29 octobre 2006
Avec les arbres
La flaque d’eau toujours à la même place sur la route forestière où la vieille voiture attend n’est ni le miroir ni le contraire du monde juste une facette de ce diamant qu’on appelle la Terre
L’image condamnée à refléter ce qui n’est pas se dissipe dans l’évidence des feuilles rendues à l’air blond
Le grand vent patientera le temps de la colchique et de la campanule et tout ce qui s’alourdissait de peurs et de chagrins indéchiffrables s’unifie dans les instants d’accord entre la route et la rivière
L’épicéa qui rafraîchit les pas de mes aïeux les moins connus penche encore ses secrets sur les miens
Autour de nous se courbe une apparente éternité un infini à nos mesures à celle des brins d’herbe
Où est cachée l’horloge ? Et qui a décidé dans l’espiègle automne qu’aujourd’hui nous nous sentirions libres ?
Le fruit du jardin s’approche de la terre inconnue comme tout ce qui semblait se tourner vers le ciel
Des temps s’éloignent à la vitesse des astres et le mystère sous chacun de mes pas ne me fait plus sourire
Les seuls à me désaltérer encore de mes premiers regards sont les arbres penchés sur mes sorties d’école tilleuls d’automne où passe la main du vent hêtres et marronniers vieux maîtres indulgents qui dessinent un cercle autour de mes erreurs
En eux se concilient envol et pesanteur et je n’étais pas né qu’ils me savaient déjà promis à l’énigme de leur premier bourgeon
La profonde étrangeté du ciel où tombent les dernières corolles
L’inexplicable joie qu’on prête au vol de l’éphèmère dans l’ordre imprévisible des vents d’octobre
Au fond de la forêt la stupeur des naissances
La lumière en cascades qui ne révèlent rien que les couleurs des chiffres sur le tableau noir
Mais toujours la fenêtre qui rend à l’écolier le monde lisible
(Extrait de : LE MONDE LISIBLE, éditions Orage-Lagune-Express. Copyright Orage-Lagune-Express, 2004)
00:30 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Poésie, arbres, nature, automne, promenade
27 octobre 2006
Avec le bonjour d'Effron Nuvem (Comment j'ai écrit et publié Le Club des pantouflards)
À quelques maisons de la mienne, habite mon voisin qui pratique le chant choral et l’humour anglais. Nous nous saluons dimanche en ville : “ah, j’oubliais, me dit-il d’une voix neutre avant de s’éloigner, vous avez le bonjour d’Effron Nuvem.” Effron Nuvem est l’anti-héros du dernier livre que j’ai commis, "Le Club des pantouflards" (éditions Nykta). La librairie et la maison de la presse de ma ville ont bien mis l’ouvrage en évidence ainsi que les journaux locaux. Voici donc Effron Nuvem lâché dans la nature après sa naissance hasardeuse.
Comme beaucoup de personnages de roman, Effron Nuvem naît d’oiseuses rêveries. Pour autant que je me souvienne, en chemin vers le bureau, un matin d’automne 2002, je revois sa silhouette sortir d’une nappe de brouillard et y retourner presque aussitôt. Je pense à lui dans la journée. Pourquoi ? Je ne sais. Peut-être ai-je envie de disparaître moi aussi dans le brouillard au lieu d’attendre l’heure de la sortie. Toujours est-il que je note son passage sur une paperasse intitulée “Direction de l’administration du personnel”.
Le soir même, sous la lampe en pâte de verre bleue d’un autre bureau, le mien, Effron Nuvem encore à l’état de silhouette enjambe la paperasse “Direction de l’administration du personnel” pour continuer son chemin au verso d’une vieille enveloppe kraft d’où il saute tout droit dans les pages d’un volume à la couverture illustrée de perroquets intitulé sur la tranche “Cahier de coloriages et de découpages”. Durant ses premières pérégrinations, un X suffit à le désigner et rien ne le prédispose encore à un destin d’anti-héros de faux polar. Car Le Club des pantouflards n’est pas, loin s’en faut, un polar dans la pure tradition.
Plusieurs personnes sont à l’origine du basculement de celui qui ne s’appelle pas encore Effron Nuvem dans les marges de la littérature policière. La première est Marie-Ella Stellfeld qui, à l’époque, travaille à “L’Homme aux oreilles de jazz”, un polar dont l’action se situe dans ma ville, Oyonnax, et qu’elle publiera en 2003 aux éditions Nykta. Elle me suggère de proposer un texte adapté à cette collection de petits polars qui doivent avoir pour cadre une ville où vit l’auteur ou avec laquelle il a des liens. Malgré l’attrait de cette collection de poche joliment nommée “Petite nuit”, je renonce en raison des contraintes de genre et de format. L’ombre irréelle du futur Effron Nuvem n’a pas fini d’errer entre brouillard et papier !
Mais voici qu’à l’automne 2004, l’écrivain Claude-Jean Poignant qui anime avec France Baron les éditions Nykta, vient interrompre ma sieste derrière mon stand au salon du livre d’Attignat dans l’Ain. Il me propose de collaborer à la collection et je lui réponds que je risque de ne pas y arriver mais que je peux toujours essayer. De retour du salon, je contemple avec envie les polars “Petite nuit” déjà en ma possession et je décide de partir à la recherche de cette silhouette surgie des brouillards d’automne dont les traces se limitent à quelques pattes de mouches courant sur des papiers en désordre.
En écoutant les sonates pour orgue de Paul Hindemith, mon esprit crée un lien entre une idée de nouvelle qui m’était venue sur le thème de notre dépendance aux cartes bancaires et une envie d’écrire dans la tonalité de sombres ambiances provinciales. Et comme il faut un crime, je l’assortirai d’une machination, histoire d’être plus convaincant car j’ai toujours beaucoup de mal à tuer mes personnages (les gens sont-ils si importants qu’on ait besoin de les assassiner ?).
Le destin de l’homme des brouillards commence à se préciser. Je ne sais pas encore s’il sera du côté des victimes ou des bourreaux. Pourquoi pas des deux côtés ? Maintenant, il va falloir lui donner un nom, un passé (à défaut d’un futur), une identité sociale. Je ne suis pas sorti de l’auberge. Et tout cela en moins de cent pages. J’allais oublier la principale contrainte : le cadre, la ville. Il en faut une qui ait un lien avec l’auteur et avec la géographie de la collection qui comprend dix titres par région ou département.
Dans l’Ain, Oyonnax et Nantua (ma zone de vie) sont pris. Je me lance sur Bellegarde-sur-Valserine (ambiance polar cafardeux assurée), sachant qu’il ne reste plus qu’un ou deux titres à publier pour boucler la collection de l’Ain. Avec la publication de “La Bresse dans les pédales” de l’ami Roland Fuentès qui s’est attaqué à Polliat, il ne reste qu’une place. Le temps que je me décide à envoyer le tapuscrit, le dernier bastion de l’Ain est occupé par Jean-François Dupont qui signe “Par temps de neige” à Ambérieu.
France Baron et Claude-Jean Poignant qui viennent de planter le drapeau à la petite lune bleue de leur maison d’édition sur le Rhône me proposent d’y décaler mon histoire, sachant qu’un premier commando d’auteurs a déjà investi la capitale des Gaules. Parmi eux, Max Levrat qui signe le premier titre “Distribution gratuite”. J’opte donc pour un contournement de la colline de Fourvière (avec sa basilique en forme d’éléphant sur le dos) avec discret franchissement de la Saône par le pont Masaryk, direction Vaise où j’envoie bivouaquer mon agent des brouillards encore affublé de la lettre X dans les pages de mes brouillons.
Il mène dans ce faubourg que j’ai moi-même hanté pour raisons économiques la vie des victimes d’un libéralisme de plus en plus sauvage. Passer de Bellegarde-sur-Valserine à Lyon-Vaise m’oblige à retravailler les cadrages mais pas l’atmosphère tant la chronique gueule de bois de l’après Trente Glorieuses s’y entend à contaminer le moral de nos belles provinces à grandes lampées de friches industrielles et de régression sociale.
Le sort en est jeté, c’est en chomdu (chômeur de longue durée) que va enfin s’incarner l’ombre née du brouillard et c’est moi, salaud d’auteur, qui vais faire basculer son tristounet train-train dans l’effroi. Effroi, cela sonne comme Effron, prénom qu’on rencontre parfois dans la littérature russe. J’en conviens, cela ne donne guère plus de consistance au personnage, ce qui est normal puisque cet infortuné Effron est socialement inconsistant. Il ne fait que passer tel un nuage et le mot “nuage” m’évoque immédiatement la traduction portugaise d’un des mes recueils de poèmes dans laquelle “nuage” s’écrit “nuvem”. Bienvenue dans ce monde cruel, Effron Nuvem ! Et tant pis pour les lecteurs et journalistes qui ont gaspillé quelques minutes de leur temps précieux à chercher l’anagramme !
Reste à savoir, ainsi oint de l’élixir de la fiction, si Effron Nuvem va réussir sa nouvelle mutation, c'est-à-dire passer des pattes de mouches aux polices de caractères, du pelure de mes brouillons au bouffant de l’édition. La réponse arrive à la mi-juin 2006 par la poste avec mes exemplaires d’auteur que je découvre en prenant mon petit déjeuner devant mes pivoines. Tant mieux pour moi, tant pis pour Effron Nuvem !
01:00 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : club des pantouflards, éditions nykta, polar, petite nuit
23 octobre 2006
Comment tu t'es transformé en érable champêtre
Tu arrivais contre le vent le chevreuil ne t’a pas senti (une chevrette avec son faon)
Lorsqu’elle t’a vu il était trop tard le faon se risquait trop loin pour qu’elle puisse le récupérer tout de suite et bondir avec lui dans le monde des chevreuils
Tu ne bouges plus elle te fixe dresse les oreilles tu ne bouges plus elle ne bouge plus
Son réflexe de détaler mélangé avec l’idée de récupérer le faon l’immobilise
Elle te fixe et guette le moindre de tes mouvements un battement de paupières une respiration et son faon pas très loin mais trop loin d’elle
Elle te jauge elle s’inquiète mais ne fuit pas elle te fixe toujours tu n’as pas bougé d’un cil
Elle cherche à t’impressionner par toute une série de bruits comiques elle souffle chuinte jappe elle veut t’intimider tu ne bouges toujours pas
Tu sais très bien faire ça ne pas bouger pendant longtemps
Et au-delà d’un certain temps elle va t’oublier
Car pour elle une créature qui ne bouge pas pendant longtemps disparaît tout simplement de la circulation
La chevrette t’a oublié parce que tu ne bouges plus et comme tu es arrivé contre le vent elle ne te sent pas tu n’es plus pour elle
Tu n’es plus pour elle qu’un détail de la forêt peut-être cet érable champêtre sous lequel tu ne bouges plus et que pour cette chevrette tu es devenu
L’érable champêtre n’est pas un arbre qui se donne en spectacle il a peu d’ambition comme toi si ce n’est celle de vivre et d’éviter les ennuis
Te transformer en érable champêtre tu aurais bien aimé y arriver plus tôt dans les premières périodes pénibles ou stupides de ta vie
Devant la haute porte fermée de l’école primaire Sainte-Jeanne d’Arc qui faillit si souvent devenir la grande porte de la fugue : disparu le gamin en retard à sa place un érable champêtre
Au-dessus du gouffre du cahier de calcul où les baignoires débordent où les trains n’arrivent jamais à l’heure où s’additionnent les retenues : plus personne juste un érable champêtre
Au tableau poésie à réciter par cœur (qu’est-ce que le cœur et la poésie ont à voir là-dedans ?) : hop un érable champêtre
Dommage qu’il ait fallu attendre quarante-six ans mais ça valait le coup quand même ô vaillante et ingénieuse petite chevrette !
Copyright : Orage-lagune-Express, 2006
00:00 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Érable, forêt, poésie, chevrette, faon, littérature