27 septembre 2016
Le serpent de mer du service militaire obligatoire
À chaque campagne électorale, le serpent de mer du service militaire obligatoire ressurgit. Cette vieille lune n'est qu'un indicateur parmi d'autres de l'indigence des programmes des candidats de droite et de gauche à l'élection présidentielle. On notera au passage, ainsi que cela fut récemment et comiquement rappelé au journal télévisé, que les plus ardents défenseurs de cette ineptie économique et militaire qu'est le service national obligatoire (qu'il soit civil, civique ou militaire, peu importe l'adjectif dont on l'affuble) en ont été exemptés. Je ne citerai parmi eux que Ciotti et Mélenchon pour montrer qu'à droite comme à gauche, on n'a vraiment rien à proposer à la jeunesse déjà bien malmenée de ce pays. L'actualité me donne donc l'occasion de remettre en ligne cet article que j'avais publié le 1er février 2006.
Service national obligatoire : à qui profitent les émeutes ?
La vieille nostalgie franchouillarde du service militaire obligatoire hante toujours les recoins les plus moisis de certains esprits.
L’hebdomadaire “La Vie” (dont on se demande pourquoi il a renoncé à son nom d’origine (“La Vie catholique”) lance une pétition en faveur d’un service civique obligatoire, appel abondamment relayé par son grand frère Télérama, quant à lui bien inspiré de titrer “Mobilisation générale”. (On sent d’ailleurs, je me plais à le croire, un soupçon de scepticisme dans le papier de Luc Le Chatelier). Car il ne faut pas s’y tromper, malgré leur empressement à préciser “qu’il ne s’agit pas d’une quelconque nostalgie du service militaire”, ceux qui ont enfourché ce serpent de mer n’ont rien d’autre dans la tête, à l’exception des journalistes compromis dans cette initiative grotesque. Ces derniers, en professionnels aguerris, savent bien de quel engrais nourrir le pré carré de leurs chiffres de vente.
La liste des premiers signataires, publiée dans Télérama, parle d’elle-même et nous permet de constater une fois encore qu’il n’existe plus ni gauche ni droite dans ce pays, tout au plus un “centre” mou et baladeur dont les notables sont si désemparés qu’ils s’en trouvent réduits à aller fournater dans le magasin des accessoires les plus mités. Car le service national obligatoire (militaire ou non) est une vieille lune à peine éclipsée. Il est d’ailleurs utile de rappeler que la gauche avait engrangé des voix en promettant sa suppression, promesse qu’elle ne tint évidemment jamais puisque ce fut la droite qui passa aux actes.
On notera au passage le glissement rapide qu’a connu, entre l’automne et l’hiver, l’idée d’un service civique ou civil “volontaire” vers sa version “obligatoire”. Que va nous réserver le printemps ? Un nouveau glissement de “civique” ou “civil” (ah la subtilité du français !) vers “militaire” ? Encore tout récemment, la gauche ne s’est pas gênée pour exprimer son attachement à la conscription (Gremetz dans les couloirs de l’Assemblée Nationale et Hollande dans les colonnes du Monde, pour ne citer qu’eux).
La crise des banlieues, bon prétexte à ce regain d’ardeur à appeler la jeunesse sous les drapeaux, vaut donc à cette même jeunesse déjà bien malmenée par de croissantes difficultés dans ses tentatives de se construire une vie décente dans la société, un retour de bâton supplémentaire, celui de se retrouver avec l’épée de Damoclès du “service” sur la tête. Tous ceux qui ont connu cette époque du service national obligatoire se rappellent à quel point il était inadapté, foncièrement inégalitaire et handicapant au moment de l’entrée dans la vie professionnelle.
Sous prétexte qu’une frange de voyous sans foi ni loi s’en sont pris au bien public, c’est-à-dire à leur propre bien, et qu’ils ont incendié des autos dont les propriétaires n’avaient pas la chance de posséder un garage comme leurs compatriotes aux fin de mois moins difficiles, on pétitionne pour punir tout le monde. Dans cette affaire, on mesure l’inquiétant désarroi des élites qui nous gouvernent depuis trente ans avec une gauche qui est une véritable usine à recycler les utopies en cauchemars et une droite confite dans son obsession économiste. Cette gesticulation serait simplement pathétique si elle ne risquait pas de tourner au tragique en 2007, date à laquelle il sera dangereux de refaire aux électeurs le coup de “l’après 21 avril 2002.”
Quant au salmigondis qui tient lieu de manifeste à l’appel lancé par La Vie catholique, on y retrouve toutes les hypocrisies, disons même les prêches d’inspiration “Sabre et Goupillon” qui justifiaient en son temps le maintien aberrant du service militaire obligatoire : parodie de mixité sociale (comme si un an de caserne suffisait à faire oublier le faramineux écart économique et culturel entre les riches et les pauvres) et référence archaïque au sacrifice (pudiquement voilée de formules telles que “donner de son temps” ou, en version plus inquiétante, “contribution constituée par une part de notre vie d’homme, de femme”). Nous voilà prévenus : la caserne, ce sera aussi pour les filles. Quant aux belles notions de don, de gratuité et d’engagement, n’est-ce pas un comble de les voir si généreusement promues par des élites qui conçoivent et qui gèrent un système où tout est marchandise et qui prospèrent dans un monde où tout s’achète et se vend, notamment le temps, luxe suprême de plus en plus âprement négocié ? Ce fameux monde du travail où le dégagement est plus rapide que l'engagement...
Vous avez dit “mobilisation générale” ? Oui, contre le service obligatoire, qu’il soit civil, civique ou militaire ! Menaçons de retirer nos voix à tous les partis de gauche comme de droite qui persisteraient à vouloir agiter ce vieil épouvantail. Car sachons-le, en cas d’instauration d’un service national civique obligatoire, tout accès de fièvre bien prévisible dans un coin de la planète où la classe dominante jugera son petit commerce menacé aura tôt fait de le transformer de fait en service militaire.
24 septembre 2016
Grandes fêtes sous la lune
La jeune fille revint quinze jours plus tard. Amusée, elle composa ses initiales puis sa date de naissance sur le clavier et la porte se déverrouilla dans un déclic. Andrade avait bien entré ce nouveau code d’accès. Elle en fut flattée. Avant de gravir le grand escalier aux azulejos, elle inspecta son reflet dans les miroirs défraîchis et tenta de dompter une mèche rebelle en sachant très bien qu’elle n’y parviendrait pas.
Photo © Christian Cottet-Emard
Tout en haut, la porte entrouverte de la bibliothèque libérait un filet de musique. N’obtenant pas de réponse après avoir frappé, la jeune fille risqua quelques pas en direction de la masse sombre du bureau d’où ne se détachait que la lueur bleue de la lampe en pâte de verre et la silhouette immobile d’Andrade.
Affalé dans son fauteuil, il dormait dans une position inconfortable, la tête légèrement inclinée vers l’épaule. Elle n’avait plus qu’à repartir mais elle se ravisa en pensant qu’elle avait traversé la moitié de la ville. Elle espérait que sa présence dans la pièce suffirait à le réveiller mais elle remarqua un flacon presque vide et un verre sur le bureau. Elle le saisit et huma le bouquet rond et puissant du bourbon. Le lecteur de disque diffusait toujours sa musique. « Motets de Louis Nicolas Clérambault » lut la jeune fille sur le coffret ouvert juste à côté. Elle reposa le verre et effleura timidement le bras d’Andrade qui poussa un soupir sans pour autant reprendre conscience. Dépitée, elle s’assit sur le bord du bureau, reprit le verre, huma de nouveau et but une petite goutte qui lui brûla la gorge et la fit tousser bruyamment. Le visage empourpré, elle reposa précipitamment le verre et paniqua à l’idée de voir Andrade se réveiller à ce moment précis mais il ne bougea pas d’un cil. Soulagée, elle attrapa un petit miroir décoratif posé avec d’autres bibelots sur le bureau et vérifia son image. Elle remit avec précaution le miroir à sa place et observa Andrade avec curiosité. Elle s’approcha pour mieux distinguer son visage et pour en étudier les détails, notamment les zones où naissait le voile sombre de la barbe. Elle se pencha un peu plus encore jusqu’à ce que ses cheveux recouvrent cette peau foncée, glabre, qu’elle trouva rêche après l’avoir effleurée d’un rapide baiser.
La jeune fille était partie depuis longtemps lorsqu’Andrade se réveilla. Il se souvint d’un rêve. Il marchait dans une longue rue déserte, bordée de chaque côté de hauts murs. À sa droite, apparaissait une petite porte en bois vermoulu. Il l’ouvrait sans difficulté et se retrouvait dans un grand jardin abandonné et luxuriant. Après quelques pas, il s’asseyait sous un saule pleureur bruissant. Il s’endormait, mais d’un sommeil léger parce qu’il sentait le saule pencher son feuillage et lui effleurer le visage de ses tendres ramures.
(Extrait de Grandes fêtes sous la lune, une des nouvelles de mon recueil Mariage d'automne publié aux éditions Germes de barbarie) Droits réservés.
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21 septembre 2016
Interlude musical
Dimitri Chostakovitch, quatrième mouvement de la cinquième symphonie :
23:39 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : interlude musical, chostakovitch, blog littéraire de christian cottet-emard, musique