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25 novembre 2010

Carnet des premiers flocons

 Malgré quelques bizarreries sur le crêt et sur le chemin derrière chez moi (deux anémones pulsatilles trompées par la douceur de dimanche dernier et un saule marsault qui poussait le même jour quelques chatons) la neige arrive pile à l’heure. Dans ma campagne, elle tombe au moment où l’on débouche quelques pots de beaujolais nouveau.

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Récemment, j’ai reçu la visite d’un jeune homme, un lycéen qui écrit un roman, non pas avec le projet de le publier mais dans le but de traiter le thème du pouvoir dans le cadre d’un travail scolaire, si j’ai bien compris. Nous avons discuté de son initiative qui semble laisser ses profs et sa camarade de travail perplexes. Une chose est sûre, c’est un littéraire. Peut-être y suis-je allé un peu fort en lui expliquant que mon intérêt pour la littérature avait été dans ma vie une grande catastrophe tout autant qu’une pure joie. Il a aussi rencontré Brigitte Giraud.
Ces temps, j’écoute du Edward Elgar presque tous les jours, notamment The Music Makers (texte du poète britannique Arthur O’Shaughnessy).

 

Photo : ciel d'une promenade récente, quelque jours avant la neige.

23 novembre 2010

Chemins d'eaux basses

Lido, Pellestrina, littoral... Le bus secoue ses tôles sur une bande de terre qui porte à peine la route au-dessus de la mer. En fin de matinée, j'ai pris le bateau-mouche numéro quatre de Venise au Lido, l'autobus numéro onze du Lido à Pellestrina, lequel tas de ferraille a franchi sur un bac la passe de Malamocco. À Pellestrina, le bus m'a planté au bout de la route, au bout de la digue.
Personne sous le ciel vert.

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L'attente d'un hypothétique motobatello ou de quelque motonave s'oublie en un regard vers le disque laiteux du soleil lagunaire. Pellestrina derrière, découpe sa silhouette de village étranger à la terre. D'un côté le grand large, de l'autre la lagune et ses chemins d'eaux basses.
Et si le motonave n'arrivait pas ? Cela aurait-il de l'importance ? Un rendez-vous manqué avec quiconque en cet archipel de ruines peut-il peser dans la vie d'un garçon comme moi ?

(Extrait retrouvé d'un carnet de voyage à Venise en avril 1979, date à laquelle la photo a été prise avec un petit instamatic).

© Éditions Orage-Lagune-Express.

20 novembre 2010

Tu écris toujours ? (60)

Conseils aux écrivains excédés par le bricolage


ccebricoleur.jpgEntre toutes les tâches qui pourrissent la vie de l’écrivain, le bricolage, ersatz de cette autre corvée qu’est le travail, devrait normalement être banni du quotidien de l’auteur qui se respecte, tout comme le quotidien lui-même d’ailleurs, sans oublier le travail, bien sûr. Pourtant, à ma grande honte, j’avoue qu’il m’arrive de bricoler, à l’inverse de mon riche voisin auteur d’un best-seller qui peut quant à lui se permettre de payer des spécialistes pour se taper sur les doigts et se salir les mains à sa place. Je conseille donc à tout auteur allergique au bricolage de pondre d’urgence un best-seller. En ce qui me concerne, je n’en ai pas encore eu le temps car je ne dispose pas dans ma maison d’une gouvernante telle que Madame Tumbelweed qui veille si jalousement au bien-être de mon voisin et de son chat Sir Alfred. Injustement privé d’un tel soutien, je dois me résoudre à gérer moi-même les détails les plus triviaux de mon quotidien.

L’hiver dernier, par exemple, je suis tombé bien bas. J’ai transformé une vieille chemise en blouse et je me suis coiffé d’un « bob » publicitaire arborant le slogan : « Ohé matelot, la sardine qu’il vous faut » , un cadeau de Madame Tumbelweed. Elle détient une quantité considérable de ces couvre-chefs en raison de sa fidélité à l’épicerie qui fournit sa nourriture préférée à Sir Alfred. Ainsi affublé, j’ai peint au rouleau la moitié du plafond de mon salon après quoi je me suis ménagé une pause. Six mois après, pas plus tard que cet été, Madame Tumbelweed m’a donné un autre « bob » pour que je puisse peindre l’autre moitié du plafond.

La pire des corvées durant ces travaux consiste en inévitables expéditions au magasin de bricolage où un phénomène étrange se produit dès mon arrivée. La première fois que j’ai passé la porte de ce hangar surmonté d’une banderole sur laquelle on devrait inscrire non pas « Promotions sur les perceuses » mais plutôt « Vous qui entrez ici, laissez toute espérance » , tout s’est pourtant bien passé. Un vendeur est venu à ma rencontre. Alors que c’est habituellement moi qui prodigue des conseils, je me suis trouvé dans la pénible position d’en demander. Le vendeur m’a conseillé et je n’ai rien compris. C’est un peu plus tard que la situation a dégénéré. Au fil des semaines, après plusieurs tentatives auprès d’un grand nombre de ses collègues, j’ai remarqué qu’à chacune de mes visites, le magasin semblait se vider de ses vendeurs. Plus une seule blouse à l’horizon. Abandonné à mon sort au rayon enduits et colles, telle la mouche engluée sur le ruban, j’en apercevais parfois un se faufiler telle une bête traquée entre les cuisines et les salles de bain. À l’évidence, ils avaient entrepris de m’éviter et vous n’imaginez pas la quantité de cachettes que recèle un magasin de bricolage. Un jour, au rayon jardin, j’ai soulevé machinalement le couvercle d’une poubelle en plastique. Eh bien, vous me croirez si vous voulez, elle contenait un vendeur qui n’a rien trouvé de mieux à me dire d’un air gêné qu’il vérifiait l’étanchéité. Un autre jour, pour qu’on s’occupe enfin de moi, je me suis déguisé en bricoleur. Je suis entré dans le magasin vêtu d’une salopette et coiffé d’une casquette publicitaire des peintures Hume & Plane sur laquelle était imprimé en jaune fluo « Peignez sans odeurs » (ils ne savent vraiment plus quoi inventer, vous pouvez très bien vous livrer à cette activité certes assez physique sans la moindre odeur en utilisant votre déodorant habituel). Au lieu d’attirer un vendeur, je me suis retrouvé cerné de clients bien décidés à ce que j’apporte une solution définitive à leurs problèmes de chasse d’eau, tout cela parce que je poireautais sous une pancarte portant la mention « Recyclez l’eau de vos toilettes » . J’ai choisi la fuite et je me suis coulé vers le rayon des papiers peints où j’ai fait tapisserie un bon moment. Un vendeur s’est approché. Mon erreur : avoir ôté ma casquette pour le saluer. Il m’a reconnu et a détalé en me jetant un regard épouvanté.

Bien sûr, j’aurais pu me plaindre à la direction mais je me suis souvenu que lors d’un salon du livre, je me suis carapaté encore plus vite devant un chasseur d’autographes notoire, vous savez, ce genre de pervers qui passent leur temps à se faire dédicacer des bons de souscription ou de commande sans acheter les livres qui vont avec. Il est vrai qu’en cette situation, je n’aurais pas hésité à sauter dans la première poubelle venue, même en courant le risque de la trouver déjà occupée par un confrère. J’ai donc pardonné aux vendeurs du magasin de bricolage mais leur carte de fidélité, ils peuvent la donner au sani-broyeur en promotion qu’ils m’ont livré à la place du destructeur d’archives que j’avais commandé.

3801588672.JPG* Cet épisode de TU ÉCRIS TOUJOURS ? illustré par le dessinateur Miege est paru dans le Magazine des Livres n°26 (septembre/octobre 2010).

* Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change, Lyon, sous le titre Tu écris toujours ? (manuel de survie à l'usage de l'auteur et de son entourage).