse qu’il finit par se lever. Une seconde, je me pris à espérer quelque chose. Il demeura un court instant immobile puis trébucha en voulant se tourner en direction de la sortie. Son regard s’envolait vers la foule du boulevard où, de la main, il envoya un signe à quelqu’un. Il s’agissait sûrement de la fille car il prit à peine le temps de bredouiller encore quelques excuses et nous abandonna, un pauvre sourire aux lèvres, en essuyant une ultime rafale de grivoiseries.
Il était pitoyable, Henri, mais je réalisai alors, en un éclair, à ma plus grande stupeur, qu’il était aussi, désormais, l’homme que j’enviais le plus au monde.
© Éditions Orage-Lagune-Express 2009.
17:35 Publié dans Nouvelles | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : nouvelle, salmigondis, le croquant, blog littéraire de christian cottet-emard, fiction, littérature
05 octobre 2009
Récital d'orgue d'Yves Lafargue à Nantua : un romantisme très contrôlé
L’avantage avec l’orgue, en l’occurence l’instrument de Nantua, construit en 1845 par le facteur vosgien Nicolas-Antoine Lété, c’est que la découverte est au rendez-vous de tous les concerts. Chaque organiste apporte sa pierre à l’édifice en construction permanente qu’est l’interprétation. Par exemple, le public qui connaissait déjà celle de l’Offertoire opus 9 n°1 d’Alexandre-Pierre-François Boëly (1785-1858) grâce à l’un des disques enregistrés à cette même tribune par M-A. Leurent et E. Lebrun, a pu mesurer, avec celle d’Yves Lafargue, professeur d'orgue du Conservatoire de Lyon (CRR) et organiste titulaire de la basilique Notre-Dame de Fourvière, à quel point chaque organiste a sa propre vision d’une œuvre, sa personnalité unique. Dans ce répertoire, l'interprétation d'Yves Lafargue semble privilégier de belles couleurs sombres mais en se gardant de toute théâtralité. En somme, un romantisme très contrôlé.
Le programme proposé dimanche en l’abbatiale Saint-Michel par Yves Lafargue était parfaitement représentatif de l’esthétique dite de transition entre classicisme et romantisme attribuée à l’orgue de Nantua, non seulement avec la musique de Boëly dont quatre extraits des douze pièces opus 18 (andante con moto, allegro ma non troppo, canone all’ottava et fantaisie et fugue) sonnaient idéalement sur le Lété mais encore avec la cinquième sonate en ré majeur opus 65 de Felix Mendelssohn (1809-1847), la transcription pour orgue d’Yves Lafargue de l’allegretto de la septième symphonie de Beethoven (1770-1827) et, de Johann Sebastian Bach (1685-1750), le Contrepoint 14 de L’Art de la fugue BWV 1080, achevé par A.P.F Boëly.
Enfin, comme c’est presque de tradition à Nantua, Yves Lafargue n’oublia pas d’offrir au public quelques pages du très charmeur Louis-Alfred-James Lefébure-Wély (1817-1869) extraites de ses Meditationes religiosas (récit de hautbois, marche et andante) dont il donna en bis le chœur de voix humaines.
Ce concert organisé par l’Association des Amis de l’orgue de Nantua, l’Addim de l’Ain (label Patrimoine en Musique) et la Paroisse Saint-Michel, était présenté par Michel Jacquiot, organiste suppléant.
Enregistrements :
Pour qui veut prolonger le plaisir de ce récital et faire plus ample connaissance avec l’art d’Yves Lafargue, il existe des disques :
- Musique française pour Noël (enregistré sur le grand orgue de la salle de concerts de Sapporo sur l’île d’Hokkaido au Japon) avec des œuvres de Daquin, Balbastre, Boëly, Lefébure-Wély, Dupré, Messiaen. (Disque Jasrac).
- Yves Lafargue à l’orgue Ahrend de la Primatiale Saint-Jean, à Lyon (Disque Lyon-Cathédrale) : un DVD enregistré en 2007, Regards croisés sur le Mystère de Pâques (orgue, chant, vitraux, peintures, sculpures) avec des œuvres de J. S. Bach, C. Racquet, H. Scheidemann, J. Titelouze, J.-F. Dandrieu. Sur ce DVD et sur le CD correspondant, on trouve aussi une œuvre d’Yves Lafargue qui est également compositeur : Strophe (Ave maris stella). Lauréat du concours de composition de musique sacrée pour chœur mixte de la Ville de Moissac en 2000, il a interprété lui-même sa pièce Strophe à l’orgue de Sainte-Croix de Bordeaux, en finale du concours de composition pour orgue (2002) et a remporté le concours national de composition de la Messe du Jubilé 2005 de Notre-Dame du Puy.
* Prochain concert : samedi 5 décembre 2009 à 15h, abbatiale Saint-Michel de Nantua. Concert de Noël par Véronique Rougier, Olivier Leguay et les élèves de la classe d'orgue du Conservatoire à Rayonnement Départemental d'Oyonnax (CRD). Textes lus par le Père Le Bourgeois. Entrée libre. Organisation : Association des Amis de l'Orgue de Nantua, Paroisse Saint-Michel de Nantua, Conservatoire à Rayonnement Départemental d'Oyonnax. Renseignements : Office de Tourisme du Pays de Nantua-Haut Bugey : 04 74 75 00 05.
Photo : Yves Lafargue aux claviers de l'orgue Nicolas-Antoine Lété de Nantua.
23:12 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : yves lafargue, orgue, nantua, fourvière, lyon, sapporo concert hall, japon, saint-jean lyon primatiale, musique, récital, concert, blog littéraire christian
03 octobre 2009
L'organiste et compositeur Yves Lafargue ce dimanche à l'abbatiale de Nantua
14:43 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : orgue, yves lafargue, nantua, abbatiale saint michel, ain, musique, concert