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27 septembre 2006

Vertige et merveille

Une fois encore, je relis "Bureau de Tabac". Puis, "Au volant de la Chevrolet". Dans l'oeuvre de Fernando Pessoa, ce sont les poésies d'Alvaro de Campos qui me parlent le plus. Pour me rafraîchir la mémoire à propos de l'hétéronyme Alvaro de Campos, j'ouvre "Une malle pleine de gens" d'Antonio Tabucchi, à la page 66 de l'édition 10/18 : "Campos avait en vérité une âme de vagabond, retenue captive dans la peau d'un bourgeois rêveur."
Vertige et merveille de la littérature qui me fait consulter des notices biographiques imaginaires dans lesquelles je reconnais certains aspects de ma situation !

25 septembre 2006

Le poète mène une vie quotidienne (extrait)

Poète tu sors la poubelle
Vient un poème dehors apporté par le vent humide de la nuit
Ainsi va ta vie de poète qui produit des déchets joue au loto débarrasse la table essuie les miettes fait tremper la vaisselle attend du vent nocturne les premiers mots d’un poème juste après la poubelle

Tu voudrais disparaître de la circulation automobile casser la course “préférer ne pas”
Tu voudrais en vouloir encore plus à tes ennemis t’en sortir être aussi malin que les arbres
Tout ce que tu voudrais ce n’est pas grave ce n’est rien

Bruits de la ville de province dans la pluie
Orange rouge vert dans les gouttes sur le pare-brise
Les cloches du samedi soir et les magasins où paient et sortent les derniers clients
Certains vont à la messe et te regardent sans crainte assis dans ton auto confortable emmitouflé dans ton manteau
Ils te prendraient presque pour un des leurs parce que tu stationnes sur un emplacement autorisé et que tu es vêtu très comme il faut et que tes cheveux sont coupés courts et que ta grosse voiture inspire confiance
Tu présentes assez bien et ce n’est pas marqué sur ta figure que tu ne veux pas participer et que la seule chose intéressante pour toi c’est attendre regarder écrire

L’idée que le monde pourrait te quitter la voici
Elle arrive aux quatre décennies plus six années quand s’éloignent les petites lettres
Que cela t’encourage à laisser la poésie à d’autres pour dire simplement ta fatigue qui lasse le monde
Le moment vient peut-être d’écrire à l’américaine “je sors prendre un verre au soleil”
Ce n’est peut-être rien d’autre un poème

Le matin tu n’arrives pas à te lever tôt tu aimerais rejoindre l’aube pour vivre plus
L’aube avec ses beaux sentiments
Mais tu n’adhères pas tu n’y crois pas (pas encore pas avant dix heures pas avant l’heure du facteur)
Pas à pas jusqu’au bol de café qui part dans l’évier si tu as des obligations
L’obligation de te lever tôt pour gagner pour gagner quoi ?
L’argent
Et quand l’argent rentre sans que tu doives te lever tôt alors vers dix heures tu peux avaler
Tu peux avaler le café et y croire et adhérer un peu un tant soit peu comme on dit comme ils disent juste ce qu’il faut pour continuer poursuivre
Quoi ?

Tu n’arrives pas à te lever tôt parce que tu te couches tard tu exagères tu te couches tard
Parce que
Parce que tu ne peux pas te lever tôt
Couché trop tard juste pour entendre la pluie d’août dans tes voisins les tilleuls que tu ne peux écouter en paix que lorsque tes voisins humains ont renoncé pour quelques heures à la radio à la télé au bricolage à la tonte du gazon à la chasse motorisée aux herbes folles
C’est encore plus facile en août d’écouter la pluie dans les tilleuls car tes voisins se sont jetés sur les autoroutes
Et voilà que ta rue et la ville entière ont retrouvé le beau silence provincial des années soixante du vingtième siècle
Quand, au lit, ta veille d’enfant s’inquiétait de l’aventure inexplicable d’un vélomoteur sous la grosse patte de la Grande Ourse

Ne repique pas à la cigarette couche-toi plus tôt lève-toi plus tôt souviens-toi de la chanson du cours élémentaire première année (“Hop dès le matin lève-toi lève-toi ah ! Hop dès le matin lève-toi gaiement”)
Fume
Fume le paquet que tu as acheté en vacances parce que tu n’as pas trouvé de bons cigares et n’en parlons plus ne repique pas à la cigarette
N’en parlons plus fais un effort reprends-toi
Reprends ton effort toi n’en parlons plus
Moins de fumée moins de fuite moins de frites moins de saucisses fumées moins de charcuterie moins de vin moins de bière fais une effort reprends-toi tant qu’il est temps
Merci
Merci du conseil un conseil aussi dis bonjour à tes voisins même si tu ne peux pas avaler ton café parce que tu t’es levé trop tôt même si (reprends-toi) tu digères mal même si te reste sur l’estomac (reprends-toi) leur présence

Copyright : Orage-Lagune-Express, 2006

08 septembre 2006

Poésie odorante

Quand j’y repense, mon entrée dans le club des lecteurs réguliers de poésie contemporaine a finalement coïncidé avec la souscription de mon premier abonnement au Dé bleu, à l’aube des années 80. (Le Dé bleu s’appelle aujourd’hui L’idée bleue, dirigé par le poète Louis Dubost, auteur de la fameuse Lettre d’un éditeur de poésie à un poète en quête d’éditeur, éditions Ginkgo. Je présente en principe ce livre dans la prochaine livraison de la revue La Presse littéraire (n°7).
En vingt-six ans de lectures poétiques, de revues en recueils, de micro-éditeurs en prestigieuses enseignes, j’ai suivi mon chemin dans la forêt de mots, affiné mes choix, affirmé mes goûts et dégoûts. J’ai choisi, élu, critiqué, rejeté. J’ai rompu, j’ai renoué. Parallèlement, j’ai écrit et publié... De la poésie ? Il appartient à mes lecteurs d’en décider. La lecture des poètes du Dé bleu et de quelques autres maisons d’édition m’y aura aidé, sans que je les accable pour autant de manuscrits.
Ma découverte des éditions du Dé bleu fut d’abord olfactive. Une bonne odeur de ronéo, la même que celle des tracts syndicaux, s’exhalait de l’enveloppe décachetée de mon premier abonnement, où ne demandaient qu’à s’ouvrir, telles des corolles, les couvertures colorées des opuscules aux formats oblongs et carrés, ces derniers constituant la collection “Herbes folles” ! J’aime l’odeur de l’encre et j’ai toujours eu la manie de renifler l’intérieur des livres neufs. Pas les anciens, à cause des acariens. Les nouveautés du Dé bleu, qu’est-ce qu’elles sentaient bon le duplicateur ! Quant aux acariens qui auraient pu s’aventurer entre les pages des minces recueils, ils étaient sûrs de trépasser complètement sonnés par ces senteurs chimiques !
Blague à part, Louis Dubost publie de la poésie depuis une trentaine d’années. C’est en 1979 qu’un des auteurs du Dé bleu, Jean-Louis Jacquier-Roux, qui signa en 1981 à cette enseigne son recueil “Voir les anciens jouets de nos misères”, me présenta ce catalogue entièrement dévoué à la poésie en train de s’écrire. L’abonnement constitué de plusieurs séries de plaquettes agrafées était proposé à un prix modique, ce qui me permettait, avec mon budget d’étudiant, de continuer à pouvoir faire le plein de mon Ami 6 sans pour autant renoncer à lire de nombreux auteurs peu connus du grand public. Parmi eux, certains on fait leur chemin dans l’édition.
Pendant plusieurs années, à l’arrivée des nouveautés de la saison, j’ai guetté le passage du facteur qui pestait contre cette enveloppe ventrue mal digérée par la boîte aux lettres et qui contenait les opuscules parfumés, avec leur frappe stencil sur papier à “polycop”. Le rêve de publier au Dé bleu m’effleurait souvent mais je n’avais rien écrit !
Avec les années, les plaquettes ronéotypées laissèrent la place à des livres brochés de belle facture aux couvertures blanches souvent rehaussées d’illustrations en couleur. Je ne voyais rien à redire à cet embourgeoisement malgré une indéniable nostalgie des odorantes polycopies. Ma bibliothèque, que j’expurge régulièrement, aligne encore une trentaine de ces recueils. Par la suite, je me suis éloigné du style de poésie publié au Dé bleu, notamment de certaines formes d’écritures du quotidien dans lesquelles quelques poètes me semblaient ronronner. Ces auteurs revenant souvent dans les nouveautés, j’ai décroché, c’est-à-dire que je n’ai pas renouvelé mon abonnement mais cela ne signifie pas que j’ai cessé d’acheter les livres du Dé bleu. Je grappillais certains titres en librairie. Lorsque des revues m’accueillirent dans leurs comités de rédaction, je reçus même des ouvrages de la maison à “chroniquer”.
En 1996, Louis Dubost me fit une jolie surprise. Je reçus par la poste une mini-anthologie intitulée “Fine pluie mouche l’escargot” publiée dans sa collection jeunesse Le Farfadet bleu où je découvris l’extrait d’un de mes poèmes que l’éditeur avait trouvé dans une autre anthologie. “Extrait” est le mot juste. La preuve ? Attention, ça va très vite : “L’escargot dans la pluie a vidé sa coquille”. Depuis cette anthologie de l’escargot, je n’ai pas publié plus bref mais tout poète qui se respecte vous le dira, un vers publié chez Louis Dubost vaut mieux qu’un volume d’oeuvres complètes aux éditions Barbapapus (Barbapapus : éditeur à compte d’auteur abusif pour ceux qui prennent ce blog en cours).
L’édition de poésie est un jardin subtil, fragile, un seuil ombragé où l’on trinque d’un petit vin. Mon mode de vie isolé dans des contrées où la lecture est de plus en plus considérée comme une bizarrerie ne permet guère cette sociabilité pour ne pas dire, toutes proportions gardées, ces mondanités qui peuvent aboutir à la publication d’une brassée de poèmes ou d’une oeuvre en construction. À quelques exceptions près (publications en revues ou en recueils confidentiels), mes poèmes dorment dans mes archives et le sort a voulu que ce soit ma prose qui franchisse le mur des comités de lecture.