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07 janvier 2006

Revue de p(a)resse

Puisque le commentaire est roi et que chacun y va de sa revue de presse (à quand la revue des revues de presse ?) j’ai bien envie moi aussi de m’y essayer cinq minutes même si ce qui me parvient aux yeux et aux oreilles dans ce genre d’exercice ne me convainc pas tellement, surtout dans les grands médias qui nous les calibrent avec une telle application qu’on les croirait pondues par les stagiaires à la soucieuse application des écoles de journalisme. Ces bouquets de conformisme sont souvent jetés aux orties dans l’autre presse “sans Gutenberg” pour paraphraser le titre du livre de Jean-François Fogel et Bruno Patino (1), notamment dans les blogs comme le savoureux Coq à l’âne d’Elizabeth Flory ou encore, dans les petites revues littéraires, avec la consistante “revue de paresse” de Christian Degoutte dans Verso (2).
Je préfère en avertir tout de suite les lecteurs, la mienne sera moins riche et moins bonne car entre le moment où j’ai voulu m’amuser à ce petit jeu et l’instant où j’écris le mot “instant”, je n’ai déjà plus envie de continuer. Tel est mon drame avec la p(a)resse.
Commençons par le Monde (honneur aux anciens) ce quotidien du soir que mon faible intérêt pour l’actualité, “l’ennemi le mieux masqué du poète” disait René Char, a transformé en un hebdomadaire du matin puisque je ne l’achète que le vendredi pour le supplément consacré aux livres après m’être assuré que la voie est libre, c’est-à-dire quand le camarade aux “tu écris toujours ?” ne rôde pas dans les parages.
D’ordinaire peu sensible à l’image, j’ai été frappé par deux dessins qui valent tous les commentaires et toutes les analyses dans l’édition datée du 6 janvier 2006. Le premier signé Serguei (de la dynamite), page Politique & Société, concerne l’affaire du train Nice-Lyon, le fait-divers de trop, et résume cruellement l’inacceptable vulnérabilité qui relègue au rang de moutons des voyageurs ainsi croqués (si j’ose dire) en troupeaux et voyant monter dans leurs wagons une horde de loups ou de chiens enragés. L’un d’eux lève la patte sur la chaussure de l’agent de quai en uniforme.
Le second dessin, moins dangereux pour nos élus, intitulé Vœux 2006 et signé François Olislaeger, dit tout de notre époque avec ce kiosque à journaux vomissant d’un côté des flots de “unes” alarmistes dans les poches de pardessus de passants grisâtres tandis que de l’autre côté, un homme en tenue de printemps, ignorant ce déferlement d’encre noire, sourit au passage d’une jeune femme à la jupe fleurie. Dans son poème “Sur la route de San Romano” dans Signe ascendant, André Breton écrivait en son temps qui ressemblait d’ailleurs furieusement au nôtre :
“L’acte d’amour et l’acte de poésie
Sont incompatibles
Avec la lecture du journal à haute voix”.

GUEULES D’ATMOSPHÈRE

Pour la suite de cette revue de presse improvisée, mon esprit mal tourné ne peux s’empêcher de comparer la quatrième de couverture du Monde des livres avec la couverture du mensuel de critique littéraire Le Matricule des anges, affichant toutes deux l’écrivain Paul Nizon en pleine bouderie inspirée. À chacun ses petites manies, après tout. Certains écrivains posent avec leur chat, d’autres avec leur cochon d’Inde, d’autres cigare au bec, d’autres derrière leur bureau pas rangé, d’autres devant un rayon Pléiade, d’autres assis sur une poubelle et que sais-je encore, alors pourquoi pas avec une tête de six pieds de long ? Il en est même qui ne posent pas et ce n’est pas le cas de Paul Nizon qui a visiblement pris soin d’adapter son rictus au style de chaque publication. Pour Le Monde des livres, il tire certes la gueule mais dans un décor chic avec sofa, fauteuil, tentures et parquet, luxe artistement défraîchi en somme, façon boudoir dirons-nous. On se fait tirer le portrait pour Le Monde, tout de même.
Changement d’atmosphère au Matricule. Paul Nizon a carrément gardé le chapeau et ses yeux brillent comme dans l’Exorciste ! La nuit dernière, je me suis levé pour... enfin bref... et j’ai sursauté dans le rayon de lune qui faisait étinceler le regard diabolique de Paul Nizon sur ma table de nuit. Aaaah ! Quelle frayeur ! (Toujours penser à retourner les couvertures du Matricule des anges avec leurs affreux portraits, surtout quant on arrive à l’âge des coups au cœur). Déjà que Raymond Federman, en couverture du numéro de novembre-décembre, m’avait coupé mes effets dans des circonstances nocturnes identiques et que j’avais pris voici quelques temps Pierre Autin-Grenier pour un méchant alors qu’il est charmant.
“En général, même les plus joviaux des écrivains font la gueule dans les pages de ce magazine... Ils doivent les frapper avant de prendre les photos” commentait sur ce blog le 27 septembre dernier mon ami Roland Fuentès avec son légendaire flegme britannique. Dans cette livraison de janvier 2006 du Matricule, on se demande si ce n’est pas l’inverse qui se produit, à savoir le modèle qui terrorise le photographe... En tous cas, c’est toute la galerie de portraits de Paul Nizon qui est horrifique dans ce dossier, genre inspecteur Gadget rehaussé de Famille Adams avec une variante saurienne page 18 où il est question de vol d’épervier alors que la photo donne plutôt dans le style œil de crocodile obligé de faire surface après trois mois de jeûne. Ah, c’est sûr qu’en leur faisant de pareilles bobines, le photographe ne risque pas de nous les faire oublier ces écrivains. Là réside peut-être la suprême astuce promotionnelle : en rajouter dans la grimace pour bien se rappeler au souvenir des lecteurs !
Mais le moment (de l’apéritif) est venu de conclure cette revue de presse par notre nouveau jeu où l’on ne gagne rien. Voici la question mesdames et messieurs : combien de fois l’insupportable adjectif “jubilatoire” a-t-il été répété en 2005 dans Télérama ?
(1) : Une Presse sans Gutenberg, éditions Grasset.
(2) : Verso, Le Genetay, 69480 Lucenay.

04 janvier 2006

Mon meilleur voeu

Je trouvai un jour ce petit mot griffonné sur un bout de papier fixé à la porte :
“je suis au jardin.”
Ce message familier résonna aussitôt en moi comme une formule magique tenant à la fois du mot de passe et du billet d’absence.
“Je suis au jardin” contient toute la disponibilité qu’on puisse s’accorder à soi-même. J’aurais voulu pouvoir écrire sur le tableau du maître d’école :
“je suis au jardin.”
Et aujourd’hui encore, aujourd’hui plus que jamais, j’aimerais voir écrit en gros sur les murs de la ville, dans les langues les plus variées et les plus exotiques, à l’intention de tous ceux qui veulent transformer le monde en usine ou en caserne :
“nous sommes au jardin”, “nous appartenons au jardin et vous ne nous aurez jamais.”

- Le Grand variable (extrait), éditions Editinter -

01 janvier 2006

Bazar des Hirondelles, la nuit

Rien d’autre que mon jeune âge ne m’attache au Bazar des Hirondelles si ce n’est le carillon chinois qui tinte à chaque mouvement de la porte d’entrée. Dois-je entre parenthèses préciser que je considère à priori toute porte d’entrée comme une porte de sortie ?
Je revois encore cette ville brumeuse de province dotée d’un vieux quartier aux pavés luisants. Rien n’y est vraiment typique. Un fleuve la traverse sans doute. Peut-être même deux.
En cette nuit de la Saint-Sylvestre, j’ai décidé d’aller assister à un opéra de poche. Sur le chemin, s’ouvre à moi le Bazar des Hirondelles où, la veille, j’ai acheté un orgue à bouche. Fier de ma trouvaille, je l’emporte avec moi au seuil du théâtre aux portes fermées. Il est trop tard et je ne peux pas rentrer. Je longe la rue aux pavés moites et je marche encore et encore, bien au chaud dans mon manteau.
En finirons-nous donc un jour avec ces villes sans âme où meurent les théâtres derrière les portes closes ? J’entre dans un bar-restaurant surchauffé où les seaux à champagne s’emplissent de langues de belles-mères.
Ah oui, c’est la nuit de la Saint-Sylvestre...

- Le Grand variable (extrait). Éditions Editinter -