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07 mai 2016

Carnet / Des maléfices de la lune rousse

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Fin de la lune rousse. Un répit avant les trois flingueurs de moral et de végétation, Mamert, Pancrace et Servais, les Saints de glace. La lune rousse a méchamment mordu les premières pousses des rosiers et éraflé les nouvelles feuilles des lilas les plus jeunes. Le seul rosier épargné était sous abri, protégé par l’avant-toit. Peut-être m’a-t-elle aussi sapé le moral et tordu les boyaux pendant plusieurs jours. Hésitations incessantes sur la quatrième de couverture de l'édition de mes carnets.

Hier, brève apparition du premier lézard sur le mur sud, risquant un œil et sa petite gorge palpitante depuis son abri derrière le volet de bois. Au crépuscule, premier vespertilion dans le ciel mauve. Deux lessives séchées au grand air dans la même journée. J’ai tondu mes trois mille mètres carrés et bêché le potager. Plantation d’un cerisier du Japon et d’un magnolia devant la maison.

J’ai regardé le début d’une émission sur la pollution lumineuse commençant par cette question sur fond d’immensité de gratte-ciel à Hong Kong : « Qui peut aujourd’hui contempler la voie lactée à l’œil nu ? » Eh bien moi, par exemple, ce qui me console un peu de l’extinction de l’éclairage public à 23h dans mon village. On s’y fait mais l’autre soir, en fumant dehors dans la nuit noire, j’ai trébuché dans les pierres qui font office d’escalier extérieur et j’ai bien failli me retrouver cul par dessus tête un peu plus bas au milieu du grand lilas.

Bonne résolution : ralentir le rythme avec l’apéritif whisky-chips-cigare et me coucher à une heure de chrétien. En écrivant cela, je me demande si la lune rousse n’a pas aussi altéré ma lucidité.

Photo : pour conjurer les maléfices de la lune rousse devant chez moi. (photo CC-E)

 

10 avril 2015

Carnet / De l’étendage

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Étendre du linge et des draps dans la lumière d’une belle journée réveille toujours en moi mes premiers souvenirs poétiques.

Enfant, je m’attardais souvent au milieu de l’étendage où j’entrais comme par effraction dans un monde de silhouettes furtives, dans une cabane aérienne. C’était comme ouvrir la porte d’un nuage parfumé où je pouvais me promener. « On t’a vu ! » disaient les adultes qui me croyaient trahi par mon ombre alors que je ne cherchais pas à jouer à cache-cache.

Aujourd’hui, à bientôt cinquante-six ans, c’est pour moi la même sensation, intacte.

L’étendage est un espace-temps miniature, un monde intermédiaire qui rend l’instant habitable. Le temps, à l’instar des étoffes, peut y être lui aussi suspendu. On le voit par exemple dans le film d’Ettore Scola, Une Journée particulière, dans une séquence où Sophia Loren et Marcello Mastroianni dialoguent au milieu du linge étendu sur le toit d’un immeuble. J’ai aussi en mémoire le début d’un de mes films fétiches de Federico Fellini, Amarcord, qui commence par des draps qui bougent dans le vent.

La lessive confiée à l’air et à la lumière a toujours fait pour moi référence à la joie, même dans les périodes de doute ou de désarroi.

C’est après avoir suspendu une lessive dehors que j’avais écrit ce texte intégré à mon recueil L’Alerte joyeuse, dans les années 90 :

Avant le linge et les draps rendus au vent utile, j’avais oublié la présence de l’air.
Est-ce possible ? Autant ne plus se souvenir de vivre ! Qu’est-ce qui peut distraire quelqu’un de la présence de l’air ?
Peut-être quelque chose ou quelqu’un d’autre qui n’existe pas mais qui règne.
Peut-être un vide qui prend toute la place, y compris celle de l’air ?
Linge et draps de ma maison, étendards de mes retrouvailles avec l’air, voiles de mes départs et de mes retours, montrez-moi qui, de mon ombre ou moi-même, sait le mieux habiter le courant des nuages.

(© Éditions Orage-Lagune-Express, 1997)