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01 avril 2014

Musique d’une vie : le journal de Chouchou Debussy

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Le conditionnel est le temps des enfants et des romanciers. Damien Luce qui cite Saint-John Perse sur son site internet (« Je travaille avec le sérieux d’un enfant qui joue ») y pensait peut-être en écrivant La Fille de Debussy : on dirait que la toute jeune fille d’un grand compositeur n’ayant survécu que de quelques mois à son père aurait en cette ultime et brève parenthèse tenu son journal... La première proposition est réelle (l’adolescente repose avec ses parents mais son prénom n’est pas gravé sur le marbre) et la seconde est un des romans les plus subtils et bouleversants de ce début d’année.

Pas besoin d’être musicien, compositeur, interprète, pianiste ou mélomane averti pour accéder à l’univers de la jeune Claude-Emma Debussy surnommée Chouchou par son illustre père. Certes, Damien Luce , né en 1978 à Paris, possède-t-il tous ces talents auxquels il faut ajouter ceux de comédien, de dramaturge et, pour le bonheur de ses lecteurs, celui d’écrivain avec ce troisième roman, La Fille de Debussy, qui nous ouvre les pages du journal intime imaginaire d’une petite fille de douze ans en plein déchiffrage du monde.lecture,blog littéraire de christian cottet-emard,damien luce,la fille de debussy,éditions héloïse d'ormesson,chouchou ou l'enfant muse,monsieur debussy,théâtre des variétés,paris,littérature,théâtre,journal intime,journal,journal imaginaire,andré caplet,jean roger-ducasse,érik satie,maurice ravel,le chambrioleur,cyrano de boudou,édition,roman,musique,piano

Ce monde en proie à la guerre qui tonne au loin aux cadences de la Grosse Bertha, l’espiègle Chouchou prématurément disparue n’en connaîtra que les premiers émois, juste le temps d’en ressentir toutes les beautés possibles à travers la musique de son père qu’elle s’est promise de jouer chaque semaine :

« Ce sera ma façon de fleurir sa mémoire, de le découvrir. Je retracerai sa vie pas à pas, note à note. »

C’est en effet à la mort de ce père à la fois tendre et ombrageux que commence le journal de Chouchou visité par les silhouettes des amis compositeurs de Debussy, André Caplet, Jean Roger-Ducasse, Érik Satie. On y croise aussi Maurice Ravel qui inspirait à Debussy une admiration agacée.

Que ce journal soit pure fiction, œuvre de romancier, n’enlève rien aux expériences et vérités essentielles que tout lecteur y reconnaîtra comme siennes. La fille face à l’énigme du père dans sa routine et son prestige, et, plus compliqué encore quand il s’agit d’un père qui est aussi un des plus grands compositeurs de l’histoire de la musique, face une perception du monde toujours plus fine et complexe puisqu’elle traverse le prisme du génie artistique. Tout à la fois ce papa qui a ses petites manies (il n’aime pas faire sa toilette !) et ce père dans son îlot sombre :

« Je ressemble à papa. Je me demandais toujours à quoi il pouvait bien penser, quand il restait des heures assis sur le canapé, les yeux dans rien. Maintenant je sais : il ne pensait pas d’un fil, il faisait la planche sur sa tristesse, pour ne pas couler. »  

Mais Chouchou a en elle son propre génie pour ne pas ployer sous celui de son père. Elle a le génie de la vie en ses débuts, sa volonté d’insouciance, son pari sur la beauté malgré un contexte historique effrayant et une ambiance familiale parfois angoissante lorsqu’il arrive au ménage Debussy de céder aux inquiétudes du lendemain.

Comme tous les enfants déjà grands, Chouchou devient plus qu’à son tour l’instrument de cette conscience diffuse de l’impermanence, à l’instar de ce piano qui vibre dans la maison d’une musique et d’une pensée inédites, pas toujours faciles d’accès pour une pré adolescente confrontée à un père d’une telle stature, même s’il lui dédie Children’s Corner en ces mots : « À ma très chère Chouchou... avec les tendres excuses de son père pour ce qui va suivre. »

Aussi se réfugie-t-elle souvent dans des histoires qu’elle invente en sa solitude (notamment son petit feuilleton du naufragé aux prises avec sa bouteille à la mer — on dirait un des poèmes désolés d’Érik Satie) et dans la naissance d’un amour, quitte à faire une fois encore l’expérience de l’étrangeté masculine en la personne de Marius, un jeune garçon qui ne pense qu’à la mer. Chouchou, quant à elle, pense à l’amour :

« Pourquoi les gens mettent-ils un grand A au mot amour? C’est si intimidant. »

L’amour, mais aussi la mer rêvée par Chouchou, écrite par Debussy. Si souvent la mer, peut-être en filigrane, ainsi qu’on serait tenté de résumer un des choix narratifs de Damien Luce lorsqu’il emporte le lecteur avec une rare élégance et une incroyable empathie dans une conviction: la main qui tient la plume est en même temps celle d’une toute jeune fille et celle d’un romancier de haut vol.

Christian Cottet-Emard

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Extraits de la pièce Monsieur Debussy :

http://www.youtube.com/watch?v=RGwNosW3gaM

16 février 2014

Carnet / D’une coccinelle, de la voix de Cendrars et d’une mauvaise pioche

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Par mégarde, j’ai tué une coccinelle que j’avais déjà vue immobile au coin de la fenêtre. J’étais en train d’écrire sous la lampe lorsque, sans doute dérangée par la chatte Linette, elle m’a frôlé l’oreille en s’envolant, ce qui m’a fait sursauter. Instinctivement, d’un revers de la main, j’ai chassé ce que je croyais être une mouche ou une araignée. J’ai récupéré la coccinelle sur mon clavier mais elle ne bougeait plus, ailes et élytres de travers.
Cet incident qui m’a attristé me fait penser à la vision qu’a Michel Houellebeck de la nature considérée comme ennuyeuse et hostile (« La forêt vous étreint dans son rêve cruel »). Moins radical sur ce sujet, je reconnais tout de même qu’il m’est difficile d’oublier qu’à chaque instant de notre vie, la nature nous met en situation de supprimer le plus souvent à notre insu d’autres vies qu’elle a créées. Déprimant constat qui suffit à lui seul à réduire toute philosophie et toute croyance aux limites de la fiction.

Voix de Blaise Cendrars
J’entends pour la première fois la voix de Blaise Cendrars en archive sonore l’autre soir sur France Musique dans le cadre de l’émission Greniers de la mémoire consacrée à Érik Satie. Au lieu de la voix grave qu’on imagine par automatisme à un physique de baroudeur tel que celui de Cendrars, c’est la voix d’un vieux monsieur, haut perchée et pâteuse, légèrement nasillarde, qui raconte un épisode touchant et comique de son amitié avec Satie.
Il s’agit pour Cendrars de raccompagner Satie à travers Paris jusqu’à son train qui le mènera chez lui à Arcueil en banlieue pour l’empêcher de dépenser en chemin, notamment dans des tabacs et des bistrots, tout l’argent d’un des rares chèques qu’il vient de toucher en rétribution de sa musique. Rapportée par Cendrars qui s’ingénie à élaborer un itinéraire pauvre en troquets, l’anecdote est savoureuse et désopilante, pleine de tendresse et d’une magnifique humanité aussi.
Malgré son génie, plus probablement à cause de son génie, Érik Satie n’a pas eu beaucoup de chance dans sa vie mais il a quand même eu celle de copiner avec Blaise Cendrars. De son côté, Cendrars ne pouvait que bien s’entendre avec un compositeur qui a fait huit jours de prison pour avoir répondu à un critique musical hostile  : « Monsieur et cher ami, vous n'êtes qu'un cul, mais un cul sans musique » .
Pour en revenir à la voix de Cendrars, le fait de l’avoir écoutée m’a donné envie de le relire. Juste une chose qui m’est incompréhensible chez Cendrars : pourquoi s’est-il engagé dans la première guerre mondiale (avec pour conséquence d’y perdre son bras droit) alors que rien ne l’y obligeait en tant que citoyen suisse ? Un mystère pour un homme de mon caractère et de mon époque...

Mauvaise pioche ?
Contrarié par ce qui semble une mauvaise pioche. Depuis le temps que j’entends parler d’Alice Munro (prix Nobel de littérature 2013) j’ai acquis un de ces nombreux recueils de nouvelles, Fugitives (éditions Points). Découragé par la première qui me tombe des mains dès le début, je vais en essayer d’autres mais je crois que je suis mal parti pour trouver la porte d’entrée dans cet univers... 

13 février 2014

Aventures d’une casquette magique

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Au milieu des années soixante du siècle dernier, ma mère m’emmenait chez le coiffeur et le bonhomme en était quitte pour un quart d’heure d’épopée, de récits haletants et baroques dont les épisodes avaient tous pour cadre le modeste appartement familial et la vieille demeure des grands-parents. Si l’homme aux ciseaux ne connaissait pas depuis des décennies les deux respectables familles, il aurait peut-être pu se laisser convaincre — non pas que mes parents étaient des agents secrets un peu sorciers sur les bords — mais que l’ambiance à la maison pouvait être perturbée, qu’on ne me laissait pas assez dormir ou qu’on me donnait trop de café. Ainsi ne trouvait-il rien de mieux à dire à ma mère d’un ton mi-admiratif mi-perplexe après m’avoir rendu à ma casquette à carreaux et pompon « mais où va-t-il chercher tout ça ? » , question des plus pertinentes puisque je continue moi-même à me la poser aujourd’hui, une petite quarantaine d’années plus tard.

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 La fameuse casquette, justement, (à carreaux et pompon) aurait pu fournir au coiffeur un élément de réponse s’il avait eu le temps, entre deux bols, de jeter en direction de la rue un œil à travers la vitre opaque de son salon aux fauteuils chromés garnis de moleskine rouge, ce jour où il aurait pu voir un coup de vent soulever le ridicule couvre-chef de ma brosse toute fraîche pour l’envoyer se poser dans la vespasienne aujourd’hui disparue et qui, je le note au passage, manque beaucoup en cette époque funeste où un petit pipi vous coûte vingt centimes d’une monnaie forte. Au rendez-vous suivant, il aurait en effet logé la source d’inspiration de l’incroyable histoire de casquette magique qui s’envole toute seule de la tête d’un enfant qui ne l’aime pas et qui, un peu aidée par le zéphyr tout de même, retombe dans une pissotière où le destin la soustrait à l’infamie en la faisant atterrir sur la tête d’un occupant de l’édicule, un clochard qui avait justement perdu la sienne et qui en avait bien besoin d’une nouvelle, certes pas tout à fait à sa taille.

« Mais où va-t-il chercher tout ça, cet enfant ? » Pas très loin, pourvu qu’il ait un bon public. J’en trouvai un au cours préparatoire, certes limité à une personne mais de qualité puisqu’il s’agissait du maître d’école, pas méchant mais de sinistre aspect avec son air ténébreux et sa haute silhouette ascétique surmontée d’une veste sombre posée sur les épaules comme une pèlerine d’où pouvaient promptement s’envoler à destination de nos joues roses deux paumes aussi larges que des assiettes. Je les entends encore claquer sur ma figure le jour où, pour moi et quelques autres, elles se firent l’instrument du châtiment que nous attirâmes sur nous après avoir passé une semaine à pousser des hurlements sauvages dans la nef de l’église, juste pour le plaisir de réveiller un écho que le curé n’apprécia pas.

Cette mémorable mornifle ne me dissuada point de raconter à ce maître redouté, devant l’auditoire ébahi de mes camarades et avec un luxe de détails des plus réalistes, un voyage à New York qui n’était pas tout à fait imaginaire puisque ma jeune marraine s’y était transportée en avion en compagnie des membres de sa chorale « do, mi, sol ,do » . Sans vouloir me vanter, j’avais si bien puisé dans ses multiples anecdotes pour étoffer mon récit que le maître, hélas, n’eut de cesse d’en connaître d’autres détails lorsqu’il rencontra mes parents.

L’homme au tableau noir et au regard de la même couleur ne m’infligea aucune sanction et s’abstint de tout commentaire, à ma grande surprise car je m’attendais plutôt à un envol fulgurant suivi d’un raid de représailles de ses grosses paluches contre mes joues déjà bien rougissantes. J’étais encore trop jeune pour savoir qu’on pardonne beaucoup à ceux qui savent raconter de belles histoires et que ce don peut propulser tout individu pas forcément bien intentionné dans les hautes sphères de l’économie et de la politique (de nos jours sœurs jumelles) mais je crois me souvenir de l’étrange sensation qui m’étreignit ce jour-là : je venais de découvrir la puissance de la narration.

Photo : le vieux salon de coiffure et ses fauteuils moleskine (photo © MCC)

Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ?  éditions Le Pont du Change à Lyon (Un recueil de 96 pages, format 11 x 18 cm. 13 € port compris. ISBN 978-2-9534259-1-8). En vente aux éditions Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert, 69003 Lyon. BON DE COMMANDE