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10 septembre 2007

Entretien avec Jean Pérol

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Photo : Jean Pérol au bord du lac Genin, dans la campagne au-dessus d’Oyonnax. (Photo Christian Cottet-Emard).

À l’occasion de la parution du roman de Jean Pérol, « Le soleil se couche à Nippori », éditions de la Différence, que j’ai inscrit à mon programme de lecture, je mets en ligne cet extrait d’un entretien avec l’auteur de « Un été mémorable », éditions Gallimard. Cette rencontre avec Jean Pérol date d'une vingtaine d'années et avait pour cadre le lac Genin, près d’Oyonnax. J’ai choisi cet extrait, que j’ai par ailleurs publié dans la revue Le Croquant n°4 (hiver 1988), tant les propos de Jean Pérol me paraissent plus que jamais d’actualité.


Christian Cottet-Emard
Le créateur, dans une société cherchant en permanence à enfanter des systèmes, des « ismes », en est-il aujourd’hui au point de s’arracher aux doctrines politiques, esthétiques, pour trouver son salut et celui de ceux qui reçoivent et participent à sa parole ?

Jean Pérol
De nos jours, nous avons connu le structuralisme, le « tel-quelisme », etc. Cela n’aura pas plus d’importance... L’important sera les individualités qui auront complètement échappé à tout cela. Quand les choses seront plus calmes, on verra que Jacques Réda a beaucoup plus d’importance que Marcelin Pleynet, par exemple. En littérature, ceux qui ont compté n’étaient pas ceux qui maniaient les « ismes ». Avant, lorsque les médias n’étaient pas là, il fallait inventer, le surréalisme, par exemple. Mais quand on regarde : René Crevel - Jacques Prévert, qu’est-ce que cela veut dire ? Robert Desnos - Paul Eluard, quoi de commun ? Roger Vailland - Roger Gilbert-Lecomte ? C’est parti de tous les côtés.

C.C-E
Maintenant que les systèmes éclatent, que les idéologies s’essoufflent, que la politique sombre dans la langue de bois, que vont faire les écrivains, les poètes ?

JP
C’est maintenant que cela devient intéressant. Finies les béquilles qui portent les à moitié paralytiques ! Il faudra que les gens sachent vivre, réfléchir et penser par eux-mêmes, trier le faux du vrai, les apparences de l’être et non pas en se réfugiant dans un système.

C.C-E
Où se situe le poète dans ce contexte différent ?

JP
Le poète est le remords de l’époque, disait Saint-John Perse. Cela s’accentue de plus en plus parce que la bêtise monte. L’artiste devient de plus en plus scandaleux parce que, finalement, l’art est un immense combat contre la bêtise, pour devenir une âme, une sensibilité, une intelligence, enfin, quelque chose relevant de l’être. Il existe une sorte de morale d’artiste selon laquelle on est sans arrêt obligé de donner son avis et on se fait détester. Notre époque s’éloigne à vitesse « grand V » de tout ce qui représente l’univers de la pensée. Comme la poésie est une des composantes essentielles de l’horizon de la pensée, elle est une des premières à dérouiller, mais pas plus que le théâtre d’avant-garde ou la philosophie, ou tout ce qui témoigne d’un peu d’exigence et de hauteur.

C.C-E
« Le poète remords de l’époque », cela renvoie aux sous-titres de vos recueils...
Prenons par exemple votre livre « Maintenant les soleils » sous-titré « journal-poème ».

JP
Tous mes sous-titres étaient faits exprès, à un moment où la poésie n’avait rien à voir avec le quotidien. Ce ne devait être qu’une mécanique linguistique dans laquelle on se livrait à des expériences. Maintenant, tout le monde a retourné sa veste. Mais en 1972, la biographie, interdite ! Le « je », le quotidien, interdits ! Donc, moi, uniquement pour enquiquiner, j’avais appelé ça « journal-poème » pour bien dire : ce sont des poèmes qui parlent de la vie de tous les jours, des signes que je donnais pour me faire entendre, comme mon premier recueil intitulé « Le Cœur véhément ». Mais, à ce moment-là, on déniait tout sentiment, tout droit au sentiment à la poésie. Alors, toujours pour embêter, j’ai pris ce titre presque « à la rictus », Le Cœur véhément, pour qu’on voie bien qu’il s’agit d’une histoire de cœur. Après, il y avait « récit-poème » parce que la poésie raconte. Les gens ont compris. Alors, j’ai appelé ça « poèmes », tout simplement.

C.C-E
Le langage de la poésie vous semble-t-il, malgré tout, plus actuel que celui des idéologies, des systèmes ou des doctrines, bref, de la politique dans un sens très large ?

JP
Quand on ne fait de la poésie que jeux et réflexions sur le langage, c’est mauvais. Mais lorsqu’on écrit de la poésie qui n’est que du « moi » facile qui dégouline sans réflexion sur le rôle de maintien du langage qu’elle doit revêtir, sur son rôle de mise à jour du langage et sur celui de son maintien en vie, c’est foutu aussi. Cela sera difficile à faire comprendre aux gens. La poésie est la forme supérieure de la littérature parce qu’elle doit être une espèce de formulation définitive. C’est pour cela qu’après, elle ne vieillit pas, qu’elle tient. Il faut qu’au moment où cela vient, cela soit assez parfait pour résister à toutes les modes et à une société qui sera complètement différente. Il y a encore des textes de Ronsard, de Villon qui fonctionnent, et pourtant, quoi de commun entre la société de Ronsard et la nôtre ?

16 juillet 2007

Interlude maritime

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Rêves tels voiliers à quai

Même fascination même inquiétude

Leurs étendards leurs flammes dans l’été appellent déjà l’adieu qu’il faut offrir sans larme avec la rose ambiguë qui sourit vers la terre en direction du jardin clos

Le départ cloue ton ombre au chaud renoncement des pierres

L’attente d’un récit laissera peut être le grand large entrouvert

(Extrait du recueil Le Monde lisible. © Éditions Orage-Lagune-Express, 2004.)
Photo : C. C-E

12 juin 2007

Qui a peur de René Char ?

49f4454d4de4b31918f1fa2306151be8.jpeg(Notes pour un article)

« Char, Les Fontaines, ça se touche.»
(Georges L. Godeau)

À la fin des années soixante-dix du siècle dernier, les poètes se retranchent entre les laboratoires universitaires et les arrière-salles de bistrots. Point d’autre salut pour la poésie passée à la moulinette de la linguistique ou, à l’opposé, de la banalité revendiquée comme un des beaux arts. Résultat, un petit air de renfermé et, pour beaucoup de lecteurs, une aspiration au grand large. La solution existe déjà à cette époque : René Char.

Comment lire Char ? Étrange et récurrente question. Demande-t-on ou se demande-t-on « comment lire » les autres grands poètes, notamment ses plus illustres contemporains ? Faut-il prendre Char avec des pincettes ? Est-il vraiment ce poète réputé ardu dont les nombreux commentateurs tentent parfois de se mettre au diapason en produisant des analyses et des études qui n’ont rien à envier à l’obscurité qu’on reproche à une partie de sa poésie ? Qui a peur de René Char ?

Georges Mounin, professeur de linguistique, ami proche de René Char et auteur de Avez-vous lu Char ? (Folio essais) écrit quant lui dans sa postface au recueil Avec René Char du poète Georges L. Godeau (Le Dé bleu éditeur) : « il ne faut jamais oublier, je crois, que la poésie la plus forte de René Char est probablement, non pas dans ses oracles si difficilement déchiffrables, mais dans ses poèmes les plus directs et les plus nus, Congé au vent, L’amoureuse en secret, Rémanence, et tant d’autres. » J’ajouterais quant à moi, dans les poèmes qui accompagnent une vie entière, La Sorgue (chanson pour Yvonne) et La Complainte du lézard amoureux, somptueusement mis en musique par Pierre Boulez (Disque Erato).

En 1991, lors de ma seconde rencontre avec le poète Jean Tardieu, nous parlons de ses contemporains, Ponge, Follain, Jaccottet... Char aussi, « plus difficile à fréquenter car il vivait retiré à l’Isle-sur-Sorgue » précise Tardieu en ajoutant : « Certains y voient un monument d’hermétisme, moi je ne trouve pas. Dans cette concision aphoristique, il y a quelque chose qui ne peut que mûrir et donner maintenant ou plus tard quelque chose de comparable aux grandes oeuvres classiques - Pascal, Chamfort, Joubert - une façon de vivre, un prophétisme. Cette poésie cessera de paraître inaccessible. D’ailleurs, je suis convaincu que l’on vivra de plus en plus en poésie : avec l’effondrement des idéologies, il y a désormais une place pour la poésie comme ressource salvatrice, protectrice de l’esprit. »

Difficile de rêver meilleur encouragement à entrer dans l’oeuvre de René Char, surtout en ce début de 21ème siècle à la grisaille boutiquière que Char n’a pas connu mais dont il a pressenti et annoncé de son verbe haut les dérives et les menaces dès le début de sa résistance aux ténèbres du siècle précédent. Sa déception, à la fin de la guerre, de voir l’utopie céder tout de suite devant les arrangements et les compromissions qui contribuèrent à poser les fondements de la nouvelle société d’après le désastre, est à la mesure de l’énergie déployée lors de son engagement total dans la Résistance.

Résistance. Un mot dont on ne peut faire l’économie lorsqu’on évoque la vie et l’oeuvre de René Char, bien au-delà des années de lutte clandestine, bien avant et bien après la confrontation directe, violente, à l’abjection du nazisme puisque cet esprit de résistance a pour socle la poésie.

Dès les premiers poèmes publiés, en revues comme en volumes, dès Les Cloches sur le coeur, premier recueil imprimé à compte d’auteur en 1928 puis détruit par Char, la voix est posée : tendue, puissante, complexe, et elle restera la même, immédiatement identifiable parmi toutes les autres, y compris celles de ses compagnons surréalistes auxquels, contrairement à Char, on ne fait pas systématiquement reproche d’obscurité, d’hermétisme.

Hermétique cette poésie ? Obscurs, certains textes le sont, ni plus ni moins que ceux des autres poètes surréalistes ou même de leurs contemporains adeptes d’une langue plus classique tels que Ponge, Tardieu... Et je ne parle pas des deux générations suivantes dont les jeux formels, recherches et autres expériences congédient encore bien des lecteurs, à tel point que ces derniers n’associent plus aujourd’hui au mot poésie que l’image d’une vieille serrure grippée dont la clef aurait été jetée depuis belle lurette. Que ces lecteurs reviennent à Char et ils retrouveront cette voix de la poésie, ce souffle, cette ampleur - même dans l’aphorisme -, ce timbre qui manquent à tant de poèmes publiés de nos jours et qu’on croirait tous alignés par le même auteur. Et si cette voix dérape parfois dans quelques solennités indéchiffrables, n’oublions pas à quelle personnalité d’exception elle appartient et à quels terribles moments de l’Histoire elle parle (ou se tait).

Tout d’abord, Char a été surréaliste et il s’est exprimé comme tel, c’est-à-dire peu soucieux de lisibilité immédiate. Sa poésie en restera toujours marquée, même après sa prise de distance avec un mouvement en proie aux dissensions personnelles, politiques et esthétiques. Ensuite, la guerre, la défaite, la collaboration puis la guerre froide instaureront un climat propice à la prolifération de « la fausse parole » pour reprendre le titre du fameux livre du poète Armand Robin (éditions Le Temps qu’il fait). On peut penser que l’hermétisme de Char, héritage du surréalisme lui-même né de Dada vomissant les « valeurs » conduisant aux hécatombes de la première guerre mondiale, s’inscrit dans le réflexe de cette « ressource salvatrice de l’esprit » évoquée par Tardieu. On notera en outre qu’en Italie, entre 1940 et la fin de la guerre, le poète Mario Luzi incarnera aux côtés d’autres poètes tels que Bigongiari, Parronchi et Gatto, l’hermétisme florentin dont la langue poétique s’affirme, par le refus de la lisibilité immédiate, comme une résistance à l’omniprésent discours fasciste. Dans le même temps, la décision de Char de ne rien publier pendant la lutte, de mettre sa poésie « en veilleuse », de se limiter à l’écriture des notes de calepin qui deviendront les Feuillets d’Hypnos, tout cela atteste de ce même réflexe de résistance à la brutalité et à la barbarie qui étendent leur pouvoir de corruption jusqu’au coeur du langage. Dans cette période d’affrontement et de danger, Char a plus que jamais besoin de soustraire la parole poétique à ce qui tend à la réduire, à la fausser, à la trahir, à la détruire. Il ne peut donc parler la langue rudimentaire de l’engagement, de la poésie embrigadée, même au service d’une juste cause.

Une fois le nazisme vaincu et la guerre finie, Char ne baisse pas pour autant la garde et c’est en poète à la langue toujours en tension qu’il voit sans doute se profiler les nouveaux périls dont Pasolini résumera plus tard la nature : « Le véritable fascisme, c’est le pouvoir destructeur de la société de consommation » ou encore : « ce nivellement culturel auquel le fascisme n’avait pu parvenir en vingt ans, la civilisation du bien-être l’a obtenu en quelques années seulement. Nous sommes tous morts, et pourtant, nous ne le savons pas encore.» Dans ce contexte, Char ne peut se contenter du recours à une langue poétique apaisée ou relâchée. (« L’ennemi le mieux masqué du poète est l’actualité », écrira-t-il). Char s’exprime toujours avec la langue en tension de la poésie, qu’il publie, qu’il s’entretienne avec ses proches dans sa correspondance privée ou qu’il s’adresse en public à ses concitoyens ainsi qu’il avait coutume de le faire au moyen d’affichages s’il le jugeait nécessaire. On le voit par exemple dans ce texte (La Provence point oméga) imprimé sur une affiche dessinée par Picasso, lors de son engagement contre l’implantation des silos de missiles nucléaires au plateau d’Albion : « Que les perceurs de la noble écorce terrestre d’Albion mesurent bien ceci : nous nous battons pour un site où la neige n’est pas seulement la louve de l’hiver mais aussi l’aulne du printemps. Le soleil s’y lève sur notre sang exigeant et l’homme n’est jamais en prison chez son semblable. À nos yeux ce site vaut mieux que notre pain, car il ne peut être, lui, remplacé. » Si de telles images ne traversent pas tous les jours la poésie dite « engagée », on conçoit que le grand public destinataire du message ait pu les trouver bien sibyllines. Cela indique qu’il faut évoquer l’existence d’une dimension ésotérique plutôt qu’hermétique dans la parole poétique de René Char. Du registre de l’ésotérisme à celui du merveilleux, il n’y a qu’un pas mais Char affirme ne pas le franchir.

Que dire alors à qui se présente au seuil de cette oeuvre ? Comment transmettre l’énergie reçue dans cette lecture qui est aussi une expérience sans se laisser désarçonner par la récurrente objection d’hermétisme, de difficulté voire d’obscurité ? Réaffirmer d’entrée qu’on est en poésie et qu’aucune poésie, même la plus immédiatement accessible, ne laisse le lecteur tranquille dans ses petites habitudes. Et puisqu’il faut des repères, ne pas hésiter à en donner. De la Sorgue au Mont Ventoux, dans ce pays de fontaines toutes reliées à la plus prodigieuse (la résurgence du gouffre dont Char disait en commentant une photo de son enfance : « on ne pouvait pas m’arracher au trou »), ne manquent pas les clefs d’or et de fer, d’éclat et de rouille, semées à la volée pour ouvrir les portes du merveilleux. Car le merveilleux est bien présent dans la poésie de René Char, même si le poète réfute le terme et même si cette petite porte d’accès à sa poésie est négligée dans de nombreuses études parfois arides qui ne rendent pas toujours service, dans leurs hommages amphigouriques, à une oeuvre pouvant très bien se passer de commentaires. « Il faut trouver le chemin de la poésie. Tout écrit sur elle est inutile. » assène Char.

Dans sa pleine maturité, devenu un poète reconnu, Char s’est vu frôlé par le chalut du structuralisme et de la linguistique dont il s’est d’emblée tenu à distance ainsi qu’on peut le lire dans une correspondance citée par Laurent Greilsamer dans sa biographie L’Éclair au front (éditions Fayard) : « Cette sorte d’activisme ne mène, à mon avis, à pas grand-chose. Nous ne sommes pas cela. Et si nous le sommes, ce ne peut être qu’un faible volume du corps fuyant de la poésie qui nous compose. Il est possible que les robots futurs voués au décuvage subtil des poèmes procèdent de cette façon. Ce n’est pas, certes, la meilleure, de traiter par les acides la nourriture poétique...» Irréductible Char !

Ce merveilleux dénué de toute mièvrerie, Char le compose avec ce qu’il a sous la main, la Sorgue lumineuse, le petit peuple de ses rives avec ses vagabonds, braconniers, rêveurs, autant de personnages humbles ou hauts en couleurs, réels ou en partie imaginaires qu’il nomme les Transparents et qui parcourent les sentiers aromatiques, frôlent les murets de pierre sèche et alertent les lézards. Char qui alterne les séjours dans sa province et dans la capitale, convoque aussi les hasards et les mystères de la grande ville.

Alors, avec ce matériau souvent plus simple qu’on ne l’imagine, parfois même assez rustique, pourquoi la poésie de Char est-elle perçue comme si difficile à déchiffrer ? C’est que cette poésie n’est pas à déchiffrer. On l’accepte ou on la refuse. Pas de demi-mesure. Mais il est vrai aussi que cette poésie ne nous invite pas pour autant dans son intimité. Le poème de Char veut nous parler mais sur une fréquence que le lecteur doit trouver par ses propres moyens, et qui n’est ni celle de la confidence ni celle de l’oracle. Que les amateurs de rébus passent également leurs chemin. S’ils persistent, ils joueront les philologues égarés dans un univers auquel ils n’auront, au bout de tous leurs efforts, point accès, comme ils s’exposeront à ne trouver en René Char qu’un « laborieux fabricant de devinettes biscornues et de solennités boursouflées » ainsi que le qualifie François Crouzet dans un pamphlet drôle à lire mais qui ne parvient pas à atteindre complètement sa cible (Contre René Char, éditions Les belles lettres, 1992). En même temps, il est bien qu’on puisse aujourd’hui lire Char en liberté, Char délivré de la gangue de sa statue de commandeur. Aussi ce pamphlet côtoie-t-il dans ma bibliothèque les ouvrages qui permettent de se repérer dans l’univers du poète, notamment les beaux livres publiés par Marie-Claude Char après la mort de son mari, Faire du chemin avec René Char (Gallimard), Dans l’atelier du poète (Gallimard Quarto), et Pays de René Char (Flammarion) auxquels il faut ajouter l’étrange essai de Paul Veyne René Char en ses poèmes (Gallimard). Une curiosité ! Paul Veyne a développé avec Char une relation complexe, orageuse, mêlant admiration, amitié et... décryptage !

Mais c’est d’une minuscule plaquette, presque invisible entre ces forts volumes, que je veux extraire une citation en forme de conclusion à ces quelques notes éparses sur ma lecture personnelle de René Char. Ce mince livret du poète Georges L. Godeau intitulé Avec René Char (Le Dé bleu éditeur) se compose de douze petites proses poétiques relatant la rencontre de l’auteur avec le riverain de la Sorgue :
« René Char m’a offert une canne en buis. Je l’ai clouée chez moi en face de mon bureau. Plus je la contemple, moins je ne puis écrire. Hier, je l’ai mise sur l’armoire. L’araignée l’a parcourue en zigzag puis a tissé autour quatre épaisseurs de toile comme pour arrêter quelque chose. Assise maintenant au fond, elle m’observe de son oeil noir. Pardi ! »
Ce recueil de vingt-quatre pages, imprimé un an après le décès de Char survenu le 19 février 1988, convie mieux que toute glose le lecteur au seuil de cette oeuvre aux mille entrées. La rencontre dont témoigne cet opuscule est beaucoup plus que celle de deux poètes. Elle est celle, éternellement renouvelée, du poème et de son lecteur car, ainsi que l’affirme René Char, « le poème est toujours marié à quelqu’un.»

© Christian Cottet-Emard et Orlag presse. Droits réservés.