27 avril 2012
Tu écris toujours ? (70)
Conseils aux écrivains tentés par la politique
(Cet épisode de Tu écris toujours ? est paru dans le trimestriel le Magazine des livres n°34, février-mars-avril 2012).
Vous savez ce qu’on dit : le journalisme mène à tout à condition d’en sortir. Vous en êtes donc sorti très vite, enchanté par la perspective de ce grand tout qui se révéla finalement peu de chose en raison de votre choix hasardeux au moment de votre reconversion. Le petit jeune que vous étiez préféra la littérature à la politique, ce qui est bien compréhensible, mais le petit vieux que vous êtes en train de devenir se prend parfois à douter voire à regretter, ce qui peut tout aussi bien se comprendre.
Eh bien rassurez-vous, il n’est pas trop tard pour démarrer une carrière d’élu car si la gloire littéraire est une affaire de vieux messieurs, il en va de même de la politique. Certes, devrez-vous renoncer à votre superbe isolement et renouer avec le contact humain qui est une bonne chose à condition de ne pas en abuser. Après ce premier pas franchi, vous devrez retrouver d’anciennes connaissances, vous savez, tous ces gens qui semblaient ne plus vous reconnaître dans la rue, non pas parce que vous aviez changé de visage après une opération de chirurgie esthétique mais à cause de la disparition de votre signature dans les colonnes du Républicain Populaire Libéré du Centre. Attention, une démarche pénible est indispensable à ces retrouvailles : réintégrer la rédaction du Républicain Populaire Libéré du Centre, par la petite porte s’il le faut, même en acceptant de courir la pige locale. Au bout de quelques jours, le réseau social reprendra aussi vite qu’une mayonnaise remontée à l’huile. Les notables et les élus du peuple qui semblaient tous atteints d’une épidémie de myopie au lendemain de votre départ de la presse recouvreront subitement une excellente vue en vous croisant de nouveau au goûter des anciens, aux conseil municipal et aux vœux de la société crématiste Les Feux follets. Miraculeux ! Et je ne vous parle pas de la brochette des directeurs de la communication qui vous dispenseront à nouveau leur onctueuse politesse traduite en ces molles poignées de mains qui firent écrire à un auteur célèbre « Il avait la main froide comme un serpent ».
Ainsi réinvesti au centre de la vie locale, vous prendrez la présidence d’une association, de préférence pas trop active et modérément utile qui ne risquera point de vous distraire de votre vrai but, engloutir une portion ou quelques miettes du gâteau du pouvoir politique. L’idéal est la présidence honoraire qui consiste à jouir du titre sans l’obligation d’exercer le mandat. Dans ce cas, allez-y gaiement, cumulez les présidences honoraires. Après ces petites corvées, vous passerez vite aux choses sérieuses. À ce stade, vous devrez vous montrer attentif à quelques signes tels que des accolades marquées de la part d’élus influents lors d’un vin d’honneur ou de quelque cacahuète partie, ou encore d’ostensibles apartés auxquels vous convieront des personnalités à la fin d’une inauguration ou lors d’un entracte. Quelques mois avant le début d’une élection, un élu populaire vous invitera à un petit-déjeuner au cours duquel vous aurez l’impression de passer un examen. C’est désagréable mais tout de même préférable aux petits-déjeuners auxquels les entreprises, sous prétexte de convivialité et de décontraction au travail, « invitent » leurs collaborateurs terrorisés à grignoter des viennoiseries en se regardant en chiens de faïence pour tenter de détecter les voyageurs au départ du prochain wagon à destination de Pôle Emploi. Ah oui, vous êtes désormais loin de la littérature et vous devrez peut-être envisager de discrètes expéditions chez le libraire et à la maison de la presse pour purger ces points de vente des rares exemplaires encore en rayon de votre dernier roman dans lequel vous brossiez à gros traits quelques portraits satiriques désormais compromettants.
Vous voilà maintenant sur orbite.
Pourquoi n’ai-je quant à moi pas suivi le même chemin ? Parce que je n’ai jamais eu de goût pour la politique. Dès l’enfance, durant les réunions de famille, j’ai constaté comme beaucoup que la politique gâchait le dessert et parfois le repas entier. La politique vaut-elle qu’on avale de travers un gâteau cuisiné avec amour par le maître ou la maîtresse de maison ? Évidemment non, ce qui est d’autant plus vrai que la politique n’existe plus. L’économie l’a remplacée. Ceci dit, pour en revenir à votre tentation de nouveau départ en politique, je peux comprendre qu’en irréductible littéraire que vous êtes, vous soyez séduit par l’idée de vous lancer dans une activité qui n’existe plus.
Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE). Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change à Lyon (Un recueil de 96 pages, format 11 x 18 cm. 13 € port compris. ISBN 978-2-9534259-1-8). En vente aux éditions Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert, 69003 Lyon. BON DE COMMANDE
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27 mars 2012
Antonio Tabucchi (24 septembre 1943 - 25 mars 2012)
« ... et la vie était là, paisible, scandée par notre voisin le grillon, et cette nuit était la meilleure de toutes les nuits, parce que c’était une nuit liquide, semblable à la pulpe d’un abricot. »
Antonio Tabucchi (Extrait de Message de la pénombre, dans le recueil Les oiseaux de Fra Angelico, éditions 10/18.)
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22 janvier 2012
Tu écris toujours ? (69)
Conseils aux écrivains qui veulent devenir célèbres
(Cet épisode de Tu écris toujours ? est paru dans le bimestriel Le Magazine des livres n°33, décembre 2011/janvier 2012.)
Vous écrivez et vous voulez devenir célèbre ? J’espère que votre esprit fatigué par les blêmes nuits passées à infliger vos turpitudes à la mémoire d’un pauvre ordinateur qui ne vous a pourtant rien fait de mal ne conçoit pas sérieusement un tel projet.
Sachez en effet que la plupart des écrivains comblés par la notoriété puis la célébrité n’ont plus qu’un désir une fois leur fortune faite : se faire oublier. Mon voisin, auteur d’un unique best-seller, est aujourd’hui si las des contraintes de la vie publique qu’il passe désormais son temps à essayer de disparaître. Son rêve le plus cher, devenir l’homme invisible. Rendez-vous compte que ce forçat du succès aussi couvert d’honneurs qu’un poitrail de maréchal soviétique peut l’être de médailles n’a plus qu’une seule ambition, devenir un anonyme comme vous, oui comme vous qui désirez bêtement devenir comme lui ! Le mal qu’il se donne pour tenter de se faire oublier, je ne vous dis que ça. Les vacances dans la Creuse, la cabane au Canada avec les ours qui viennent se goinfrer dans la poubelle, la résidence principale au fond d’une combe jurassienne où l’on doit escalader un épicéa columnaire de quarante mètres pour profiter de cette merveille technologique qu’est un téléphone mobile dans lequel on aboie « t’es où, tu fais quoi ? » histoire de se rappeler un instant ce qu’est la civilisation, l’obligation d’engager une gouvernante, l’austère Madame Tumbelweed non pas laide mais au physique, comment dire... difficile à seule fin de se protéger de la tentation des amours ancillaires en ces contrées reculées, le remords d’avoir cédé, d’autant plus cuisant que la tentation était faible, les longues veillées d’hiver quand la télévision numérique tombe en panne à cause de la neige accumulée sur l’antenne parabolique, la compagnie parfois superflue du chat Sir Alfred lorsqu’il est en proie à ses crises de météorisme provoquées par l’ingestion excessive de taupes qu’on pourrait croire acharnées à continuer les activités fouisseuses de leur séjour terrestre jusque dans l’intestin du pauvre félin (il le sait pourtant qu’il ne doit pas avaler les deux pattes de devant surdimentionnées et coriaces à force de creuser des galeries et d’élever des monticules), sans parler des courses (en aucun cas dans les attributions de la gouvernante) à la supérette du village où l’on finit par se demander si la flambée du prix de la boîte de cassoulet industriel ne s’expliquerait pas par l’alignement du cours du fayot sur celui du pétrole.
Ah, c’était bien la peine d’en arriver là, de noircir deux cents petits feuillets qu’un éditeur accepta de faire imprimer en gros caractères après avoir imposé à l’auteur d’insérer les mots « amour » et « enfant » dans le titre du futur best-seller finalement et fort stupidement intitulé L’Amour est enfant de poème, le mot « poème » ayant été arraché de haute lutte par mon voisin à l’époque où il n’avait pas encore fait ses adieux définitifs aux amis de la poésie. De guerre lasse l’éditeur avait cédé, en gage d’exorbitante concession à un de ces caprices d’auteur qui peuvent coûter des quintaux de retours, surtout si le produit est destiné aux têtes de gondoles des linéaires d’hypermarchés.
Voilà ce que risque de vous apporter cette célébrité que vous enviez tant à mon malheureux voisin. Sur mon conseil avisé, cet homme à bout, désormais fasciné par les phasmes qu’il collectionne en raison de la capacité de ces insectes à se confondre avec les brindilles, en est aujourd’hui réduit à se documenter sur des machines à dédicacer à distance, l’une inventée, dit-on, par la romancière Margaret Atwood, l’autre encore plus récente, permettant toutes deux d’envoyer un autographe à un lecteur à l’autre bout du monde en restant bien planqué derrière l’ordinateur.
Pour me remercier de cette excellente idée qui l'a conduit à s’équiper au plus vite, mon voisin m’a justement invité ce soir à une démonstration de dédicace virtuelle suivie du fameux canard à l’orange de Madame Tumbelweed. D’après le fumet que je hume depuis ma fenêtre, ce délice encore invisible pour l’instant n’aura quant à lui rien de virtuel. Encore heureux.
Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE), inédit. Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change à Lyon (Un recueil de 96 pages, format 11 x 18 cm. 13 € port compris. ISBN 978-2-9534259-1-8). En vente aux éditions Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert, 69003 Lyon. BON DE COMMANDE
La suite de mon feuilleton dans le Magazine des livres n°34, février-mars-avril 2012, qui vient de sortir en kiosques : Conseils aux écrivains tentés par la politique.
12:00 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : feuilleton, tu écris toujours ?, christian cottet-emard, littérature, humour, lafont presse, écrivain, auteur, magazine des livres, éditions le pont du change, lyon, paris, célébrité, magazine des livres n°33, kiosques, presse, chronique