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17 novembre 2006

Ne te casse pas la tête

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Encore une promenade aujourd’hui

Aujourd’hui ton rêve aime ondoyer comme regain blé ou roseaux

Tu marches dans la merveille régulière de cet automne sous le feu hurlant des origines dont on ne sait qui l’alluma

Que sa lumière traverse une feuille de hêtre ou une corolle de campanule suffit à nimber le monde entier c’est-à-dire le chemin forestier des couleurs du hêtre et de la campanule

Tes récentes journées de vie par opposition à celles où tu ne vis pas enfin pas tout à fait

Ces journées de gloire secrète lorsque plus rien n’est à déchiffrer puisque tu sais le principal à savoir :

Tu es invité au spectacle du hêtre et de la campanule des talus et tu n’es sur Terre pour rien d’autre alors ne te casse pas la tête

Vis ces journées de vie et de gloire secrète dans la lumière du hêtre et de la campanule et sois absent absente-toi de toutes les autres

Et ces journées de triomphe peut-être que la troisième symphonie d’Aaron Copland pourrait en donner une idée à qui voudrait savoir ce qu’est vivre si tant est que cela puisse encore intéresser quelqu’un dans la ville où chacun croit qu’il a quelque chose d’important à faire loin bien loin du chemin forestier

Copyright : Orage-Lagune-Express, 2006.

29 octobre 2006

Avec les arbres

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La flaque d’eau toujours à la même place sur la route forestière où la vieille voiture attend n’est ni le miroir ni le contraire du monde juste une facette de ce diamant qu’on appelle la Terre

L’image condamnée à refléter ce qui n’est pas se dissipe dans l’évidence des feuilles rendues à l’air blond

Le grand vent patientera le temps de la colchique et de la campanule et tout ce qui s’alourdissait de peurs et de chagrins indéchiffrables s’unifie dans les instants d’accord entre la route et la rivière

L’épicéa qui rafraîchit les pas de mes aïeux les moins connus penche encore ses secrets sur les miens

Autour de nous se courbe une apparente éternité un infini à nos mesures à celle des brins d’herbe

Où est cachée l’horloge ? Et qui a décidé dans l’espiègle automne qu’aujourd’hui nous nous sentirions libres ?

Le fruit du jardin s’approche de la terre inconnue comme tout ce qui semblait se tourner vers le ciel

Des temps s’éloignent à la vitesse des astres et le mystère sous chacun de mes pas ne me fait plus sourire

Les seuls à me désaltérer encore de mes premiers regards sont les arbres penchés sur mes sorties d’école tilleuls d’automne où passe la main du vent hêtres et marronniers vieux maîtres indulgents qui dessinent un cercle autour de mes erreurs

En eux se concilient envol et pesanteur et je n’étais pas né qu’ils me savaient déjà promis à l’énigme de leur premier bourgeon

La profonde étrangeté du ciel où tombent les dernières corolles

L’inexplicable joie qu’on prête au vol de l’éphèmère dans l’ordre imprévisible des vents d’octobre

Au fond de la forêt la stupeur des naissances

La lumière en cascades qui ne révèlent rien que les couleurs des chiffres sur le tableau noir

Mais toujours la fenêtre qui rend à l’écolier le monde lisible


(Extrait de : LE MONDE LISIBLE, éditions Orage-Lagune-Express. Copyright Orage-Lagune-Express, 2004)

23 octobre 2006

Comment tu t'es transformé en érable champêtre

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Tu arrivais contre le vent le chevreuil ne t’a pas senti (une chevrette avec son faon)

Lorsqu’elle t’a vu il était trop tard le faon se risquait trop loin pour qu’elle puisse le récupérer tout de suite et bondir avec lui dans le monde des chevreuils

Tu ne bouges plus elle te fixe dresse les oreilles tu ne bouges plus elle ne bouge plus

Son réflexe de détaler mélangé avec l’idée de récupérer le faon l’immobilise

Elle te fixe et guette le moindre de tes mouvements un battement de paupières une respiration et son faon pas très loin mais trop loin d’elle

Elle te jauge elle s’inquiète mais ne fuit pas elle te fixe toujours tu n’as pas bougé d’un cil

Elle cherche à t’impressionner par toute une série de bruits comiques elle souffle chuinte jappe elle veut t’intimider tu ne bouges toujours pas

Tu sais très bien faire ça ne pas bouger pendant longtemps

Et au-delà d’un certain temps elle va t’oublier

Car pour elle une créature qui ne bouge pas pendant longtemps disparaît tout simplement de la circulation

La chevrette t’a oublié parce que tu ne bouges plus et comme tu es arrivé contre le vent elle ne te sent pas tu n’es plus pour elle

Tu n’es plus pour elle qu’un détail de la forêt peut-être cet érable champêtre sous lequel tu ne bouges plus et que pour cette chevrette tu es devenu

L’érable champêtre n’est pas un arbre qui se donne en spectacle il a peu d’ambition comme toi si ce n’est celle de vivre et d’éviter les ennuis

Te transformer en érable champêtre tu aurais bien aimé y arriver plus tôt dans les premières périodes pénibles ou stupides de ta vie

Devant la haute porte fermée de l’école primaire Sainte-Jeanne d’Arc qui faillit si souvent devenir la grande porte de la fugue : disparu le gamin en retard à sa place un érable champêtre

Au-dessus du gouffre du cahier de calcul où les baignoires débordent où les trains n’arrivent jamais à l’heure où s’additionnent les retenues : plus personne juste un érable champêtre

Au tableau poésie à réciter par cœur (qu’est-ce que le cœur et la poésie ont à voir là-dedans ?) : hop un érable champêtre

Dommage qu’il ait fallu attendre quarante-six ans mais ça valait le coup quand même ô vaillante et ingénieuse petite chevrette !


Copyright : Orage-lagune-Express, 2006