20 mars 2021
Vision fugitive
J’ai essayé bon nombre d’hôtels mais je descends régulièrement à la Casa de Sao Mamede, Rua da Escola Politecnica. C’est tout près du Principe Real où je lève les yeux vers les fenêtres de l’appartement de Jenkins acheté, dit-on, par un footballeur. Une même journée de septembre, après avoir flâné toute la matinée loin de l’hôtel, du côté du Campo de Ourique, je vécus un moment étrange. Ce fut en fin d’après-midi. J’étais retourné au Miraduro São Pedro de Alcântara en montant dans l’elevador da Glória. J’avais repris le même engin pour descendre à la Praça dos Restauradores. Je me laissais bercer par les vibrations des roues sur les rails lorsque la lente descente fit passer devant mes yeux une fresque murale d’art des rues aux couleurs criardes qui représentait un visage de femme. Les contours étaient assez maladroitement esquissés mais le regard d’une intensité d’autant plus saisissante que la vitre du véhicule le cadrait comme par un effet de zoom. Si je ne craignais pas qu’on mît ma raison en doute, je pourrais jurer que ce regard était celui de Marina, sombre et lourd de reproches. Il me semblait entendre sa voix chargée d’une colère froide, éternelle comme celle d'un spectre.
(Extrait d'un roman en cours.)
Photo Christian Cottet-Emard
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15 mars 2021
Lisbonne en octobre
Puisque vous avez du temps, venez donc me voir à Lisbonne, cela me ferait plaisir. Nous parlerons. Je me demandais bien de quoi nous pourrions parler mais j’acceptai l’invitation. Jenkins voulait m’héberger mais j’ai toujours préféré l’hôtel où je me sens plus à l’aise. Ayant déjà séjourné à Lisbonne lors d’une ancienne escapade dans cet établissement, je réservai une chambre au VIP Executive Éden, un ancien théâtre aménagé en hôtel, place des Restauradores non loin de la place du Rossio. À l’étranger, j’aime loger dans des hôtels pas forcément somptueux mais confortables et anonymes où l’on parle français et où l’on sert des petits déjeuners copieux et standards. En voyage, je ne cherche pas le contact avec les gens du pays que je visite, ce qui ne m’empêche pas d’apprécier la gentillesse et la courtoisie qu’on trouve beaucoup plus à l’étranger qu’en France. Jenkins me taquinait parfois sur ce sujet et concluait invariablement : décidément, vous me faîtes penser à moi quand j’étais jeune !
J’arrivai à Lisbonne un jour doux et gris de début octobre. J'avais une journée d’avance sur le rendez-vous avec Jenkins. Jamais je ne m’étais senti si libre et détendu. Pendant que je flânais l’après-midi vers le Tage entre le quai des Colonnes et le Rossio après un détour dans le Chiado, le temps se leva un peu. Aux terrasses des bars les plus modestes, des routards se faisaient servir un bol de soupe maison, un sandwich et une Sagres ou une Super Bock pour quelques euros. Le soir, je longeai les enfilades des terrasses à touristes où les serveurs vous alpaguent et tournai à l’angle de la petite rue où je me souvenais du restaurant Bonjardim avec son poulet frites et sa morue grillée. Je choisis la morue grillée avec ses pommes de terre vapeur et une bouteille de vin blanc que je laissai au choix du serveur, un monsieur assez âgé d’apparence bourrue qui ressemblait au chef d’orchestre Lorin Maazel mais qui me gratifia d’une petite tape cordiale sur l’épaule quand j’eus ajouté un pourboire conséquent à l’addition. Le lendemain, plutôt que de me faire servir le petit déjeuner à l’hôtel, l’envie me prit de me mêler tout de suite à l’animation quotidienne de la matinée encore grise mais pleine d’entrain. Je pris un grand plaisir à descendre directement sur la place que je traversai avant d’entrer dans un petit bar dont la vitrine était remplie d’étroites bouteilles de Ginja avec leurs étiquettes ornées de cerises. J’accompagnai mon café au lait de brioches et de croissants fourrés à la confiture puis je sortis fumer un petit Partagas Club qui me restait d’une boîte offerte par Jenkins. J’avais rendez-vous chez lui à midi, ce qui me donnait largement le temps de rejoindre à pied les grands cèdres du parc du Principe Real. Puisque j’étais très en avance, j’y trouvai un banc libre où je pus observer à loisir les clients d’une petite librairie ambulante aménagée dans une Estafette Renault bleue et blanche stationnée dans la rue. On y trouvait des livres et plaquettes d’auteurs portugais, certains traduits en anglais et en français.
(Extrait d'un roman en cours.)
Photo Christian Cottet-Emard
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13 janvier 2019
Ce qui reste de l’âme de Marius le Bernois
(Extrait d'un roman en cours, terminé dans son premier jet mais qui me pose de nombreux problèmes techniques)
Aux premiers soirs d'avril, la lune commence à reprendre ses aises dans le ciel lavé par les grandes bourrasques. L'enseigne de vaisseau Mhorn venait de monter de justesse dans l'autorail. L'engin avait ronronné jusqu'à la petite gare de Ceyzériat où il avait marqué un bref arrêt. Il lui fallait maintenant grimper à flanc de montagne, ce qui faisait parfois rugir son moteur lorsqu'il affrontait une pente particulièrement raide. Une suite de tunnels plongeaient les rares voyageurs dans l'obscurité bruyante de la machine. À quelques mètres de lui, une jeune fille lisait. Mhorn se cala dans son siège et somnola.
Il allait s'endormir pour de bon mais une grosse main s'abattit sur son épaule. Le Bernois. Marius le Bernois. Allez, l’enseigne, fais-moi donc un peu de place lança-t-il d'une voix sonore en soulevant le caban que Mhorn avait déposé sur le siège en face du sien. Puis plus bas en soupesant le vêtement : dis-donc, je vois que tu trimballes toujours ton artillerie. Tu vas finir par avoir des ennuis. Mhorn reprit son caban et le posa sur ses genoux. Dans la grande poche intérieure, saillait la crosse du Makarov. Le Bernois plia péniblement son corps massif et s'installa. Ses petits yeux nerveux roulaient en tous sens comme sous l’effet d’une menace mais une expression rieuse masquait vite toute forme de réelle inquiétude chez cet homme aux manières joviales. À part ça, qu'est-ce qui t'amène dans cette fichue bétaillère ? Mhorn esquissa une sourire. Lui et le Bernois avaient le même âge. Ils ne savaient plus depuis combien d'années ils se connaissaient. Ils avaient tous deux parcouru le monde dans leur jeunesse et chacun en avait tiré ses conclusions : dangereux et parfois plaisant pour Mhorn, assez vaste pour qu'on y déniche toujours une bonne affaire selon le Bernois.
Tu prends les transports en commun maintenant ? s'étonna Mhorn. Le Bernois hocha la tête d'un air finaud. Penses-tu. J'ai laissé le fourgon à Oyonnax. Je ne voulais pas descendre avec pour quelques paperasses à gratter en préfecture. Et après ? hasarda Mhorn. Le Bernois haussa les épaules. Après, je rentre à la boutique. Toujours ton bazar dans le Midi ? Non, non. Mon magasin à Berne. Des vieux trucs. Un peu de tout. Mhorn eut un sourire entendu. Le Bernois ne changeait pas. À l'entendre, il ne faisait rien et gagnait une misère. Je ne fais presque rien et je gagne une misère, se lamenta le Bernois. Mhorn partit d'un gros rire. La jeune fille releva la tête. Bon, ça va, s'irrita le Bernois. D'accord, je me débrouille. Mhorn n'insista pas.
Le paysage crépusculaire défilait, troublé par la crasse des vitres. D'un côté, des épicéas en rangs serrés, agrippés à la montagne. De l'autre, un à-pic vertigineux et tout au fond, la courbe moirée de la rivière et une usine électrique. Le Bernois retrouva le sourire. D'un geste de magicien, il fit apparaître une fiasque de voyage gainée de cuir. Il dévissa le bouchon, le remplit et le tendit à Mhorn qui flaira, goûta puis approuva d'un haussement de sourcils. Le Bernois opina du chef. Une distillerie des Orcades. Le douze ans à l'apéritif, le dix-huit au dessert et le vingt-deux de temps en temps, claironna-t-il en servant une nouvelle tournée.
La jeune fille jeta un regard amusé aux deux compères et reprit sa lecture. Le dernier reflet du crépuscule passa dans ses cheveux. Elle ne broncha pas quand l'autorail s'arrêta dans une minuscule gare dont la pendule avait perdu ses aiguilles. Elle ne bougea pas plus lorsque, à la fermeture des portes, deux types investirent bruyamment la rame. Après une rapide inspection des sièges vides et un regard sur Mhorn et le Bernois en train de trinquer, ils s'installèrent en mimant un salut caricatural, l'un à côté de la jeune fille, l'autre juste en face d’elle. Ce dernier, qui portait un anneau à l'oreille, baissa le livre que la jeune fille avait rapproché de son visage. Il émit un sifflement admiratif aussitôt relayé par les provocations salaces de son complice. La jeune fille tenta de changer de place. Le voyou à l'oreille percée saisit le livre et le jeta au sol.
Le Bernois vissa posément le bouchon de la fiasque, la remit dans sa poche et lança un clin d'œil à Mhorn qui acquiesça d'un hochement de tête. Il se leva et se planta devant les deux agresseurs. Mon ami ne vous trouve pas très galants, leur signifia-t-il. Les deux voyous se regardèrent et éclatèrent de rire. Tu as vu ça ? Le pépé nous trouve mal élevés. Mais peut-être que le pépé n'a plus sa tête ou qu'il a trop bu ? Mhorn observait tranquillement la scène. Le Bernois sourit et continua son cinéma. Mon petit gars, tu n’as pas grand-chose pour toi mais cela ne t'enlève pas un certain sens de l'observation. Je n'ai effectivement pas toute ma tête et cela s'aggrave lorsque j'ai bu. Le type à l'oreille percée posa une main sur l'épaule du Bernois. Bon, écoute pépé, tu vas retourner papoter avec ton copain et nous laisser finir avec mademoiselle. Tout ça n'est plus de ton âge, ajouta-t-il avant de pousser un hurlement. Le Bernois venait de saisir l'anneau et avait tiré d'un coup sec. Le voyou avait l'oreille en sang. Son complice, un instant pétrifié, se leva pour intervenir mais Mhorn le stoppa en lui appuyant le canon du Makarov sous le menton.
L'intérieur de l'autorail baignait maintenant dans l'éclairage glauque du plafonnier. La machine ralentissait et donnait des secousses. Elle s'immobilisa pour un bref arrêt en rase campagne. Mhorn pointa le Makarov en direction de l'homme qui saignait toujours abondamment. Descends. Descends, je te dis, ce sera plus pratique maintenant qu’on est à l’arrêt que tout à l’heure quand ça roulera... L'autre esquissa un geste pour le suivre. Non. Toi, tu restes. L'autorail repartit. On n'entendait plus rien d'autre que le grondement de son moteur. L'engin ralentit bientôt à l'approche du terminus. Pas tout à fait rassurée, la jeune fille fixait l'arme avec stupéfaction. Ne craigniez rien Mademoiselle, nous arrivons. Elle bredouilla un faible merci, descendit en hâte dans la clarté jaunâtre du quai et disparut dans la nuit.
Qu'est-ce qu'on fait de lui ? demanda le Bernois en désignant l'homme qui restait sous la menace du Makarov Si on le liquidait ? ajouta-t-il en le poussant violemment sur le quai. Mhorn lui enfonça le canon dans le dos. Avance. Au-delà de la sortie par le hall qui tenait lieu de salle d'attente, l'éclairage de la petite gare ne semblait plus qu'un coin de buvard en passe d'absorber toute l'encre de la nuit. Quelques voyageurs descendus de l'autre rame s'engouffrèrent dans les rues désertes. Mhorn et le Bernois dirigèrent leur prisonnier vers un passage ténébreux entre deux murs aveugles. Tout au bout, une lueur blafarde indiquait la sortie. Tiens-moi ça, dit Mhorn en confiant le Makarov au Bernois. Pendant qu'on entendait Mhorn uriner dans un recoin où il avait disparu, le prisonnier envoya un regard affolé au Bernois. Ton copain avait raison, ironisa le Bernois, on a trop bu. À ta place, je partirais en courant. Tu vois cette petite lumière là-bas... Avec un peu de chance... Incrédule, le voyou oscillait du regard entre le Makarov et la ruelle. Le Bernois soupesa l'arme. Mon copain va revenir et lui, il sait s'en servir. Un conseil, cours. Le voyou détala. Le Bernois le laissa courir quelques secondes. Mhorn remontait sa braguette quand il entendit quatre détonations. Il se précipita en jurant vers le Bernois puis avisa la masse sombre qui gisait au milieu du passage. Bon sang, mais qu'est-ce qui t'a pris ?
Un son bizarre les sortit de leur stupeur. Ils s'approchèrent du corps. Prostré, le voyou sanglotait. Mhorn l'examina à la recherche d'une éventuelle blessure. Son pantalon était trempé. Il n'a rien. Ben c'est normal, grommela le Bernois puisque j’ai tiré en l’air... Filons, dit Mhorn, nous avons dû ameuter tout le quartier. Le Bernois lorgna le voyou. Encore à terre, il essayait de reprendre ses esprits. Le Bernois fut tenté de le frapper mais il y renonça pour ne pas déplaire à Mhorn qui n’avait pas l’air content. Donne-moi ça, grommela-t-il en désignant le Makarov. Oh ça va, la voilà ton antiquité, s’énerva le Bernois. Au fait, tu te débrouilles comment pour te procurer encore des munitions pour ce machin ? Mhorn boutonna soigneusement son caban après avoir empoché l’arme. J’en ai pour le restant de mes jours et des tiens réunis, si tu veux savoir. Et en plus, je ne m’amuse pas à tirer à tort et à travers comme certains... Le Bernois préféra ne pas relever et ils marchèrent un long moment, côte à côte, en silence.
Allez, c’est trop bête, dit Mhorn, après tout, il l’a bien cherché ce salopard. Pour sûr, ajouta le Bernois ragaillardi. Et si on allait fêter ça ? Je veux dire nos retrouvailles ? C’est bien le diable si on ne trouve pas quelque chose d’ouvert. Mhorn s’arrêta de marcher et regarda sa montre. À cette heure ? Essayons vers le cinéma, il y a peut-être une cantine qui sert encore. Le Bernois approuva et tendit sa fiasque à Mhorn. Tiens, prends donc un acompte mais laisse-m’en une goutte car on se les caille dans ce bled. Regarde, voilà mon camion. À côté, il y a un bar qui ferme assez tard d’habitude. Ils entrèrent et s’attablèrent mais le serveur qui devait être aussi le patron les informa qu’il n’avait plus personne en cuisine. Une assiette anglaise, c’est tout ce que je peux vous proposer à cette heure-là, Messieurs. Vendu ! s’écria le Bernois et ne lésine pas sur la cochonnaille, hein chef ? Et on a besoin d’une bouteille pour patienter ! Deux heures après, le serveur débarrassa une deuxième bouteille de vin et un flacon de Cognac. Il empocha les billets qui traînaient sur les assiettes vides et regarda avec soulagement les deux hommes franchir d’un pas mal assuré le seuil éclairé au néon de son établissement. Avant de descendre les grilles, il entendit encore quelques exclamations et quelques éclats de rire, puis il y eut un tintamarre de poubelles renversées. Après avoir éteint, il monta à l’étage supérieur en maudissant le destin qui l’avait fait échouer dans ce bar et dans cette ville.
Lorsque Mhorn se réveilla endolori dans la pénombre, il se souvint qu’il avait loué une chambre à l’hôtel mais à l’évidence, il ne s’y trouvait pas. Peu à peu, il distingua une banquette sur laquelle ronflait le Bernois. Il entendit le tic-tac d’un réveil et le localisa dans un fouillis d’objets de brocante. En se levant de la chaise où il s’était endormi, il trébucha sur quelque chose qui alla rouler sous la petite table de camping dans un bruit de métal. En face de lui, il identifia une étoffe qui évoquait des rideaux. Il les écarta et le lampadaire du grand parking envoya sa lumière orange dans le fourgon, éclairant par la même occasion le cadran du réveil dont les aiguilles indiquaient deux heures. Engourdi, Mhorn secoua le Bernois qui poussa un juron. Tu crois que je vais passer la nuit dans ton frigo ? Le Bernois le regarda hébété et fit mine de se rendormir. Allez, lève-toi, ou je te préviens que je te laisse geler ici. Moi, j’ai un lit qui m’attend à l’hôtel. Allez, debout ! Le Bernois obtempéra et s’écria : debout les morts ! Ils sortirent comme ils purent du fourgon et Mhorn dut attendre que le Bernois parvienne à extirper la clef de sa poche. Voilà, Monseigneur, la voilà votre clef, marmonna-t-il. Mais comme il ne réussissait pas à l’introduire dans la serrure, Mhorn saisit rudement le trousseau et se chargea de verrouiller toutes les portières. Mhorn respira avidement l’air froid et poussa le Bernois devant lui. L’hôtel est en face. Juste le parking et une rue à traverser. Allez, marche ! Le Bernois s’exécuta et gueula : en avant ! Marche !
Après deux petites heures d’un sommeil de plomb, Mhorn fut réveillé par la soif et la contrariété. Quand par extraordinaire il partageait son lit, c'était avec une femme et ce n'était pas pour dormir. Il alla boire à même le robinet du lavabo et revint s’allonger. Le Bernois se retourna, grogna comme un sanglier, se découvrit d’un geste brusque et sembla sombrer dans un sommeil encore plus profond, étendu sur le dos, la bouche ouverte et le visage tout gris. Dans la pénombre, Mhorn observa le Bernois qui dormait en caleçon. Ce corps pâle et massif tout en affaissements et en replis piquetés de poils rares et drus, cette peau grumeleuse, ces varices, ces pieds cendreux et cornés, ces ongles épais et jaunâtres, voilà ce qui enveloppait désormais l’âme de son camarade de jeunesse. Mhorn détourna les yeux du côté de la fenêtre et sursauta.
Une silhouette s’avançait vers lui, un visage sortait de l’ombre. Je me suis endormi et je suis déjà en train de rêver se dit Mhorn en reconnaissant son visiteur qui n’était autre que le Bernois, non pas le Bernois allongé à côté de lui mais le jeune le Bernois, le jeune homme avec qui il s’était lié d’amitié il y avait si longtemps. Marius ! s’exclama Mhorn en se redressant. Marius ! Le jeune homme s’assit sur le lit et fixa Mhorn dans les yeux. Le seul Marius que tu connais est allongé ici. Il est aux portes de la mort et si je t’apparais sous les traits de qui il fut, c’est pour ne point t’effrayer. Ne te préoccupe pas de savoir qui je suis, dis-moi seulement une chose : crois-tu que ton ami Marius le Bernois aurait pu frapper le jeune voyou à terre ? Mhorn n’arrivait pas à ouvrir la bouche. Après quelques instants qui lui semblèrent une éternité, il parvint à bredouiller : non, bien sûr, non. Je veux dire... Il ne l’aurait jamais fait. Tu mens mal mais ton ami peut te remercier de cette réponse. Pour ce qui reste de son âme, son heure viendra une autre fois.
La matinée était déjà bien entamée lorsque Mhorn et le Bernois descendirent prendre le petit déjeuner. Comment te sens-tu ? demanda Mhorn. Le Bernois leva la tête de sa tasse de café et écarquilla les yeux. En voilà une question ! C’est bien la première fois que tu m’en poses une pareille depuis qu’on se connaît...
© Club, 20018
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