15 avril 2005
Tu écris toujours ? (11)
Je n’ai pas participé à beaucoup de concours littéraires. Non par excès de lucidité ou d’amour-propre mais plutôt par manque de temps et par paresse. Pourquoi ? me rétorquerez-vous. Non ? Vous ne me rétorquerez rien ? Tant pis, je vous répondrai quand même. (Dans la vie, si on ne répondait qu’aux questions qu’on nous pose, - hormis “tu écris toujours ?” - on n’aurait pas souvent l’occasion de s’expliquer).
Deux joutes poétiques avaient titillé mes bas instincts de lucre et de gloriole : le Prix de Poésie de la Fondation de la Vocation décerné en présence de feu le patron de Publicis Marcel Bleustein-Blanchet, président de la fondation, et le Prix Roger Kowalski (du nom du poète) décerné par la Ville de Lyon. À cette époque, entre les années 80 et fin 90, ces prix étaient attribués sur manuscrit et leur dotation n’était pas négligeable : un peu plus de 3000 euros pour le Prix de Poésie de la Vocation et l’édition du recueil élu chez Cheyne éditeur pour le Kowalski, sans oublier, pour les deux, une forte réputation d’exigence littéraire du meilleur effet sur la carte de visite du lauréat. Je participai donc plusieurs années consécutives au Kowalski et une seule année aux Prix de la Vocation puisque j’étais à un an de la limite d’âge (fixée à 30 ans pour ce dernier). Eh oui, plus notre espérance de vie augmente, plus la limite d’âge vient vite à borner nos horizons. À ce TGV-là, nous autres humains finirons par être trop vieux pour naître, comme les Shadoks. O tempora ! O mores !
Après avoir envoyé à la Fondation de la Vocation une suite de proses poétiques (parues depuis sous le titre “L’inventaire des fétiches”, éditions Orage-Lagune-Express) , je reçus à quelques jours de la proclamation du prix une lettre marquée du trèfle à quatre feuilles, insigne de la noble maison. Le coeur ne battant pas plus vite que d’habitude car je ne m’illusionnais pas sur le succès de ma présomptueuse entreprise, je décachetai l’enveloppe qui me tomba des mains de stupéfaction à la lecture de la lettre : “Comme suite à votre candidature au Prix de Poésie 1988, j’ai le plaisir de vous annoncer que votre manuscrit a été sélectionné avec cinq autres pour l’attribution du prix. Nous vous en félicitons vivement car il y avait un très grand nombre de recueils de poèmes. Mais il va de soi qu’un seul candidat recevra ce prix le 9 juin prochain... Je vous propose donc de bien vouloir m’appeler le lundi 6 juin afin d’envisager votre présence à la remise du Prix de Poésie.”
J’exigeai sur le champ un jour de congé de la hiérarchie du quotidien régional mal nommé où se délitait ma vocation littéraire et je sautai dans ma Lada pourrie de ces temps héroïques. La machine consentit à me transporter d’Oyonnax jusqu’à la gare de Bourg-en-Bresse où j’arrivai juste à temps sur le quai désert pour voir s’éloigner mon très ponctuel TGV en direction de la capitale littéraire de la France. Par Jupiter ! Je me ruai de nouveau vers la malheureuse Lada à peine remise de l’expédition au pays des Ventres jaunes et lui commandai non sans une certaine brutalité qui eut pour effet de faire grincer l’embrayage et gémir les roues arrières motrices (comme dans un film d’espionnage des années 70 visualisé au ralenti) de me véhiculer aussi sec à la gare de Mâcon. Plus habitué des autorails du Haut-Bugey que des merveilles technologiques des grandes lignes, je caressais le fol espoir de rattraper ce maudit TGV qui soufflerait peut-être trois minutes à Mâcon. Bernique. Le prodigieux engin s’était déjà téléporté vers les cieux de moins en moins probables de ma gloire parisienne. A-t-on besoin de trains à trop grande vitesse qui partent à l’heure pour nous pourrir la vie ? Je vous le demande. Qu’à cela ne tienne, je fis rugir le moteur révolté de ma Lada pour retourner en vitesse à Bourg-en-Bresse où j’eus tout juste le temps de grimper dans un autre TGV en partance vers la ville-lumière. Je réalisai au passage que j’aurais prolongé la vie de ma voiture et gagné en sérénité si j’avais tout simplement attendu ce deuxième train sur place, mais l’émotion expliquait, à n’en point douter, ces petits contretemps.
Cette montgolfière émotionnelle se dégonfla comme une vieille baudruche sur la terrasse ensoleillée (avec vue sur l’Arc de Triomphe) où avait été dressé le buffet de réception du Prix de Poésie de la Vocation. Tout se passa très vite. Je vis d’abord la Rolls de Marcel qui se garait tout en souplesse en bas de l’immeuble, en double file, et le chauffeur qui patientait. À l’évidence, le fondateur de Publicis n’avait pas vocation à s’éterniser. Il distribua un sourire collectif, une poignée de main individuelle et un chèque à un dénommé André Cores tandis que la maigre assistance, s’étant répandue en applaudissements convenus et clairsemés, songeait sérieusement à rendre un hommage mérité... au buffet. Ne me séparant jamais, par réflexe professionnel, de mon petit Fujika autofocus toujours chargé, je craquai deux ou trois photos sous le regard blasé et un brin moqueur du romancier Didier Martin, membre du jury, je crois, dont l’oeil avisé avait sans doute repéré en mon insignifiante personne un candidat malchanceux qui tentait de cette manière, ne serait-ce que pour lui-même, d’adopter une contenance. La gêne confuse qui m’assaillait ne provenait pas de mon échec, à quelques cheveux près, au prix de la Vocation, mais plutôt de ma présence absurde à cette réception. J’étais en effet en train de m’apercevoir, entre deux coupes d’un champagne aux bulles un peu amères, que sur les cinq candidats sélectionnés, je n’en comptais que deux présents à la fête : le lauréat et moi-même. Quelle mystérieuse prescience avait dissuadé les trois autres de se déplacer ? Peut-être l’expérience, s’ils avaient tenté leur chance les années précédentes ? Ou avais-je fait les frais d’un défaut d’organisation ? Je ne le saurai jamais. Peut-être me reprochera-t-on de ne pas être très “sport” en regrettant de m’être coltiné plus de quatre heures de train pour applaudir un rival inconnu mais que voulez-vous, le billet aller/retour était à ma charge malgré “l’invitation” de la Fondation, ce qui hissait le cours de la cacahuète à celui du caviar. Fasciné par ma propre naïveté (à 29 ans tout de même), je trouvai la force de serrer la main d’André Cores et m’éclipsai en rasant les murs.
Mes pas me portèrent comme un automate vers la première cave à cigares où je dénichai les bagues dorées de mes bons vieux Por Larrañaga, histoire de me remettre la tête à l’endroit. Dans le TGV, en jetant un coup d’oeil à mes emplettes, je remarquai que le sac qui les contenait portait la marque du drugstore Publicis. Entretenant les feux de la Vocation, la puissante enseigne avait fait de l’oeil à un aspirant-poète jusque dans sa province endormie, l’avait attiré comme un papillon sous la lumière pour réussir en prime à lui fourguer des Havanes. Je rentrai chez moi sonné, non pas d’avoir trinqué en présence du grand Marcel mais les jambes sciées par l’entêtant cocktail “Vocation-Poésie-TGV” (à consommer avec beaucoup de modération).
Tout bon feuilleton doit un petit rebondissement à ses lecteurs. Dix ans plus tard, je reçus une autre lettre signée du poète François Montmaneix, secrétaire du Prix Roger Kowalski (Prix de poésie de la Ville de Lyon) : “Monsieur, vous nous avez adressé votre manuscrit “Aventures contemporaines” (ndla : devenu “Le Grand variable” publié chez Editinter en 2002) et nous vous en remercions... Sur les 128 ouvrages qui nous ont été adressés, nous tenons à vous faire savoir que votre recueil a été parmi les 7 manuscrits retenus pour la sélection finale lors de la délibération du jury qui s’est déroulée le 27 octobre 1999...”
Un poète de l’élégance de François Montmaneix ne pouvant être soupçonné de sadisme à l’encontre de ses cadets, j’ai tout lieu de penser qu’il crut m’être agréable en m’informant de cette sélection mais je dois l’avouer, je préférai cette fois-ci un bon cognac dans mon fauteuil au cocktail de réception du Kowalski. Allez, sans rancune ! Et à la santé du lauréat de l’année 1999, Marc Blanchet.
Le souvenir de ces futiles contrariétés m’inspire aujourd’hui une réflexion qu’un brin de maturité m’aurait permis de conduire en 1988, à l’époque de mon stupide déplacement à la Fondation Bleustein-Blanchet, réflexion qui tient en une question que nous, poètes, nous pouvons nous poser avec profit : sans bien sûr nous identifier à ces géants, imaginons-nous René Char, Henri Michaux, André Breton et bien d’autres, à leurs débuts, en train de concourir à un prix de poésie ? Vous voyez le tableau ?
(À suivre)
22:30 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (0)
11 avril 2005
Tu écris toujours ? (10)
Que ce feuilleton puisse être perçu comme un règlement de compte, j’en suis conscient, surtout lorsque j’évoque le principal problème de l’écrivain : la sélection. Être ou non sélectionné pour publier, pour obtenir une bourse, pour bénéficier d’un article dans la presse, voilà bien ce qui tarabuste l’écrivain inconnu du grand public. Évidemment, le râleur a le mauvais rôle. S’il critique l’emprise des gestionnaires sur les choix littéraires des grandes maisons d’édition, c’est parce qu’il a été refusé par leurs comités de lecture. S’il dénonce l’opacité, la cooptation et la désinvolture parfois pratiquées dans l’attribution des aides financières à la création, c’est parce qu’il n’a jamais obtenu un centime. Enfin, s’il déplore l’incurie des journalistes, c’est parce que ces derniers l’ignorent et qu’il le vaut bien ! Élémentaire, il ne reste plus qu’à coller l’étiquette : aigri, un aigri, vous dis-je ! Un plaignant. Un hypocondriaque de la plume (à tendance paranoïde !). C’est grave, docteur ?
Un peu court tout de même, surtout lorsqu’on peut constater que les éternels recalés de l’édition, de la subvention et de la presse ne sont pas les seuls à pointer les dérives.
Dans mon cas personnel, je n’ai pas trop à me plaindre. Certaines de mes oeuvres ont trouvé preneur et je ne collectionne pas les fonds de tiroirs. Sans être pléthorique, mon dossier de presse commence à s’étoffer. Les aides financières, voilà où le bât blesse, mais c’est un peu ma faute car je ne sais pas monter mes dossiers. En plus, je ne frappe pas aux bonnes portes. Ah ! Il me faudrait un agent, mais si ma plume me rapportait de quoi payer un agent, cela signifierait peut-être que je n’aurais pas besoin d’agent ? Hum... Bon, laissons tomber l’idée de l’agent pour le moment, ça m’embrouille.
Non, les écrivains qui rouspètent contre la condition marginale et subalterne que leur réserve cette société mercantile ne sont pas tous des ratés et des aigris. Ils sont un certain nombre à vouloir témoigner en toute simplicité de leur expérience pour tenter d’en finir avec cette mythologie de pacotille dans laquelle se drape souvent l’activité littéraire. Et pour ma part, je mesure la réussite de ce feuilleton aux rires et aux sourires qu’il peut, j’espère, susciter. Sans vouloir jouer les vieux sages (vieux sage sonne un peu trop comme vieux singe) j’arrive à un âge où l’on se déleste de l’esprit de sérieux (“toujours trop sérieux n’est pas très sérieux” disait le grand écrivain Amadou Hampâté Bâ) et je veux désormais pouvoir porter un regard amusé et amusant sur mes aventures, péripéties, bonheurs et déconvenues dans le monde de l’édition. Alors, si je me laisse aller de temps à autres à régler quelques comptes, disons que c’est parce que je me suis levé du pied gauche ou que c’est la faute à la lune rousse. De toute façon, on est toujours le méchant de quelqu’un, surtout lorsque, soucieux d’éviter les jérémiades, on préfère manier l’ironie. Je ne voudrais pas qu’on dise de moi ce que l’éditeur Guy Schoeller rapportait de Léo Malet - “un long gémissement” - dans les Carnet intimes de l’édition française (éditions La Désinvolture/Quai Voltaire, 1989) où il enfonce le clou un peu plus loin : “... Il m’emmerdait tellement que je l’ai ramené à pinces des Halles à l’Arc de Triomphe...”. Il est vrai que Léo Malet se lamentait sur le succès tardif de Nestor Burma : “Maintenant, c’est trop tard !” se désolait-il. Le pire, c’est que de telles plaintes ont tendance à amuser la galerie. Alors me dis-je, autant rire le premier, non seulement de mes fâcheux mais encore de moi-même et de mes déboires éditoriaux, ce qui constitue un excellent remède contre la constitution paranoïaque de l’écrivain. Et d’ailleurs, j’en terminerai ce soir en le clamant haut et fort : contrairement à ce que tout le monde a l’air de murmurer dans mon dos, je ne suis pas paranoïaque !
(À suivre)
23:00 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (0)
09 avril 2005
Tu écris toujours ? (9)
Internet ? L’ami avec qui je discute fait la grimace : “on y trouve tout et n’importe quoi.” Et d’ajouter : “n’importe qui peut s’y autoproclamer philosophe, spécialiste de la pêche à la mouche, artiste et, évidemment, écrivain.” Sous-entendu : “alors, toi qui écris toujours, tu t’épanches sur la toile maintenant ? Tsst, tsst...”
Eh bien oui, on trouve de tout sur la toile et, d’un point de vue littéraire, tout et n’importe quoi... Comme dans une librairie finalement. On y découvre même de bons écrivains et de bons poètes. Par exemple, c’est sur le net que j’ai eu la joie de découvrir Emmanuel Hiriart. Parmi ces auteurs talentueux, beaucoup seraient invisibles sans le web puisque l’industrie du livre les ignore. Cette visibilité qu’offre le net reste en travers de la gorge de tous les petits censeurs. Ils sont légion et ont chacun leurs motivations personnelles. Avant l’ouverture au grand public de ce fabuleux espace de communication, j’étais, moi, plumitif obscur, à la merci de n’importe quel localier de la dernière des feuilles de choux. Entre l’assemblée générale du ballon et la collision au carrefour, le moindre encarté à l’Amicale des journalistes comme le pigiste le plus en délicatesse avec l’accord des participes pouvaient me refuser sans appel dix lignes d’annonce de mon nouveau bouquin et cela sans avoir à en référer à une quelconque autorité hiérarchique. (Je reviendrai en détail, dans ce feuilleton, sur les moeurs de la presse et sur son incroyable mépris pour la création littéraire). Que pèsent aujourd’hui ces dix lignes (souvent dénaturées d’un mastic ou d’une coquille quand on a bien voulu vous les concéder) face à la puissance et à la réactivité du web ? Moins que rien. La preuve, pendant que mon copain d’école lecteur de la presse locale me demande si j’écris toujours, je reçois des courriers d’amis lointains et de personnes inconnues habitant des régions et des pays où je n’ai jamais mis les pieds mais qui savent exactement quand est sorti mon dernier bouquin, où se le procurer et combien il coûte, avec, bien sûr, la possibilité pour eux d’en lire un extrait à trois heure du matin si ça leur chante. Alors, faire partie de ce grand “n’importe quoi” ne me tourmente guère. J’en suis même très heureux et, pour une fois reconnaissant à une technologie qui vient au secours d’une des activités les plus rustiques de l’homme : l’expression, avec son corollaire, la contradiction.
Sur internet, celle-ci n’est pas toujours servie sur un plateau d’argent. Très proche et très lointain, inaccessible mais immédiatement réactif, le contradicteur ne s’embarrasse pas forcément de politesse voire de simple courtoisie. Il peut livrer sa désapprobation ou sa colère dans l’instant, sans tourner sept fois sa langue dans sa bouche, au risque de se faire coller une plainte pour injures ou menaces par quelqu’un qui aurait l’idée d’occuper ainsi ses loisirs. Bien que je ne m’exprime pas depuis longtemps sur la toile, je m’y suis déjà fait copieusement insulter par des gens que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam, la plupart du temps par des écrivassiers ne jurant que par la liberté d’expression tout en regrettant de ne pas en être les seuls bénéficiaires. Ils font partie du bataillon des petits censeurs que j’évoquais plus haut.
Dernièrement, l’un d’eux, grâce aux moteurs de recherche, a exhumé une de mes vieilles notes de lecture, certes un peu vache, à propos d’un livre qui ne m’avait pas plu. Aucune réaction de l’auteur du livre (j’aurais adopté la même attitude à sa place) mais un gros caca nerveux de son lecteur ulcéré par cette fameuse note qui m’a menacé par blog interposé de je ne sais quelle vengeance en me traitant au passage de “chétif salopard”. Cet imprudent ignore que je pèse quatre-vingt-six kilos tout nu. Alors, “salopard”, peut-être, mais “chétif” non !
(À suivre)
23:05 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (0)