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17 janvier 2025

Un poète perdu dans le monde du cinéma

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David Lynch : Mon histoire vraie

En 2007, j'avais écrit ce petit texte sur David Lynch. En le remettant en ligne aujourd'hui, j'ai hésité à remplacer « poète » par « écrivain » ou « littéraire » (en raison des connotations négatives que m'inspire désormais le mot « poète ») mais finalement, je laisse ce texte en son état d'origine :

 

Béotien en cinéma (je compte les films qui m'ont marqué - soyons généreux - sur les doigts des deux mains) j'ai pourtant recopié sur mon carnet, en 2001, quelques propos extraits d'un entretien avec David Lynch paru dans la presse : 
« J'aime rester assis sur une chaise et rêver. Je ne me force pas à imaginer quelque chose, mais j'accompagne mes pensées le plus longtemps possible. Petit à petit, elles me mènent vers de nouveaux lieux. »


Ces trois phrases correspondent parfaitement à ma manière de laisser se préciser les contours d’un poème ou d’une fiction et elles sont d’un cinéaste.
 Et voilà qu’en 2007, dans un nouvel entretien, trois autres phrases de David Lynch me sautent aux yeux : 
« Quand j’étais enfant, mon univers se limitait à deux pâtés de maisons. Tout semblait stable. Pourtant, j’avais l’impression que quelque chose de menaçant restait caché sous la surface. »

Le plus étonnant n’est pas pour moi d’avoir éprouvé le même sentiment dans l’enfance mais de trouver une telle correspondance de pensée dans les propos d’un cinéaste. Pour couronner le tout, je me suis presque endormi devant un de ses films, Mulholland Drive (honte à moi).


Et puis cela encore, qui me fait penser à mon expérience de la publication en ligne :
 « la possibilité qu’offrent les nouvelles technologies de commencer à filmer dès qu’on a une idée, sans rien demander à personne, c’est tout simplement merveilleux. J’ai enfin pu le faire pour Inland Empire, grâce au numérique. »


À l’évidence, c’est ce que dit, note et écrit David Lynch qui m’intéresse. Il est sans doute un poète perdu dans le monde du cinéma.

11 décembre 2023

Interlude musical :

Nino Rota (1911-1979) : La musique du film Les nuits de Cabiria de Federico Fellini (1920-1993).

22 décembre 2021

Carnet / Du premier jour de l’hiver et du Docteur Jivago

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Derrière chez moi mardi matin (photo Marie-Christine Caredda)

 
Le brouillard givrant, les nuits glaciales et les matins ensoleillés enveloppent la maison dans une de ces cartes de Noël dont je croyais, enfant, les dessins de paysages naïfs saupoudrés de sucre.
 
Le soir, tout ce scintillement évoquerait des scènes du film Le docteur Jivago réalisé par David Lean d’après le fameux roman de Boris Pasternak mais heureusement sans la plainte des meutes de loups. Si l’un de ceux qui circulent dans la région vient à traîner dans les parages, j’espère que la lumière de mes guirlandes de Noël multicolores dans les arbustes de lilas l’éloignera car je n’ai pas le courage de Youri, l’humaniste docteur Jivago (Omar Sharif), qui les fait détaler d’un geste, en écartant les bras, depuis le seuil de la maison prise dans les glaces où il s’est réfugié avec Lara (Julie Christie).

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Près de ma maison, mardi matin (photo Marie-Christine Caredda)

 
Le hasard de la programmation à la télévision m’a fait revoir deux jours avant le début de cet hiver, une fois de plus (je ne les compte plus) ce film culte de la jeunesse de mes parents. Moi-même, je ne m’en lasse pas.
 
Tous les spectateurs qui en ont fait et en font encore l’immense succès populaire s’identifient à l’histoire intime de Youri et de Lara entraînés malgré eux et broyés dans la fureur absurde de l’Histoire collective parce que tout individu a conscience de ce qu’il pèse, rien, quand déferle la folie des foules manipulées et fanatisées, quand des tyrannies succèdent à d'autres. Il s’agit là d’un classique ressort romanesque qui ne masque en rien l’intensité et l’épaisseur des personnages dits secondaires.
 
L’un de mes personnages préférés est le général Yevgraf Jivago (Alec Guinness), demi-frère de Youri qui intervient comme narrateur. Son évolution durant les différentes périodes auxquelles se réfère l’action du film montre un homme qu’on pourrait réduire à une certaine froideur mêlée d’un opportunisme et d’une lucidité pouvant expliquer son engagement social et militaire qui n’est sans doute qu’une forme d’adaptation au chaos. Il révèle en réalité une personnalité complexe, notamment dans ses tentatives pour aider son demi-frère si différent de lui, en particulier dans sa nature de poète.
 
Le recueil de poèmes publié par Youri constitue un des fils narratifs de l’histoire. Yevgraf qui a tout compris de son époque sait que ce livre met son demi-frère en danger parce que les poèmes qu’il contient sont jugés individualistes et bourgeois par les nouveaux maîtres du pays. Derrière sa façade impersonnelle de militaire rigide qui lui a permis de s’adapter à la dureté et aux périls de la nouvelle société en devenant général, Yevgraf cache un certain étonnement mêlé de fascination pour la poésie en laquelle il discerne l’origine de la force morale de Youri. Lorsqu’on le retrouve près d’aboutir dans son enquête pour retrouver sa nièce, la fille de Youri et de Lara tous deux disparus, les quelques mots qu’il prononce en présence de celle qu’il suppose être sa nièce à la fin du film dévoilent enfin la part d’humanisme qu’il partage avec son demi-frère.
 
C’est un instrument de musique qui permet de dérouler le fil narratif de cet épisode et de refermer le cercle de l’histoire en remontant au début, lorsque Youri petit enfant perd sa mère qui lui lègue la balalaïka dont elle jouait avec talent. À la fin, après son entretien avec celle qu’il estime être sa nièce, Yevgraf remarque qu’elle en porte une en bandoulière alors qu’elle prend congé en compagnie de son partenaire. Yevgraf les hèle une dernière fois en demandant au jeune homme si sa compagne sait bien jouer de la balalaïka. Le jeune homme répond par l’affirmative avec enthousiasme. « Alors, c’est un don... » , admet le général Yevgraf Jivago dont la raide silhouette sanglée dans son uniforme trahit pourtant d’un léger fléchissement un bref instant de trouble admiratif.