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03 novembre 2020

Jean-Jacques Nuel a lu Aux grands jours, paru cet été.

Quand on publie de la poésie depuis plus de trente ans, la tentation est grande de faire un retour sur ses débuts et de chercher à comprendre le chemin de son évolution personnelle jusqu'aux plus récentes œuvres. Des questions se posent inévitablement : ces textes anciens sont-ils encore valables, encore lisibles ? Pour ceux qui résistent à un examen critique, ne méritent-ils pas d'être corrigés, voire réécrits ? Est-il bon de les rééditer ?

cce-agj.jpgToutes ces interrogations, Christian Cottet-Emard les a faites siennes, et s'est finalement décidé à republier ses recueils passés. Comme s'il voulait mettre de l'ordre dans ses papiers. Pour solde de tout compte. En choisissant une voie médiane : ne pas republier en l'état d'origine, ne pas tout réécrire, mais corriger. En veillant à ce que les modifications apportées ne nuisent pas à l'élan vital originel.

Pari réussi. Cinq recueils parus entre 1992 et 2004 sont ici regroupés, par ordre chronologique.  : Le passant du grand large, L'alerte joyeuse, La jeune fille, Le monde lisible, Le pétrin de la foudre. Suivent quelques textes ajoutés en fin de volume.

Malgré l'ancienneté de leur conception, tous ces textes témoignent déjà d'une grande maîtrise dans l'écriture, et surtout, ils permettent de mesurer l'évolution, tant dans l'inspiration que dans la forme du vers employé, depuis les premiers textes où se devine parfois l'influence de René Char jusqu'aux derniers plus personnels, plus originaux et aboutis, plus amples, comme dans cet extrait du Monde lisible :

« La flaque d'eau toujours à la même place sur la route forestière où attend la vieille voiture n'est ni le miroir ni le contraire du monde, juste une facette de ce diamant qu'on appelle la Terre. » .

Deux textes rajoutés sont d'une grande originalité : La jeune fille aux sandales de sable et L'île des libellules transparentes sont des œuvres de quatre pages dont l'écriture se situe entre prose et vers, racontant une histoire en versets, toute de mystère et de délicatesse. On a l'impression de découvrir un nouveau genre littéraire.

Jean-Jacques Nuel 

Détails ici

En vente sur : https://www.amazon.fr/Aux-grands-jour...

 

22 octobre 2020

Carnet / Le point où j’en suis (notes en désordre). Volet 2 : à propos de l’écriture et de la publication.

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Lorsque j’étais lycéen, je tenais déjà des carnets dans lesquels j’avais l’habitude de commencer chaque année avec une note parfois intitulée Le point où j’en suis. J’avais emprunté ce titre à André Pieyre de Mandiargues, un poète que je lisais souvent à la fin des années soixante-dix. Ces notes étaient beaucoup plus triviales que les poèmes du recueil de Mandiargues écrits selon lui dans une époque de solitude et de manque, où se faisait sentir une forte nostalgie de tendresse, accompagnée d’un humour assez noir.

Je me croyais durant ces années dans un état d’esprit semblable mais je comprends aujourd’hui qu’il s’agissait plus de désir de vie, d’élan vital, que de manque ou de nostalgie, celle-ci étant généralement étrangère à l’adolescence. Quant au manque, le lycéen que j’étais n’a pas mis longtemps à comprendre comme tout le monde qu’il était le frère du désir et que les deux étaient en quelque sorte des jumeaux condamnés à se tourner éternellement le dos sans jamais pouvoir se séparer.

Plus de quarante ans après, je lis moins la poésie d’André Pieyre de Mandiargues même si je peux encore parfois m’abreuver à la source claire de L’Âge de craie et il arrive même que certains textes que j’avais marqués en cornant une page me soient devenus hermétiques comme si une porte subitement ouverte sur un paysage de lumineux mystères s’était refermée en silence.

Il est vrai que pour ma découverte de la littérature et de la poésie, en jeune homme pressé, j’avais choisi l’entrée du merveilleux, la plus commode mais pas toujours la plus fiable. Ce merveilleux, j’étais si déterminé à le trouver qu’effectivement je le trouvai et qu’il en devint encombrant au point que j’eusse à m’en défaire d’une grande part.

Tout cela s’agitait dans la tête d’un jeune homme de la deuxième moitié du vingtième siècle qui, pour tenter de contrôler la fièvre de cet âge impatient, tentait de fixer le point où il en était sur la première page du carnet de l’an nouveau. Où en suis-je donc quatre décennies plus tard en cette fin 2020 ?

Faire des livres comme le pommier fait des pommes

Depuis quelques années, je constate que mon rapport à l’écriture et à la publication de mes livres s’est agréablement simplifié. Je me suis longtemps posé tout un fatras de questions souvent dérangeantes à ce sujet mais ce n’est désormais plus le cas. Je fais des livres comme le pommier fait des pommes.

Il m’arrive certes encore d’éprouver un certain vertige en parcourant les rayonnages des librairies où tant d’ouvrages parus à l’enseigne de grandes et petites maisons ne font que passer avant de partir chez les soldeurs ou au pilon. Cette sensation désagréable me perturbe maintenant beaucoup moins qu’à l’époque où il fallait toute une logistique pour que la nouvelle de la parution d’un livre arrive jusqu’aux lecteurs.

Nous avons aujourd’hui basculé dans un nouveau monde que j’apprécie, un monde dans lequel le plus confidentiel des ouvrages écrit par l’auteur le moins communiquant qui soit est toujours disponible quelque part en quelques clics sur un écran d’ordinateur ou de téléphone. Lorsque paraît un de mes livres, les réactions et les critiques positives ou négatives me parviennent par le même canal, ce qui est plutôt reposant. Et lorsqu’il n’y a pas de réaction, cela ne m’empêche pas de travailler au livre suivant.

Sur le plan de l’écriture, jamais je ne me suis senti aussi libre. Si un texte ne trouve pas son chemin dans l’édition papier, je le publie sur internet. Si je constate que j’ai été mal compris, j’en conclus que je me suis mal exprimé et je corrige si j’en ai envie ou si je le juge utile, ce qui ne l’est pas toujours.

Depuis mes débuts, j’ai eu plusieurs éditeurs parmi lesquels Éditinter, Nykta, Le Pont du change, Germes de barbarie (je ne nomme que ceux qui ont fait du bon travail). Deux d’entre eux qui se reconnaîtront sont aussi des amis sûrs. Lorsque j’exprime des réserves sur la petite édition qu’on appelle aussi l’édition indépendante ou alternative, je n’inclus pas ces amis dans ces critiques parce qu’avec eux, je ne suis pas en affaire mais en amitié. Je peux également prendre à tout moment la décision d’éditer certains textes (pas tous ) sur Amazon si je le souhaite.

Voilà en tous cas qui me console de vivre dans des temps qui ne me conviennent pas toujours sur bien d’autres plans mais ceci est une autre histoire !

Photo : un de mes carnets.

 

05 octobre 2020

La jeune fille aux sandales de sable

En vain la mer fait le voyage

Du fond de l'horizon pour baiser tes pieds sages.

Tu les retires

Toujours à temps.

 

- Léon-Paul Fargue -

 

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La jeune fille pose le pied sur le quai désert. Elle est chaussée de tennis à la toile défraîchie par le voyage.

 

Dans un nuage des montagnes, l'autorail s'est enveloppé d'une pellicule de gouttelettes.

 

Maintenant qu'il ronronne à l'arrêt sous le soleil de la plaine, quelques irisations perlent encore à la surface de ses tôles et de ses vitres grasses.

 

Unique passagère à descendre dans cette gare, la jeune fille tire sa valise souple à roulettes à l'ombre d'un cèdre où elle a repéré un banc en ciment ébréché.

 

Elle repense aux jardins piquetés de Perce-neige qu'elle a quittés pour ce pays où mûrissent des citrons.

Cette pensée lui vient à la vue d'un lampadaire encore inexplicablement allumé dont le verre a la forme d'un citron mais dont la lumière inutile évoque la blancheur scarieuse des globes de Perce-neige.

 

Les dernières brumes du petit matin s'effilochent dans la chaleur.

 

La jeune fille jette un rapide regard autour d'elle, délace ses tennis et étend ses pieds moites dans un rayon de soleil. Lorsqu'ils sont secs et lisses, elle se rechausse à regret, se lève et tire sa valise à roulettes.

 

Elle traverse les voies puis marche un moment dans des rues encore vides.

 

Du haut d'un mur délabré, un chat la regarde passer en clignant des yeux.

 

D'un pas régulier, elle effleure la poussière sans prêter attention à son ombre le long des dignes façades rayées de persiennes. Parfois, les roulettes de la valise se bloquent en crissant sur du sable.

 

Bientôt, les murs des maisons perdent de leur superbe et l'ombre de la jeune fille s'étire contre une haute palissade de bois clair.

 

Apparaît une porte de bois lessivée par les intempéries et ornée d'un heurtoir en forme d'hippocampe.

 

La jeune fille frappe, ouvre la porte et cela provoque un courant d'air tiède qui dépose une fleur de sel sur ses lèvres.

 

Dès que la porte est refermée, une brise à peine plus fraîche l'enveloppe doucement.

 

Immobile, elle frissonne devant l'océan qui respire comme un gros chat endormi puis tire de nouveau sa valise sur un chemin de caillebotis.

 

Elle s'arrête pour enlever ses tennis dont elle lie les lacets pour les suspendre autour de son cou.

 

La brise marine vient apaiser ses pieds nus sur les lamelles de bois.

 

Un vendeur d'étoffes et de bimbeloterie s'écarte devant elle et lui conseille de prendre garde aux clous qui peuvent dépasser car, insiste-t-il, il n'est pas question de blesser et d'abîmer des pieds aussi fins et délicats qui ne sauraient se contenter de sandales de sable alors que de belles espadrilles jaunes, violettes, bleues ou rouges vraiment pas chères les protégeraient en beauté.

 

Heures, minutes, et secondes se dissolvent dans le temps spécifique des dunes.

 

Le vendeur, le chat qui cligne des yeux, l'autorail irisé, le voyage, tout est reparti au large.

 

Quant à la jeune fille, elle marche dans l'écume et éprouve une joie tranquille.

 

Elle ne s'étonne en rien de sa propre splendeur ni de celle du paysage maritime.

 

Elle pense juste, en regardant ses pieds, qu'à chaque flux et reflux, l'océan s'amuse à lui retirer ses sandales de sable.

 

aux grands jours,club,christian cottet-emard,la jeune fille aux sandales de sable,recueil,récit onirique,blog littéraire de christian cottet-emard,club littéraire des amateurs de cigares,édition,autorail,océan,voyageExtrait de mon recueil récemment paru Aux grands jours.

Tableau : Seul à la plage - Hughie-Lee Smith, 1957.