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25 janvier 2020

Carnet / Une grosse pierre

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Quelle drôle d’idée ton texte sur une grosse pierre ! m’a dit récemment une amie lectrice de mes Poèmes du bois de chauffage. Il s’agit d’un poème minimaliste que je qualifierais plus volontiers de récit. Je l’ai écrit parce que je vis quelque chose de particulier avec cette grosse pierre depuis que je l’ai sortie de la terre du jardin au prix d’un pénible effort car elle gênait pour bêcher ou passer le râteau.

Je précise que ce n’est pas moi qui jardine. Je n’ai aucun goût pour cette activité, je n’ai pas la main verte mais je peux parfois préparer un peu le terrain, en l’occurrence déplacer une grosse pierre.

Plus je creusais tout autour pour la dégager, plus elle se révélait massive, le plus fort volume en profondeur comme un iceberg. La sagesse était de la laisser en place et de la contourner pour continuer les plantations mais je ne sais toujours pas pourquoi, il me fallait désormais l’extraire, quitte à transpirer en cette fin d’après-midi frisquette et pâlotte de demi-saison. Je me surprenais à fournir un effort gratuit, ce qui n’a jamais été dans mes habitudes.

Depuis ma plus tendre enfance, j’ai toujours considéré que ce que j’obtiens sans effort est à mes yeux bien plus gratifiant que ce que je conquiers de haute lutte. Cela explique ma fascination pour les gains d’argent aux jeux de hasard. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai réussi jusqu’à maintenant à m’interdire d’entrer dans un casino où je risquerais de finir scotché à la roulette ou accroché à une machine à sous. Je ne crois pas avoir le génie qui me permettrait alors d’écrire une œuvre dans le but d’en dégager des profits destinés à éponger des dettes de jeu !

J’en reviens donc à ma grosse pierre qui a commencé à bouger sous les assauts de la pelle et de la pioche. Je n’étais pas au bout de mes peines car elle se trouvait maintenant au fond de la cavité que j’avais creusée autour d’elle et dont il fallait la remonter, ce que j’ai fini par réussir en m’aidant d’une barre à mine, d’un pied-de-biche et de bûches de mon bois de chauffage en guise de cales improvisées.

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Une fois à l’air, la pierre encore enveloppée d’une gangue de terre grasse a lourdement roulé dans l’herbe rase. Ses contours doux et arrondis ne permettent pas de la confondre avec un simple rocher. Je crois qu’elle provient du très ancien muret jurassien qui entoure ma propriété et dans lequel les incessants passages de sangliers et de chevreuils en goguette ont ouvert de nombreuses brèches. Les grands frênes qui ont maintenant une quarantaine d’années, notamment ceux qui ont poussé en bouquets, ont aussi malmené ce muret. Les plus puissants ont même réussi à en soulever des pans entiers à la simple force de leurs racines aussi épaisses que leurs troncs. C’est ainsi qu’une des pierres a dû venir rouler plus bas puis s’enterrer au hasard des mouvements de terrain et des remblais. 

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 Eh bien voilà, j’étais en nage après avoir mis plus d’une demi-heure à exhumer ce gros caillou sans raison sérieuse et en soufflant comme un bœuf alors qu’une petite voix que je connais bien me déclarait : tu es bien avancé maintenant ! J’ai donc abandonné le résultat de mes efforts à la pluie qui venait, annoncée par d’épais nuages aux couleurs de jambon de Parme dans la brève éclaircie d’un couchant un peu bâclé. Une fois à la maison, j’ai bu un demi-litre d’eau, me suis envoyé un double scotch Isle of Jura (Écosse), un paquet de chips de patates violettes vitelottes et une dizaine de grandes tranches de mortadelle en apéritif, le tout agrémenté d’un petit Partagas aux volutes assez rustaudes mais en phase avec mon état d’esprit du moment après ce travail idiot.

Le lendemain, je ne pensais déjà plus à la grosse pierre. Après le café au lait du petit déjeuner, je suis sorti comme tous les jours dans le grand pré derrière la maison. En passant le long du jardin, j’ai vu la tache blanche de la pierre parfaitement rincée par les averses, ce qui m’a mis de bonne humeur, allez savoir pourquoi, pour le restant de la journée. Désormais, au fil des jours et des saisons, je ressens une sensation de bien-être plus ou moins fugace chaque fois que je lui accorde un peu d’attention. Elle a trouvé sa place à cet endroit de la bordure du potager où l’éclat du soleil et le halo de la lune viennent l’éclairer, où le bouquet de thym citron l’effleure. Parfois, j’ai l’impression qu’elle me lance un clin d’œil lorsqu’un coquelicot dépose sur elle un de ses pétales.

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Lorsque je me sens triste, je m’assois sur elle et j’attends un moment. Lorsque je me sens faible ou patraque, je me mets debout sur elle et lui demande mentalement de m’envoyer dans les pieds, les jambes, le ventre et la tête tout ce qu’elle peut de sa part d’éternité pour que moi, créature éphémère et mouvante constituée à soixante pour cent d’eau, je puisse aussi peser un peu en ce monde évanescent.

La philosophie ne me passionne pas et si je suis à la rigueur capable d’un peu de recueillement dans une église, je ne suis guère féru de spiritualité pour autant. Je ne suis pas du genre à embrasser les arbres et à croire que la nature a un message spécial à m’envoyer. J’ai tendance à regarder derrière moi, y compris dans l’apparente sérénité d’un paysage qui m’inspirera encore plus de poésie si j’ai bien mangé ou si la perspective du repas est proche.

Je dois pourtant reconnaître qu’une sorte de connivence s’est établie entre moi et la grosse pierre. Je ne vais pas me fatiguer à essayer de me l’expliquer. J’ai bien fait de m’embêter à la sortir de terre pour en faire un petit poème de rien. C’est tout.

 

La grosse pierre

 

Parfois il me plairait d’inverser les rôles

 

D’être la grosse pierre que j’ai mis une demi-heure à sortir toute poisseuse de cette bouillie qui donne le joli potager

 

Sous la lune elle brille maintenant toute blanche lavée par la pluie

 

Quelle belle pierre disent les visiteurs bien qu’elle n’y soit pour rien

 

Alors je m’assois sur elle après avoir rempli ma brouette de bois sec

 

Et je pense au poème que je pourrais bricoler avec ce que j’ai trouvé par terre dans le paysage

 

Extrait de Poèmes du bois de chauffage, © éditions germes de barbarie, 2018. Photos Christian Cottet-emard.

 

07 mai 2016

Carnet / Des maléfices de la lune rousse

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Fin de la lune rousse. Un répit avant les trois flingueurs de moral et de végétation, Mamert, Pancrace et Servais, les Saints de glace. La lune rousse a méchamment mordu les premières pousses des rosiers et éraflé les nouvelles feuilles des lilas les plus jeunes. Le seul rosier épargné était sous abri, protégé par l’avant-toit. Peut-être m’a-t-elle aussi sapé le moral et tordu les boyaux pendant plusieurs jours. Hésitations incessantes sur la quatrième de couverture de l'édition de mes carnets.

Hier, brève apparition du premier lézard sur le mur sud, risquant un œil et sa petite gorge palpitante depuis son abri derrière le volet de bois. Au crépuscule, premier vespertilion dans le ciel mauve. Deux lessives séchées au grand air dans la même journée. J’ai tondu mes trois mille mètres carrés et bêché le potager. Plantation d’un cerisier du Japon et d’un magnolia devant la maison.

J’ai regardé le début d’une émission sur la pollution lumineuse commençant par cette question sur fond d’immensité de gratte-ciel à Hong Kong : « Qui peut aujourd’hui contempler la voie lactée à l’œil nu ? » Eh bien moi, par exemple, ce qui me console un peu de l’extinction de l’éclairage public à 23h dans mon village. On s’y fait mais l’autre soir, en fumant dehors dans la nuit noire, j’ai trébuché dans les pierres qui font office d’escalier extérieur et j’ai bien failli me retrouver cul par dessus tête un peu plus bas au milieu du grand lilas.

Bonne résolution : ralentir le rythme avec l’apéritif whisky-chips-cigare et me coucher à une heure de chrétien. En écrivant cela, je me demande si la lune rousse n’a pas aussi altéré ma lucidité.

Photo : pour conjurer les maléfices de la lune rousse devant chez moi. (photo CC-E)