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25 avril 2014

Carnet / Au ras des pâquerettes

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Je ne dirais pas que j’éprouve comme par le passé la joie du printemps, plutôt un vague soulagement après ces périodes avares en bons moments. Avare aussi, ce paysage jurassien qui peine tant à tenir le beau temps une journée entière sans qu’un orage ne vienne talocher une nouvelle couche de gris sur le tableau. Je rêve d’habiter un pays où l’on n’a pas toujours les yeux rivés au ciel en se demandant quelle sorte d’averse — neige, grêle ou hallebardes — il va nous envoyer.

Du Jura, désormais, je n’apprécie que mes hectares autour de la maison et quelques arpents familiers. Pour le reste, désert culturel malgré quelques tentatives vouées à l’échec parce qu’il n’existe tout simplement pas de public pour les soutenir. Même constat dans la partie de l’Ain où j’ai longtemps vécu, où toutes les initiatives publiques et privées en faveur de la culture se heurtent toutes au même mur : l’absence d’un public.

Pour survivre dans ce milieu hostile, deux alternatives : déménager ou mener une double vie. Le fichu déterminisme de mon enracinement et mon manque de courage m’imposent la seconde solution. Une existence à deux compartiments étanches : isolement campagnard (avec ses indéniables avantages) et évasion vers la grande ville et sa richesse humaine. Heureusement que je suis à une heure d’autoroute de Lyon.

Je dois m’estimer heureux d’avoir le temps et les moyens de jouer sur ces deux tableaux. S’estimer heureux..., « estime-toi heureux » leitmotiv de la cinquantaine et titre envisagé d’un recueil de poèmes narratifs en lecture pour quelques débuts de projets éditoriaux. Ainsi que me le faisait remarquer un ami avec qui j’aime bien blaguer, on pourrait déjà penser à la suite avec des titres du même tonneau : C’est déjà pas mal, Cela aurait pu être pire, C’était pas si mal, etc... !

Quelques petites éclaircies dans cette morosité : un ami (il se reconnaîtra ici) qui m’a exprimé sa confiance en me donnant à lire des textes inédits de lui avant leur publication, la perspective de plusieurs concerts classiques et des projets de séjours hors saison (et AILLEURS !) loin de la laideur banale de l’hystérie sportive et d’un environnement culturel de plus en plus au ras des pâquerettes dans la ville où je ne réside heureusement plus mais qui reste, pour quelques courses de base et seulement pour cela, la bourgade la plus proche de ma campagne.

 

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 Puisque j’illustre cette page de carnet d’un montage avec une photo de moi ainsi qu’il m’arrive parfois de le faire, j’en profite pour conclure en évoquant la pratique du portrait et de l’autoportrait sur internet. Rien de narcissique (je n’ai plus l’âge et, de toute façon, avec mes cheveux clairsemés sur le devant du crâne et mon visage un peu trop joufflu, je ne me trouve pas terrible). Ce qui me conduit à « poster » ce genre de photo tient du sentiment d’étrangeté que j’éprouve face à mon image. J’ai toujours vécu dans des maisons assez pauvres en miroirs et, plus jeune, je ne prenais pas bien le temps de m’observer. Or, compte tenu de la brièveté de l’existence, je trouve dommage de ne pas prendre ce temps ou d’y renoncer. Ce qu’on voit là est extrêmement étonnant, précaire, insolite, incompréhensible : un individu dans l’univers illisible.

Comme, je crois, la plupart des gens qui postent des photos d’eux, je scrute surtout en ces images le jeu improbable de combinaisons hasardeuses qui ont abouti à jeter dans une vie, une société et un environnement organisés mais dénués de sens cette enveloppe de vague conscience que résume une personne sur une photo. Chers lecteurs et lectrices de ce blog, prenez le temps de vous regarder vous aussi car après, vous ne vous reverrez jamais.

 

Photos :  - pâquerettes jurassiennes

- Chez moi, dans les pâquerettes...

20 avril 2014

Carnet / Ténèbres et lumières de Pâques

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J’ai été élevé dans une pratique religieuse assez libre (j’ai pu sécher le catéchisme en toute impunité en usant d’un petit tour de passe-passe significatif du don précoce que j’ai entretenu dès l’enfance pour les comportements d’évitement et de fuite). Je suis aussi un rejeton de l’époque Vatican II et je n’ai donc pas particulièrement souffert du poids de la religion dans ma vie quotidienne. L’avantage est que je n’ai pas été obligé de rejeter ma culture chrétienne pour me construire.

Plus prosaïquement, Pâques était aussi pour moi une ambiance. Le jeudi en revenant de l’école Jeanne d'Arc et en m’attardant sous le porche de l’église Saint-Léger, je me rappelais avoir entendu parler d’un mystérieux Office des Ténèbres dont la seule appellation résonnait en moi de sinistre manière et enflammait mon imagination qui partait au quart de tour pour beaucoup moins que cela.

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Ténébreux, le vendredi saint l’était aussi presque toujours et commençait chaque année par la phrase rituelle de ma grand-mère maternelle : « un vrai temps de vendredi saint aujourd’hui ! » De fait, je ne me souviens pas d’un vendredi saint ensoleillé, juste du sombre, du gris anthracite, le printemps subitement recouvert d’un voile noir et la nuit épaisse où, petit garçon inquiet, j’entrais sans comprendre ce qui avait bien pu peser si lourd sur le monde ce jour-là.

Le lendemain, samedi saint : jour silencieux, perplexe, jour d’attente. Pas de cloches. Parties à Rome me disait-on. Et enfin le dimanche, de nouveau les cloches, retour de Rome à toute volée, parfois dans les flocons, parfois dans les fleurs et, plus rarement mais dans quelle allégresse, dans la puissante respiration du fœhn trousseur de tulipes et de violettes.pâques,jeudi saint,vendredi saint,samedi saint,ténèbres,office des ténèbres,blog littéraire de christian cottet-emard,œuf de pâques,chasse aux œufs,grande pâque russe,nicolaï Rimsky-korsakov,musique,église saint léger,oyonnax,école jeanne d'arc,fête chrétienne,pascal,tristesse de l'homme sans dieu,agnostique,agnosticisme,printemps,nuit,cloche,départ des cloches,retour des cloches,rome,enfance,souvenir,carnet,journal,note

Le petit garçon anxieux se levait ce matin-là le cœur plus léger car en se réveillant au son de La Grande Pâque russe de Nicolaï Andreïevitch Rimsky-Korsakov, il avait entendu parler d’une étrange victoire de la vie sur la mort et, pour fêter ce prodige, d’une pluie d’œufs en chocolat dans le jardin.

Pâques : quelle aventure !

 

Photos : - vu depuis ma fenêtre tôt le matin, coucher de lune au-dessus de la petite église de campagne

- La Grande Pâque russe en 33 tours !

01 avril 2014

Musique d’une vie : le journal de Chouchou Debussy

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Le conditionnel est le temps des enfants et des romanciers. Damien Luce qui cite Saint-John Perse sur son site internet (« Je travaille avec le sérieux d’un enfant qui joue ») y pensait peut-être en écrivant La Fille de Debussy : on dirait que la toute jeune fille d’un grand compositeur n’ayant survécu que de quelques mois à son père aurait en cette ultime et brève parenthèse tenu son journal... La première proposition est réelle (l’adolescente repose avec ses parents mais son prénom n’est pas gravé sur le marbre) et la seconde est un des romans les plus subtils et bouleversants de ce début d’année.

Pas besoin d’être musicien, compositeur, interprète, pianiste ou mélomane averti pour accéder à l’univers de la jeune Claude-Emma Debussy surnommée Chouchou par son illustre père. Certes, Damien Luce , né en 1978 à Paris, possède-t-il tous ces talents auxquels il faut ajouter ceux de comédien, de dramaturge et, pour le bonheur de ses lecteurs, celui d’écrivain avec ce troisième roman, La Fille de Debussy, qui nous ouvre les pages du journal intime imaginaire d’une petite fille de douze ans en plein déchiffrage du monde.lecture,blog littéraire de christian cottet-emard,damien luce,la fille de debussy,éditions héloïse d'ormesson,chouchou ou l'enfant muse,monsieur debussy,théâtre des variétés,paris,littérature,théâtre,journal intime,journal,journal imaginaire,andré caplet,jean roger-ducasse,érik satie,maurice ravel,le chambrioleur,cyrano de boudou,édition,roman,musique,piano

Ce monde en proie à la guerre qui tonne au loin aux cadences de la Grosse Bertha, l’espiègle Chouchou prématurément disparue n’en connaîtra que les premiers émois, juste le temps d’en ressentir toutes les beautés possibles à travers la musique de son père qu’elle s’est promise de jouer chaque semaine :

« Ce sera ma façon de fleurir sa mémoire, de le découvrir. Je retracerai sa vie pas à pas, note à note. »

C’est en effet à la mort de ce père à la fois tendre et ombrageux que commence le journal de Chouchou visité par les silhouettes des amis compositeurs de Debussy, André Caplet, Jean Roger-Ducasse, Érik Satie. On y croise aussi Maurice Ravel qui inspirait à Debussy une admiration agacée.

Que ce journal soit pure fiction, œuvre de romancier, n’enlève rien aux expériences et vérités essentielles que tout lecteur y reconnaîtra comme siennes. La fille face à l’énigme du père dans sa routine et son prestige, et, plus compliqué encore quand il s’agit d’un père qui est aussi un des plus grands compositeurs de l’histoire de la musique, face une perception du monde toujours plus fine et complexe puisqu’elle traverse le prisme du génie artistique. Tout à la fois ce papa qui a ses petites manies (il n’aime pas faire sa toilette !) et ce père dans son îlot sombre :

« Je ressemble à papa. Je me demandais toujours à quoi il pouvait bien penser, quand il restait des heures assis sur le canapé, les yeux dans rien. Maintenant je sais : il ne pensait pas d’un fil, il faisait la planche sur sa tristesse, pour ne pas couler. »  

Mais Chouchou a en elle son propre génie pour ne pas ployer sous celui de son père. Elle a le génie de la vie en ses débuts, sa volonté d’insouciance, son pari sur la beauté malgré un contexte historique effrayant et une ambiance familiale parfois angoissante lorsqu’il arrive au ménage Debussy de céder aux inquiétudes du lendemain.

Comme tous les enfants déjà grands, Chouchou devient plus qu’à son tour l’instrument de cette conscience diffuse de l’impermanence, à l’instar de ce piano qui vibre dans la maison d’une musique et d’une pensée inédites, pas toujours faciles d’accès pour une pré adolescente confrontée à un père d’une telle stature, même s’il lui dédie Children’s Corner en ces mots : « À ma très chère Chouchou... avec les tendres excuses de son père pour ce qui va suivre. »

Aussi se réfugie-t-elle souvent dans des histoires qu’elle invente en sa solitude (notamment son petit feuilleton du naufragé aux prises avec sa bouteille à la mer — on dirait un des poèmes désolés d’Érik Satie) et dans la naissance d’un amour, quitte à faire une fois encore l’expérience de l’étrangeté masculine en la personne de Marius, un jeune garçon qui ne pense qu’à la mer. Chouchou, quant à elle, pense à l’amour :

« Pourquoi les gens mettent-ils un grand A au mot amour? C’est si intimidant. »

L’amour, mais aussi la mer rêvée par Chouchou, écrite par Debussy. Si souvent la mer, peut-être en filigrane, ainsi qu’on serait tenté de résumer un des choix narratifs de Damien Luce lorsqu’il emporte le lecteur avec une rare élégance et une incroyable empathie dans une conviction: la main qui tient la plume est en même temps celle d’une toute jeune fille et celle d’un romancier de haut vol.

Christian Cottet-Emard

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Extraits de la pièce Monsieur Debussy :

http://www.youtube.com/watch?v=RGwNosW3gaM