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26 décembre 2006

Carnet vénitien

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Je vais encore m'attirer des ennemis parmi les connaisseurs. Mais c'est chez moi une seconde nature et, il me faut l'avouer, un plaisir délicat.
Eh bien oui, dans la débauche des palais qui, au temps de leur splendeur, se disputèrent le luxe et la hauteur le long du grand canal, deux ont ma préférence : l'Aldramin et le Venier dei Leoni. (J'entends déjà grincer quelques dentiers).
Ma première visite au palazzo Venier dei Leoni qui abrite depuis 1949 au 701 Dorsoduro la collection de Peggy Guggenheim, fut dédiée, n'en déplaise aux empêcheurs d'admirer en rond, au peintre Giorgio de Chirico. Mon cœur battait un peu plus vite en franchissant le délirant portail d'entrée signé en 1961 par Claire Falkenstein car j'allais m'approcher "pour de vrai" de trois tableaux où quelques-uns de mes songes d'adolescent les plus tenaces ont élu domicile depuis ma rencontre avec l'oeuvre de Chirico : "Le rêve du poète" nommé aussi “La nostalgie du poète” sur certaines reproductions (huile et fusain sur toile, 89,5 x 40,5 cm), "La tour rouge" (huile sur toile, 73,5 x 100,5 cm) et "L'après-midi délicat" (huile sur toile, 65 x 58 cm).
Ce que quelqu'un ressent devant un tableau reste un secret. Je ne parle pas des études critiques très pertinentes et très sérieuses qui sont publiées ici et là mais de cet instant qui naît, qui s'évanouit ou qui se perpétue par la seule grâce de la rencontre entre la toile et le regard. Cet instant est pour moi "l'or du temps” (“Je cherche l’or du temps”, écrivait André Breton) et j'en dois bien quelques pépites à ce palais inachevé que les vénitiens appellent "il palazzo non compiuto". Ces connaisseurs, dont je me plais ici à défier le bon goût, estiment que l'inachèvement des travaux du palais Venier (commencé en 1749) est une chance si l'on se réfère à l'unique réalisation vénitienne de son architecte, Lorenzo Boschetti, l'église San Barnaba à la façade jugée "lourdement classique". Querelles de puristes, sans doute les mêmes qui se considèrent comme suffisamment compétents pour décider à votre place de ce que vous devez admirer ou dédaigner...
"Et en plus vous aimez Chirico !" Certes, et je me souviens non sans délectation d'une interview retransmise à la télévision dans le cadre d'un programme intitulé "Archives du vingtième siècle". Le vieux peintre, un rien distant et pince-sans-rire, s'ingéniait avec malice à répondre à côté des questions qui tombaient en rafales pour tenter de pallier son laconisme. De temps en temps, son regard ébauchait un sourire à la fois confus et goguenard qui cherchait à se dérober au malaise mêlé d'enfantine vanité que suscitent presque toujours caméras et projecteurs. Peut-on sérieusement penser que de tels appareillages puissent prétendre débusquer, dans leur aveuglante lumière, l'obscurité du geste créateur ? En revanche, plus que la qualité et la précision des questions, plus que l'image du peintre sur le qui-vive, c'était bien le décalage entre lui et son interlocuteur qui révélait en filigrane l'intérêt du documentaire : les tentatives de fuite de l'artiste.
Et le mystérieux palazzo Aldramin dans tout cela ? Le plan de Venise le plus précis ne vous sera d'aucun secours pour le trouver. Ouvrez plutôt "La vie vénitienne" du cher vieil Henri de Régnier (Mercure de France) qui avoue avoir inventé cette demeure tout entière dédiée à la cause romanesque dans un livre au titre redoutable : "La peur de l'amour" !
Un palais vénitien inachevé, un autre qui n'existe pas, un peintre et un écrivain passés de mode, serais-je perdu pour l'art et le bon goût ? Si l'on me pose ainsi la question, je l'espère bien.

Copyright : Orage-Lagune-Express, 2006.

17 décembre 2006

Autoportrait à la sardine grillée

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Le jour de tes quarante-sept ans tu te promènes encore as-tu jamais fait autre chose ?

Si vous voyez plus intéressant qu’une promenade dites-le moi as-tu toujours répondu à qui se fait fort d’être utile

Utiles nous le sommes tous ne serait-ce qu’aux feux follets

La sardine grillée aussi est utile au ventre comme à la poésie

Vieil ado qui n’aime rien d’autre que la marche le nez en l’air dans l’odeur festive de la sardine grillée

Que laisseras-tu à tes proches un petit tas de papier à pattes de mouches collées au miel des rêves éveillés ?

Et ce poème brouillon sur la sardine qui grésille et frémit dans le brasero d’un jardin givré de l’arrière-saison


Copyright : Orage-Lagune-Express, 2006.

16 décembre 2006

Recyclage

"Certaines anxiétés peuvent être utiles à la littérature. Je pense qu'un écrivain doit savoir se réjouir de ses échecs. Les échecs produisent de la bonne littérature. Le triomphe dans la vie, non."

- Adolfo Bioy Casares -