24 août 2015
Carnet / De la soutenable inutilité de l'être
À l’heure de regarder de plus en plus souvent et longuement dans le rétroviseur, on peut éprouver un indéniable vertige à constater qu’on a consacré sa vie à tenter de cultiver un seul talent dont la société n’a aujourd’hui nul besoin, un talent, l’écriture, en outre détenu et exercé avec profit ou en pure perte par un nombre incalculable d’individus.
Cela pose en plus la question de l’utilité d’une telle existence sans que, personnellement, je ne m’en tourmente outre mesure puisque je crois que la vie n’a pas pour finalité d’être utile et d’ailleurs pas de finalité du tout. Nous n’avons pas demandé à venir au monde, ce qui nous dispense à mon avis de toute obligation d’utilité, notamment dans la vie sociale. Quant à être utile au moins à nos proches et éventuellement à nos amis, le meilleur moyen d’y parvenir est de s’exercer à être à peu près heureux dans notre vie individuelle. Rien n’est en effet plus lourd à porter que le fardeau d’un parent ou d’une personne aimée amère et malheureuse. Dès l’enfance, j’ai eu cette intuition par la suite confirmée et jamais démentie.
Un jour, quelqu’un m’a demandé entre la poire et le fromage si « je ne regrettais pas de n’avoir rien fait de ma vie » (!) c’est-à-dire, dans son esprit, de n’avoir eu aucun engagement professionnel, social, politique, humanitaire ou que sais-je encore, ce qui revenait tout simplement à me déclarer les yeux dans les yeux que j’étais inutile, ce que je revendique tout à fait tranquillement. J’ai aussi ajouté, en répondant ainsi à cette personne, que ce qui me différenciait un peu d’elle et de nombreux autres individus de son espèce, c’est que j’en étais pour ma part parfaitement conscient, surtout dans mon activité littéraire.
Dans ce domaine, à mon âge et compte tenu de ma vie plutôt confortable, quitte à me rendre improbablement utile, je n’ai pas d’autre ambition que de procurer à quelques lectrices et lecteurs un agréable moment de lecture. Tout le reste n’est que (vaine) littérature.
De nos jours, il est très en vogue chez les artistes, les écrivains, les poètes, les musiciens, d’afficher une volonté de déranger le public, de le pousser dans ses limites, de l’arracher à son confort, ce que je trouve très pompeux et prétentieux. C’est au public de décider de ce qui le dérangera ou non, de s’extraire ou non de son confort, et pas aux « créateurs » (qui d’ailleurs ne créent rien du tout mais se contentent d’associer des formes et des contenus). « J’écris sur le papier la musique que j’entends en moi, et aussi naturellement que possible » disait Rachmaninov. Sur le plan littéraire, je n’ai pas d’autre but que d’essayer de procéder exactement de la même manière en espérant parfois, sans trop d’illusions, y réussir.
18:50 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : carnet, note, autobiographie, écriture de soi, journal, blog littéraire de christian cottet-emard, prairie journal, rachmaninov, musique, littérature, poésie, arts plastiques, utilité, inutilité, écriture, christian cottet-emard, réussite, échec, bonheur, finalité, but
Commentaires
Excuse-moi Christian mais là un coup de gueule s'impose, et comme je sais que tu sauras prendre cela à sa juste mesure, je fonce !!!...
Rimbaud n'a-t-il pas pousser son époque littéraire dans ses limites, ne l'a-t-il pas arracher à son confort... Entouré qu'il était de quelques plumitifs qui faisant la loi en tenant les rênes des journaux littéraires de l'époque et qui bien sûr lui barraient le chemin pour rester dans leur zone de confort... Rimbaud était un décideur qui ne tenait pas compte de déranger ou pas, il ne cherchait d'ailleurs pas à le faire, il faisait ce qui lui semblait être de la littérature, et pourtant...
(Il avait une intelligence différente et surtout très vive, alors si tous les intelligents sont des dérangeurs, où vas-tu mon Christian... où vas-tu ? Souviens toi des abrutis qui t'ont servi de maîtres d'école... Tu les dérangeais, tu bousculais leur confort...)
Évidemment 100 ans après, quelques littéraires, à part Claudel qui l'a compris à moitié en le traitant de mystique sauvage - ce qui là encore était parfaitement et idiotement confortable - ont fini par comprendre son écriture, il a fallut 100 ans et bien plus car aujourd'hui encore, peu se penchent sincèrement sur son œuvre. Pour ma part, je le répète en me citant(hi hi hi !), je ne veux pas faire parti des groupes dont le confort pusillanime mine toute authenticité à se livrer sans les ambages de l’orthodoxie autant bourgeoise que prolétaire... Ces conglomérations de légitimités liées à l'histoire et aux règles pré-établies veulent absolument conserver des notions qui protègent leur zone de confort, souvent inconsciente car ils parviennent même, au bout du compte, à se rendre dupes de leur propre faiblesse, une sorte d'adaptation pour que les situations différentes s'annulent par elles-mêmes sans les résoudre. Il y a là un choix mais qui ne se pose pas comme tel, le choix est d'éviter les difficultés inhérentes aux créations épineuses en les rapportant au sentiment, à l'émotion, au narratif qui submerge et culpabilise le chercheur authentique qui voudrait présenter sans agression mais de face et sans détour, des possibles différents libre de toutes grégarités malsaines.... Enfin bref, l'authenticité est chose quasiment impossible face à la mauvaise foi du confort. Pour ceux qui croient en dieu et qui le prenne pour un créateur évidemment tout est déjà dit et établi et on ne doit rien changer, mais pour ceux qui ne croient pas à ces mythologies ou plutôt qui les prennent pour leur valeur, c'est à dire de la littérature qui a eu son temps, il y a des possibilités de créer différemment, il y a des possibilités de créer différemment, je répète, il y a des possibilités de créer différemment... Et pour cela je demande un minimum de respect ! Merde ! C'est tout de même terrible de jeter tout ce qui est différent sous prétexte que cela dérange... évidemment que cela dérange si on voit les créateurs comme des perroquets dans une basse cour... Les créateurs ne cherchent pas à déranger, ils cherchent d'autres voies... des chemins inconnus... Avec le déchet que cela comporte bien sûr... Les créateurs ne passent pas après dieu ou après la bourgeoisie, leurs frontières ne sont pas de cet ordre là...
N'oublie pas Christian que tu as une maison parce que des personnes ont pensé aux matériaux qui la composent, et qu'ils se sont fait traiter de fous pendant des décennies... Regarde ta maison, regarde tes fenêtres, regarde tes murs, tu n'habites ni dans une citée lacustre, ni dans une cathédrale...!!!
Sur ce, buvons un coup, car la vie est belle, chose que j'ai fait en écrivant ce texte... !!!
Bise et amitié
Jacki
Écrit par : jacki marechal | 24 août 2015
Je comprends bien ton coup de gueule, Jacki, et je suis en partie d'accord avec toi, comme très souvent, notamment sur le fait que les créateurs (je continue d'employer ce mot par convention) ne créent pas juste pour le seul plaisir de déranger le bourgeois. Ce serait en effet un peu court.
Comme disait Gabrielle Buffet (citée par son mari Francis Picabia dans "Jésus-Christ rastaquouère", éditions Allia), « L'erreur du public est de regarder les oeuvres modernes comme un rébus dont il faut découvrir la clé.
Il n'y a point de rébus, il n'y a point de clé.
L'oeuvre existe, sa seule raison d'être est d'exister. Elle ne représente rien que le désir du cerveau qui l'a conçue. les inventions de la nature nous charment sans qu'il soit question devant elles de raisonnement ou de raison d'être.
Le plaisir artistique que peuvent nous procurer les oeuvres modernes est de même ordre. Il faut les regarder comme l'on regarde un arbre, une fleur, un paysage. Il n'y a rien à comprendre qui ne soit lisible à tous. »
Dans mon texte (De la soutenable inutilité de l'être), moi qui ne me considère pas comme un créateur, je ne prétends pas généraliser aux pratiques des autres artistes, écrivains, poètes et musiciens qui vivent leur activité comme ils l'entendent. Si certains se croient créateurs, grand bien leur fasse ! Je m'en prends surtout à ce qui est devenu un nouveau conformisme, à savoir cette injonction hypocrite qui est aujourd'hui faite à toute personne qui écrit, peint, compose, de déranger comme si cela était la seule garantie de produire une création digne d'intérêt. Ce nouveau conformisme aboutit à considérer Jamel Debbouze comme un petit génie sous prétexte qu'il sème le bazar chaque fois qu'il vient faire sa promo au journal de 20h ! Les créateurs qui « dérangent », qui « veulent explorer la zone d'inconfort » (j'ai lu ce genre de formules et d'autres du même tonneau je ne sais combien de fois dans Télérama), c'est le filon déjà épuisé de bricoleurs bobos qui se la jouent rebelle (mot à la mode) à notre époque où rien n'est plus facile et consensuel ! D'accord, c'était plus difficile au temps de Rimbaud mais puisque nous parlons de Rimbaud, nous savons que son « génie » relevait surtout d'une crise d'adolescence plus intense et plus fertile que celle du commun des mortels (ce qui n'enlève rien à la puissance de son œuvre même si nous la lisons aujourd'hui avec de nouvelles connaissances sur son élaboration et sa conclusion brutale.) Le Rimbaud « voyant » c'est une fiction qui s'est élaborée sur son dos, une conception datée de l'activité poétique, une sacralisation qui a duré tout le vingtième siècle.
Il n'est pas non plus dans mon idée de jeter tout ce qui est différent sous prétexte que cela dérange. En revanche, il est peut-être judicieux de réfléchir sur cette éventuelle différence et en premier lieu de se demander si elle existe...
Écrit par : Christian Cottet-Emard | 25 août 2015
Je suis rassuré par ta réponse mon bien cher Christian, je commençais - localement - à me sentir un peu seul, et ce n'est pas agréable (même si, ce n'est pas à toi que je vais l'apprendre, rien n'est vraiment indispensable)... !!! Pour compléter notre propos et poser la question de l'existence de la différence, je pense que le christianisme a fait énormément de mal en lobotomisant relativement définitivement les cerveaux occidentaux vers des repères immuables à leur sens. Normal puisque ces repères ont été créés par quelqu'un de supérieur, incontournable et incontestable. Ceci nous a mené, et nous mène encore à notre insu, à concevoir le monde de manière duel, avec des réflexes de refus du changement puisque ce changement dans son apparente dualité semble extérieur à nous (à notre équilibre intérieur qui semble déstabilisé par l'extérieur). D'ici à penser que tout ce que l'homme crée par lui-même est forcément douteux... on en arrive à la pensée commune qui a fait et qui fait tant de ravages envers les novateurs de leur vivant. Avec ce lourd bagage, dès que l'on change les points de repère il y a refus, ou inquiétude au mieux. Pourtant cela n'est nullement voulu agressif. Pour illustrer cette possibilité de points de repère différents (mais pas absolus bien-sûr), prenons l'art du enso japonais qui tend à faire comprendre qu'il n'y a ni début ni fin donc pas de narration, qu'un simple signe peut créer une émotion profonde sans pathos, et qu'il n'y a pas besoin d'être un artisan patenté pour exprimer de l'art... Il est donc possible de créé ou d'être sensibilisé sans ces éléments usuels qui à priori semblent indispensables à cause de leurs racines culturelles issues d'une religion qui a tout envahi arbitrairement. Je ressens là une différence.
D'autre part, mais c'est anecdotique, il ne faut pas confondre et perdre son temps avec les agitateurs du show biz, ou les agitateurs institutionnels, ou les agitateurs en général. Tout cela n'est que bizness et volonté de puissance. Et il ne faut pas oublier que de l'autre côté de la balance, en contre poids de ces agitateurs il y a aussi les moutonneurs pour qui plaire de manière conventionnelle est un credo ou une issue tout aussi peu honorable.
J'ai l'immodestie de me considérer comme créateur potentiel parce que je vois bien que j'explore... avec une curiosité insatiable et des "efforts" constants qui me sont naturels. Cela n’enclenche nul besoin de déranger ou de transgresser, ou de se prendre pour une vedette, juste le besoin d'explorer des pistes qui n'appartiennent pas uniquement aux conventions établies (et bien sûr de côtoyer ceux qui ont fait de même), c'est un chemin très difficile, exigent et vraiment pas très valorisant, et l'épreuve est parfois raide car tout ce qui m'entoure m'incite à rentrer dans le rang. Ce serait tellement plus simple de croire en dieu et de continuer à peindre le lac Genin... Éternellement... Avec les même bases, soit disant indispensables que l'on m'a enseignées. Si certains artistes pensent différemment, ce n'est pas pour faire les malins ou les adolescents comme tu le dis de Rimbaud. Je ne partage d'ailleurs pas cette analyse commune à son propos, je ne pense nullement que Rimbaud ait fait une crise d'adolescence fertile, C'était tout de même quelqu'un qui gagne un important concours de poésie latine à l'age de douze ans et qui rafle tous les prix d'excellence possibles lors de sa scolarité et dont l'intelligence déroute totalement les enseignants qui l'entourent... Si tout ça n'est qu'une crise d'ado, alors vive les ados !!! hi hi hi !!! Non, pour moi c'est un mec qui a abandonné la lutte avec sagesse devant des personnes qui n'étaient pas à sa hauteur intellectuelle et qui s'est consacré à autre chose où il semble qu'il était d'ailleurs très apprécié... (http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=5058369).
A bientôt ami Christian !
Jacki
Écrit par : jacki marechal | 25 août 2015
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