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29 avril 2020

Aventures d'une casquette magique

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Pourquoi me suis-je un jour mis en tête d’écrire des histoires et d’en faire ma principale activité ? Plusieurs réponses me viennent à l’esprit chaque fois que je m’interroge à ce sujet, signe que la raison principale de ce choix reste obscure.

Au milieu des années soixante du siècle dernier, ma mère m’emmenait chez le coiffeur et le bonhomme en était quitte pour un quart d’heure d’épopée, de récits haletants et baroques dont les épisodes avaient tous pour cadre le modeste appartement familial et la vieille demeure des grands-parents. Si l’homme aux ciseaux ne connaissait pas depuis des décennies les deux respectables familles, il aurait peut-être pu se laisser convaincre — non pas que mes parents étaient des agents secrets un peu sorciers sur les bords — mais que l’ambiance à la maison pouvait être perturbée, qu’on ne me laissait pas assez dormir ou qu’on me donnait trop de café. Ainsi ne trouvait-il rien de mieux à dire à ma mère d’un ton mi-admiratif mi-perplexe après m’avoir rendu à ma casquette à carreaux et pompon « mais où va-t-il chercher tout ça ? » , question des plus pertinentes puisque je continue moi-même à me la poser aujourd’hui, une petite cinquantaine d’années plus tard.

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La fameuse casquette, justement, (à carreaux et pompon) aurait pu fournir au coiffeur un élément de réponse s’il avait eu le temps, entre deux bols, de jeter en direction de la rue un œil à travers la vitre opaque de son salon aux fauteuils chromés garnis de moleskine rouge, ce jour où il aurait pu voir un coup de vent soulever le ridicule couvre-chef de ma brosse toute fraîche pour l’envoyer se poser dans la vespasienne aujourd’hui disparue et qui, je le note au passage, manque beaucoup en cette époque funeste où un petit pipi vous coûte vingt centimes d’une monnaie forte. Au rendez-vous suivant, il aurait en effet logé la source d’inspiration de l’incroyable histoire de casquette magique qui s’envole toute seule de la tête d’un enfant qui ne l’aime pas et qui, un peu aidée par le zéphyr tout de même, retombe dans une pissotière où le destin la soustrait à l’infamie en la faisant atterrir sur la tête d’un occupant de l’édicule, un clochard qui avait justement perdu la sienne et qui en avait bien besoin d’une nouvelle, certes pas tout à fait à sa taille.

« Mais où va-t-il chercher tout ça, cet enfant ? » Pas très loin, pourvu qu’il ait un bon public. J’en trouvai un au cours préparatoire, certes limité à une personne mais de qualité puisqu’il s’agissait du maître d’école, pas méchant mais de sinistre aspect avec son air ténébreux et sa haute silhouette ascétique surmontée d’une veste sombre posée sur les épaules comme une pèlerine d’où pouvaient promptement s’envoler à destination de nos joues roses deux paumes aussi larges que des assiettes. Je les entends encore claquer sur ma figure le jour où, pour moi et quelques autres, elles se firent l’instrument du châtiment que nous attirâmes sur nous après avoir passé une semaine à pousser des hurlements sauvages dans la nef particulièrement sonore de l’église Saint Léger d'Oyonnax, juste pour le plaisir de réveiller un écho que le curé n’apprécia pas.

Cette mémorable mornifle ne me dissuada point de raconter à ce maître redouté, devant l’auditoire ébahi de mes camarades et avec un luxe de détails des plus réalistes, un voyage à New York qui n’était pas tout à fait imaginaire puisque ma jeune marraine s’y était transportée en avion en compagnie des membres de sa chorale do, mi, sol, do. Sans vouloir me vanter, j’avais si bien puisé dans ses multiples anecdotes pour étoffer mon récit que le maître, hélas, n’eut de cesse d’en connaître d’autres détails lorsqu’il rencontra mes parents.

L’homme au tableau noir et au regard de la même couleur ne m’infligea aucune sanction et s’abstint de tout commentaire, à ma grande surprise car je m’attendais plutôt à un envol fulgurant suivi d’un raid de représailles de ses grosses paluches contre mes joues déjà bien rougissantes. J’étais encore trop jeune pour savoir qu’on pardonne beaucoup à ceux qui savent raconter de belles histoires et que ce don peut propulser tout individu pas forcément bien intentionné dans les hautes sphères de l’économie et de la politique (de nos jours sœurs jumelles) mais je crois me souvenir de l’étrange sensation qui m’étreignit ce jour-là : je venais de découvrir la puissance de la narration.

Photos : modèle de casquette à pompon qui atterrissait assez souvent sur la tête des enfants des années soixante.

Le vieux salon de coiffure et ses fauteuils moleskine.

Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? © éditions Le Pont du Change, 2010.

 

 

13 février 2014

Aventures d’une casquette magique

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Au milieu des années soixante du siècle dernier, ma mère m’emmenait chez le coiffeur et le bonhomme en était quitte pour un quart d’heure d’épopée, de récits haletants et baroques dont les épisodes avaient tous pour cadre le modeste appartement familial et la vieille demeure des grands-parents. Si l’homme aux ciseaux ne connaissait pas depuis des décennies les deux respectables familles, il aurait peut-être pu se laisser convaincre — non pas que mes parents étaient des agents secrets un peu sorciers sur les bords — mais que l’ambiance à la maison pouvait être perturbée, qu’on ne me laissait pas assez dormir ou qu’on me donnait trop de café. Ainsi ne trouvait-il rien de mieux à dire à ma mère d’un ton mi-admiratif mi-perplexe après m’avoir rendu à ma casquette à carreaux et pompon « mais où va-t-il chercher tout ça ? » , question des plus pertinentes puisque je continue moi-même à me la poser aujourd’hui, une petite quarantaine d’années plus tard.

magazine des livres, lafont presse, tu écris toujours ?, feuilleton, christian cottet-emard, blog littéraire, conseils aux écrivains, éditions le pont du change, lyon, paris, humour, littérature, presse, chronique, édition, vie littéraire, politique, écrivain, auteur,coiffeur,salon de coiffure,fauteuils moleskine,coupe au bol,brosse,casquette,pompon,vespasienne,pissotière,new york,usa,chorale do mi sol do,oyonnax,école jeanne d'arc,ciseaux

 La fameuse casquette, justement, (à carreaux et pompon) aurait pu fournir au coiffeur un élément de réponse s’il avait eu le temps, entre deux bols, de jeter en direction de la rue un œil à travers la vitre opaque de son salon aux fauteuils chromés garnis de moleskine rouge, ce jour où il aurait pu voir un coup de vent soulever le ridicule couvre-chef de ma brosse toute fraîche pour l’envoyer se poser dans la vespasienne aujourd’hui disparue et qui, je le note au passage, manque beaucoup en cette époque funeste où un petit pipi vous coûte vingt centimes d’une monnaie forte. Au rendez-vous suivant, il aurait en effet logé la source d’inspiration de l’incroyable histoire de casquette magique qui s’envole toute seule de la tête d’un enfant qui ne l’aime pas et qui, un peu aidée par le zéphyr tout de même, retombe dans une pissotière où le destin la soustrait à l’infamie en la faisant atterrir sur la tête d’un occupant de l’édicule, un clochard qui avait justement perdu la sienne et qui en avait bien besoin d’une nouvelle, certes pas tout à fait à sa taille.

« Mais où va-t-il chercher tout ça, cet enfant ? » Pas très loin, pourvu qu’il ait un bon public. J’en trouvai un au cours préparatoire, certes limité à une personne mais de qualité puisqu’il s’agissait du maître d’école, pas méchant mais de sinistre aspect avec son air ténébreux et sa haute silhouette ascétique surmontée d’une veste sombre posée sur les épaules comme une pèlerine d’où pouvaient promptement s’envoler à destination de nos joues roses deux paumes aussi larges que des assiettes. Je les entends encore claquer sur ma figure le jour où, pour moi et quelques autres, elles se firent l’instrument du châtiment que nous attirâmes sur nous après avoir passé une semaine à pousser des hurlements sauvages dans la nef de l’église, juste pour le plaisir de réveiller un écho que le curé n’apprécia pas.

Cette mémorable mornifle ne me dissuada point de raconter à ce maître redouté, devant l’auditoire ébahi de mes camarades et avec un luxe de détails des plus réalistes, un voyage à New York qui n’était pas tout à fait imaginaire puisque ma jeune marraine s’y était transportée en avion en compagnie des membres de sa chorale « do, mi, sol ,do » . Sans vouloir me vanter, j’avais si bien puisé dans ses multiples anecdotes pour étoffer mon récit que le maître, hélas, n’eut de cesse d’en connaître d’autres détails lorsqu’il rencontra mes parents.

L’homme au tableau noir et au regard de la même couleur ne m’infligea aucune sanction et s’abstint de tout commentaire, à ma grande surprise car je m’attendais plutôt à un envol fulgurant suivi d’un raid de représailles de ses grosses paluches contre mes joues déjà bien rougissantes. J’étais encore trop jeune pour savoir qu’on pardonne beaucoup à ceux qui savent raconter de belles histoires et que ce don peut propulser tout individu pas forcément bien intentionné dans les hautes sphères de l’économie et de la politique (de nos jours sœurs jumelles) mais je crois me souvenir de l’étrange sensation qui m’étreignit ce jour-là : je venais de découvrir la puissance de la narration.

Photo : le vieux salon de coiffure et ses fauteuils moleskine (photo © MCC)

Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ?  éditions Le Pont du Change à Lyon (Un recueil de 96 pages, format 11 x 18 cm. 13 € port compris. ISBN 978-2-9534259-1-8). En vente aux éditions Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert, 69003 Lyon. BON DE COMMANDE 

27 avril 2012

Tu écris toujours ? (70)

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(Cet épisode de Tu écris toujours ? est paru dans le trimestriel le Magazine des livres n°34, février-mars-avril 2012).



Vous savez ce qu’on dit : le journalisme mène à tout à condition d’en sortir. Vous en êtes donc sorti très vite, enchanté par la perspective de ce grand tout qui se révéla finalement peu de chose en raison de votre choix hasardeux au moment de votre reconversion. Le petit jeune que vous étiez préféra la littérature à la politique, ce qui est bien compréhensible, mais le petit vieux que vous êtes en train de devenir se prend parfois à douter voire à regretter, ce qui peut tout aussi bien se comprendre.

Eh bien rassurez-vous, il n’est pas trop tard pour démarrer une carrière d’élu car si la gloire littéraire est une affaire de vieux messieurs, il en va de même de la politique. Certes, devrez-vous renoncer à votre superbe isolement et renouer avec le contact humain qui est une bonne chose à condition de ne pas en abuser. Après ce premier pas franchi, vous devrez retrouver d’anciennes connaissances, vous savez, tous ces gens qui semblaient ne plus vous reconnaître dans la rue, non pas parce que vous aviez changé de visage après une opération de chirurgie esthétique mais à cause de la disparition de votre signature dans les colonnes du Républicain Populaire Libéré du Centre. Attention, une démarche pénible est indispensable à ces retrouvailles : réintégrer la rédaction du Républicain Populaire Libéré du Centre, par la petite porte s’il le faut, même en acceptant de courir la pige locale. Au bout de quelques jours, le réseau social reprendra aussi vite qu’une mayonnaise remontée à l’huile. Les notables et les élus du peuple qui semblaient tous atteints d’une épidémie de myopie au lendemain de votre départ de la presse recouvreront subitement une excellente vue en vous croisant de nouveau au goûter des anciens, aux conseil municipal et aux vœux de la société crématiste Les Feux follets. Miraculeux ! Et je ne vous parle pas de la brochette des directeurs de la communication qui vous dispenseront à nouveau leur onctueuse politesse traduite en ces molles poignées de mains qui firent écrire à un auteur célèbre « Il avait la main froide comme un serpent ».

Ainsi réinvesti au centre de la vie locale, vous prendrez la présidence d’une association, de préférence pas trop active et modérément utile qui ne risquera point de vous distraire de votre vrai but, engloutir une portion ou quelques miettes du gâteau du pouvoir politique. L’idéal est la présidence honoraire qui consiste à jouir du titre sans l’obligation d’exercer le mandat. Dans ce cas, allez-y gaiement, cumulez les présidences honoraires. Après ces petites corvées, vous passerez vite aux choses sérieuses. À ce stade, vous devrez vous montrer attentif à quelques signes tels que des accolades marquées de la part d’élus influents lors d’un vin d’honneur ou de quelque cacahuète partie, ou encore d’ostensibles apartés auxquels vous convieront des personnalités à la fin d’une inauguration ou lors d’un entracte. Quelques mois avant le début d’une élection, un élu populaire vous invitera à un petit-déjeuner au cours duquel vous aurez l’impression de passer un examen. C’est désagréable mais tout de même préférable aux petits-déjeuners auxquels les entreprises, sous prétexte de convivialité et de décontraction au travail, « invitent » leurs collaborateurs terrorisés à grignoter des viennoiseries en se regardant en chiens de faïence pour tenter de détecter les voyageurs au départ du prochain wagon à destination de Pôle Emploi. Ah oui, vous êtes désormais loin de la littérature et vous devrez peut-être envisager de discrètes expéditions chez le libraire et à la maison de la presse pour purger ces points de vente des rares exemplaires encore en rayon de votre dernier roman dans lequel vous brossiez à gros traits quelques portraits satiriques désormais compromettants.
Vous voilà maintenant sur orbite.

Pourquoi n’ai-je quant à moi pas suivi le même chemin ? Parce que je n’ai jamais eu de goût pour la politique. Dès l’enfance, durant les réunions de famille, j’ai constaté comme beaucoup que la politique gâchait le dessert et parfois le repas entier. La politique vaut-elle qu’on avale de travers un gâteau cuisiné avec amour par le maître ou la maîtresse de maison ? Évidemment non, ce qui est d’autant plus vrai que la politique n’existe plus. L’économie l’a remplacée. Ceci dit, pour en revenir à votre tentation de nouveau départ en politique, je peux comprendre qu’en irréductible littéraire que vous êtes, vous soyez séduit par l’idée de vous lancer dans une activité qui n’existe plus.

Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE). Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change à Lyon (Un recueil de 96 pages, format 11 x 18 cm. 13 € port compris. ISBN 978-2-9534259-1-8). En vente aux éditions Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert, 69003 Lyon. BON DE COMMANDE