21 mars 2005
Tu écris toujours ? (5)
Et si ce feuilleton n’était que ratiocinations de plumitif aigri en mal de reconnaissance officielle ?
Tout auteur revendiquant un statut accompagné de quelques droits fondamentaux suscite ce genre de suspicion. Que vous descendiez dans la rue avec les collègues de votre boulot alimentaire pour défendre acquis sociaux et pouvoir d’achat ne surprendra personne, excepté si vous êtes artiste et notamment auteur. Employés en grève, vous défendez votre gagne-pain, auteurs mécontents de votre sort, vous distillez de la bile. Voilà, ce n’est pas plus compliqué. Et pourtant, malgré toutes les difficultés liées à la pratique de l’écriture, la loterie de l’édition, la condescendance des amis, la marginalité sociale, je ne ressens pas la moindre aigreur me remonter jusqu’à la luette. L’aventure littéraire m’apporte des joies qui me paraissent simples et évidentes. Fixer une pensée, un paysage intérieur, donner à tout cela une forme qui restera en une trace écrite est un grand bonheur, même s’il ne se trouve qu’un de mes lointains descendants pour parcourir ces lignes d’un oeil distrait. Quelqu’un pourra se faire une petite idée de mon regard sur le monde. Mon grand-père maternel, que je n’ai pas connu, a consigné dans un cahier d’écolier son apprentissage de maître d’hôtel en Angleterre. Au fil ténu de quelques notations maladroites, presque entre les lignes, je peux ainsi voir avec son regard des fragments de paysages, m’imaginer un petit peu dans sa peau. Dans notre vie sans cesse menacée d’insignifiance et d’irréalité, je trouve dans la puissance de l’écrit tout ce qui peut me préserver de l’aigreur. En revanche, ma capacité de colère reste intacte. Ce n’est pas parce que l’écriture me rend joyeux qu’elle me prive de tout esprit critique.
Justement, les raisons d’entrer dans de saines colères, de contester et de revendiquer ne manquent pas. Je me souviens d’un professeur d’histoire-géographie, au lycée, qui se risquait parfois à commenter l’actualité. La chute était toujours la même : “on se fout de vous !” Aujourd’hui, j’ai envie de dire la même chose à tous les auteurs à qui l’on fait croire que, depuis leur petit chez soi, par la seule vertu de leur intelligence et de leur style soigneusement résumés dans “une lettre motivant la demande” (d’aide financière) ils trouveront quelqu’un qui viendra les aider à se faire entendre sous la glorieuse bannière de je ne sais quelle antenne décentralisée du Ministère de la Culture ou d’une quelconque Maison de la Poésie. À la lumière de mon expérience personnelle de la chasse aux aides, bourses et subventions, je le leur répète ainsi qu’à moi-même : “on se fout de vous !”
Des exemples, j’en donnerai plus tard dans les prochaines pages de ce feuilleton, après un bon cigare.
(À suivre)
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19 mars 2005
Tu écris toujours ? (4)
Et maintenant, une petite devinette.
Quelle différence y a-t-il entre un auteur qui expédie son premier dossier de demande d’aide financière à la création et un joueur qui franchit pour la première fois le seuil d’un casino ? Réponse : aucune.
L’un et l’autre ne savent pas, au début, où ils mettent les pieds. Passons sur les affres de celui qu’a saisi le démon du jeu. Celles de l’auteur qui, à sa manière, mise lui aussi, s’avèrent plus subtiles. Sur quoi mise donc l’auteur lorsqu’il confie à la poste l’enveloppe ventrue qui regorge de ses travaux en cours, de ses principales publications et surtout de la sacro-sainte “lettre motivant la demande” ? Sur rien de solide, quelque chose comme le hasard. À ce stade, la petite voix à laquelle je faisais précédemment allusion ne cesse de se contredire : “pourquoi toi ? Pourquoi pas toi ?” Les sommes sur le tapis ne sont pourtant pas mirobolantes, surtout lorsqu’elles proviennent des deniers publics. Quant aux organismes privés, s’ils se montrent plus généreux, il n’en demeure pas moins fort difficiles d’accès pour qui les sollicite pour la première fois. Là aussi, c’est toujours la même loi d’airain qui s’applique : on ne prête qu’aux riches, d’où la difficulté et l’importance de la toute première aide obtenue qui peut déclencher les autres en cascades. Et plus vous obtenez d’aides, plus elles augmentent en espèces sonnantes et trébuchantes. Bourses, années sabbatiques, résidences, ces aides collectionnent les appellations les plus diverses mais elles ont toutes un point commun. Elles sont toutes attribuées dans la plus grandes opacité par des commissions dont on ne sait pas grand-chose, même si les organismes pour lesquels elles travaillent ont pignon sur rue. De surcroît, celles et ceux qu’elles élisent pour créditer leurs comptes d’un sympathique virement savent rester discrets. Pour en savoir plus à ce sujet, surveillez la presse que je qualifie de “paralittéraire” qui sait parfois régaler le lecteur de quelques savoureuses indiscrétions. Je pense notamment aux enquêtes du magazine Lire dont la plus récente est édifiante. Une autre, plus ancienne, sur le même sujet, publiée dans le même magazine, pointait d’incroyables mesquineries révélatrices de la démesure de la partie immergée de l’iceberg. Amis de la poésie, bonsoir !
De toute façon, je ne veux pas m’apesantir ici sur les conditions dans lesquelles ces aides sont distribuées. Cela n’entre pas dans mon propos. La seule certitude dont peut se prévaloir l’auteur isolé espérant profiter de cette manne est qu’il ne représente qu’un pion sur un jeu aux règles changeantes, élastiques et, pour lui, impossibles à connaître. Là encore, les mieux armés dans cette foire d’empoigne feutrée sont et seront toujours, comme dans le travail et la politique, ceux qui savent et aiment jouer des coudes, se montrer dans les salons où l’on cause et faire parler d’eux. Ours des cavernes, contemplatifs ruraux et autres collectionneurs de phobies sociales, passez votre chemin !
C’est précisément là que j’attends la question de mon lecteur attentif : “pourquoi les organismes chargés d’attribuer des aides susciteraient-ils des candidatures d’auteurs qu’ils recaleront après les avoir encouragés à postuler?” Mais simplement pour légitimer leur existence et leurs activités. On crée un besoin et on gère le manque en couronnant quelques têtes au passage, histoire de montrer qu’on ne plaisante pas avec l’argent public. Tout candidat exclu avec régularité malgré un “profil” favorable à l’obtention de telle ou telle bourse généralement annuelle prend vite conscience de cette réalité. L’ennui, c’est que lorsqu’on a mis le doigt dans l’engrenage, il est difficile de renoncer à tenter de nouveau sa chance. C’est comme pour l’accro du loto : il est enchaîné à son pari, non pas parce qu’il croit vraiment qu’il va décrocher le gros lot mais parce qu’il craint de le manquer le jour où il décide de ne pas jouer. On a beau recevoir chaque année la même circulaire (“malgré la qualité de votre dossier, celui-ci n’a pu être retenu par les membres de la commission”), on réexpédie chaque fois l’enveloppe fatidique pour la session suivante en espérant un hypothétique renouvellement des hommes et des femmes de l’ombre à qui vous soumettez, c’est le mot juste, l’espoir d’une amélioration de votre ordinaire.
Vous voilà devenu un drogué de la demande d’aide financière avec des comportements de manque plus ou moins sévères : collections maniaques de la moindre notules, du moindre entrefilets concernant vos publications, constitutions compulsives de dossiers de presse, mise à jour obsessionnelle de votre bibliographie au moindre texte imprimé, rédaction frénétique de “lettres motivant la demande” et de “notes détaillées sur le travail en cours”.
“À propos, tu écris toujours ?” Avec le temps et l’énergie engloutis dans cette toxicomanie, je n’en suis plus vraiment sûr !
(À suivre)
15:25 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (0)
18 mars 2005
Tu écris toujours ? (3)
Obstacles. La vie d’un auteur en est jalonnée. Publier un livre qui bénéficie d’une diffusion commerciale équivaut certes à franchir un des premiers, celui d’une petite existence. En effet, le jour où quelques curieux de votre entourage s’aperçoivent que l’on peut demander votre livre à la fnac où il est référencé, même s’il n’a fait qu’un passage éclair de trois petits mois en rayon, vous accédez à un début de reconnaissance : “ah oui, il écrit toujours ! La preuve, on peut acheter son bouquin à la fnac.”
Mais il n’y a pas de quoi pavoiser, surtout si vous tardez à réitérer ce modeste exploit. Quelques mois suffisent à vous effacer des mémoires, que ce soit celles des gens ou des ordinateurs. Certes, le titre de votre livre à diffusion commerciale et votre nom resteront-ils tapis dans un recoin de quelque disque dur mais qui appuiera sur le bouton pour accéder à cette passionnante information ? Parmi vos amis et connaissances, peu de monde, peut-être même personne. Mais alors qui ? Peut-être quelqu’un qui est payé pour cela.
Car il faut savoir que nous, auteurs balbutiants, débutants chétifs déboulant dans les marges du milieu littéraire provincial, sommes en mesure d’intéresser quelques bureaucrates. L’ironie du sort veut en effet que si nous ne nous montrons pas capables de gagner notre pain à la force de notre plume, nous développons en revanche un réel talent pour faire vivre quelques intermédiaires.
Le premier contact avec ses hommes et ses femmes de l’ombre ne s’établit jamais directement. Ce sont souvent les organismes pour lesquels ils travaillent qui, après une recherche assez simple, vous débusquent sur internet ou dans une revue et vous envoient du courrier. Oh, cette correspondance n’a rien de personnel. Elle prend généralement la forme d’espèces de bulletins d’information destinés à quelques professionnels du livre et donc, parfois, à quelques auteurs en mesure d’ attester que leurs livres peuvent se prévaloir d’une diffusion commerciale. Alors, dans votre belle solitude créatrice, un frémissement vous parcourt l’échine : “ça y est, on m’a vu. On m’a trouvé.” Un naufragé sur son radeau doit ressentir cela : “on va m’aider à m’en sortir !”
Effectivement, ces courriers, ces notes, vous informent sur des aides financières à la création littéraire (bourses, résidences). Bien sûr, vous en avez entendu parler, mais, du fond de votre isolement, une petite voix a toujours murmuré : “pourquoi toi ?” Et maintenant, à la suite de ces courriers officiels émanant d’organismes publics ou privés, cette même petite voix se fait plus claire, plus chantante : “et pourquoi pas toi ? Tu écris toujours après tout...”
(À suivre)
17:50 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (0)