Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30 août 2005

Tu écris toujours ? (24)

S'éditer soi-même, on le sait, peut réserver de mauvaises surprises dès la réception des livres commandés à l’imprimeur.
Lorsque je voulus tenter l’expérience, voici une bonne vingtaine d’année, cela me fit tout drôle de voir rappliquer dans ma cour un camion, lequel, au terme d’une manoeuvre délicate suivie d’un éternuement de frein, expulsa de sa cabine un costaud bougon brandissant un bon de livraison : “j’ai une palette au nom de Cottet-Emard, ouais, des bouquins.” Et le transporteur de s’esclaffer : “ben vous, quand vous lisez, vous faites pas semblant ! On la met où, la palette ? Là ? Dehors ou dans le garage ?”
J’ai signé le bon et j’ai dit que j’allais me débrouiller avec les cartons. Le costaud et son camion se sont évaporés dans un nuage de gaz. J’ai regardé la palette et j’ai compris que l’arrivée de 1500 exemplaires d’un livre qui débaroulent à domicile à l’heure du petit déjeuner pouvait susciter une saine remise en question de certaines vues de l’esprit.
J’ai eu de la chance, la palette était bien cerclée. Il faut qu’une palette soit bien cerclée, sinon, elle penche et elle peut tomber. Si l’on est à proximité, cela peut être dangereux. C’est à l’usine, où j’ai travaillé deux mois dans ma vie au grade de stagiaire-étudiant (aussi bizarre que devin-plombier) pour me faire un peu d’argent de poche, que j’ai appris qu’il fallait qu’une palette fût bien cerclée pour ne pas mettre en péril l’intégrité physique de tous les intermédiaires qui ont la lourde responsabilité de la manipuler. Et cela fait du monde. Les palettes, on ne m’a pas longtemps confié le soin de les empiler et encore moins de les cercler. À côté de celles des autres ouvriers, les miennes, elles avaient des airs de tour de Pise et si le monument n’a pas encore rompu avec son centre de gravité, on ne peut pas en dire autant de mes palettes. Mais bon, tout ça, c’est du passé et personne n’est mort.
Une palette d’un livre qu’on a écrit n’est pas une vision plaisante. Ah, si les blogs avaient existé au début des années 80 !

(À suivre)

26 août 2005

Palettes d'Ormesson

Non. Il ne s’agit pas de la dernière création d’un chocolatier à la vocation littéraire contrariée mais de palettes de livres.
Je dois avouer que j’y repense à chaque rentrée littéraire, notamment lorsque je me promène dans les librairies géantes comme celles qui donnent des sacs caca d’oie, en cette saison durant laquelle des écrivains tels que Jean d’Ormesson atteignent leur seuil maximal de risque d’avalanche. Cher client de l’industrie du livre, prends garde aux palettes de Jean d’Ormesson et si on t’a obligé de déposer ton casque à la consigne, alors un conseil d’ami : préfère le rayon poésie. S’il s’effondre, quelques plaquettes et au pire une ou deux anthologies ne risqueront pas de te faire autant de bobo que des quintaux de d’Ormesson ou d’Alexandre Jardin.
Je ne prends l’exemple de Jean d’Ormesson que parce qu’il m’a toujours un peu plus énervé que les autres pisse-copie en palettes, avec son éternel sourire de pomme reinette oubliée à la cave et ses affreuses cravates bleues en toile de jute. Des cravates de rédacteur en chef. Les rédacteurs en chef ont toujours d’horribles cravates. Dans la presse de province, c’est encore pire. J’en ai connu un qui en portait une maigrichonne en cuir marron dont on se demandait si elle n’avait pas été taillée par sa femme dans un vieux string en croûte de porc tout lustré. Finalement, je préfère encore celles de d’Ormesson. Attention, je ne m’en prends pas à l’homme d’Ormesson privé mais à son clone médiatique, ce personnage d’académicien jouant l’esthète polisson qu’il s’est composé pour les siècles des siècles en se coinçant deux pinces à linge aux commissures des lèvres avant chaque séance de photo ou de télé. Télérama l’a classé dans les “contournables”. Ils sont marrants à Télérama. Comment font-ils ? Qu’ils me donnent la Force, le Pouvoir Secret, la Formule Magique, tout le Rituel qui me permettra de conjurer les effets de ces maléfiques fétiches que sont le rictus, les cravates et les palettes de Jean d’Ormesson.
Mais à propos... Ces palettes, ces piles de d’Ormesson, elles vont bien quelque part... Elles ne diminuent pas comme par enchantement, elles ne sont tout de même pas déplacées à grand renfort de chariots élévateurs à fourche juste pour la gymnastique matinale de manutentionnaires que j’imagine en train de s’engueuler dans les entrepôts : “Allez, pousse-toi, comment veux-tu que je bouge Alexandre Jardin et Marc Lévy si tu bouches le passage avec Paolo Coelho et si tu laisses d’Ormesson traîner partout ? M’enfin...”
Et si ce n’était pas sa faute, les palettes, à Jean d’Ormesson ? Alors, la faute à qui ?

24 août 2005

Rentrée littéraire : sortie de secours

La rentrée littéraire me pèse déjà, aussi exaltante et surprenante que la scolaire, comme toutes les autres rentrées finalement, avec son inflation de petits romans français constipés, accouchés et promus dans un ahurissant esprit de sérieux par nos journalistes eux-mêmes romanciers à leurs heures. C’est pourquoi, en bon vieux réactionnaire (c’est-à-dire capable de réactions), le désir me prend aujourd’hui de lorgner dans la direction du passé immédiat, celui de mes lectures non pas “de” vacances mais “en” vacances. En voici quelques unes.

Roland Fuentès : La Bresse dans les pédales, (avec des dessins de l’auteur) éditions Nykta (www.editions-nykta.com), collection Petite Nuit, 2005.
Ce vélo de 1936, on pouvait penser qu’il en avait déjà vu des vertes et des pas mûres depuis sa sortie d’atelier. C’était sans compter sur les folles randonnées nocturnes de son actuel propriétaire dans une Bresse repue de cauchemars et mal habitée de ventre jaunes aux noirs desseins. Quant à raconter son histoire aux poulets, (à savoir que des malfaisants ont voulu lui mettre à l’air les boyaux) autant pédaler dans la choucroute...
Extraits : “À l’hospice, il paraît qu’ils ont des traducteurs de vieux.”
“À cette heure-ci, l’autoroute est complètement déserte. Rien qu’une étendue noire, un grand souffle froid. C’est là, sous vos pieds, ça vous regarde avec un air lugubre, et surtout ça dit rien. Rien de rien.”

Giorgio de Chirico : Hebdomeros, Flammarion, collection L’Âge d’Or, 1983, la seule édition bon marché de ce livre étrange achevé par le peintre en 1929 et publié en 1964 dans la collection créée par Henri Parisot. Désespérant de trouver cet ouvrage autrement que sous la forme d’éditions originales onéreuses sur le marché européen, je confie ma requête à internet et le livre me parvient un mois après dans une enveloppe postée à Sao Paulo, Brésil. Voici une édition d’Hebdomeros qui a franchi l’océan en aller/retour !
Un livre-promenade, un voyage dans l’univers intérieur de ce peintre si controversé, qui écrivait peut-être parce qu’il ne prenait lui-même pas assez sa peinture au sérieux ou qui peignait peut-être parce qu’il ne croyait guère en son écriture... Métaphysique, ironique et sceptique, Giorgio de Chirico, dont je m’étais aussi régalé voici deux décennies de ses Poèmes parus en 1981 chez Solin, dans la collection “Traversées des Alpes”.
Un extrait d’Hebdomeros : “Leur regard était imprégné d’une tristesse infinie (la tristesse des demi-dieux) ; il était attentif et immobile comme le regard des marins, des montagnards, des chasseurs d’aigles et de chamois, et en général le regard de ceux qui sont habitués à regarder de très loin et de très loin à distinguer les hommes, les animaux et les choses.”

Serge Prokofiev : La Tour vagabonde, éditions Alternatives (www.editionsalternatives.com), collection Pollen, illustrations David Lozach. 2005.
Dans le Transsibérien, Prokofiev écrivait de petites histoires ironiques dans lesquelles le diable intervient souvent et que je trouve quant à moi caractéristiques de ce que l’on peut se risquer à nommer “l’âme russe” en littérature. Élégance, détachement et sarcasme, traits présents dans sa musique, émaillent les récits de Prokofiev dont les épisodes fantasques pourraient conduire à se demander ce que pouvait bien boire ou fumer le grand compositeur pendant ses voyages en train...
Extraits : “... mais il n’était plus qu’un étui vide dont on avait retiré le violon...”
“Le commandement des opérations fut confié au général von Magenschmerzen, dont la gloire éclatante s’était édifiée sur la base imposante d’un entassement d’os humains.”

Frédérick Houdaer : Angiomes, éditions La Passe du vent, 2004. Adresse de l’éditeur : La Callonne, 01090 Genouilleux.
Frédérick Houdaer m’a un jour envoyé un mail pour me dire que mon blog devrait être remboursé par la Sécurité sociale. Le moment est venu pour moi de lui retourner le compliment pour ce recueil de poèmes faussement légers, faussement contemplatifs, faussement humoristiques, faussement cyniques mais vraiment à lire quand l’esprit de sérieux fait démesurément gonfler la sphère de la poésie. Pour en savoir plus, vous savez ce qui vous reste à faire : cliquer sur le lien ci-contre.
Extrait : “photos d’écrivains / fixées au mur / avec du scotch de déménagement / non / ça ne m’a pas encore passé”.